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Histoire & Khmers rouges : Témoignage de Sot Neou, médecin et rescapé d'une famille de 14 enfants

En collaboration avec le magazine « Searching for the Truth », initié par DCCAM, Cambodge Mag vous propose une série de témoignages bruts de celles et ceux qui ont vécu le régime des Khmers rouges. Aujourd’hui, Sot Néou, médecin.

Sot Néou, médecin
Sot Néou, médecin. Photo DCCAM
« De mes parents et de mes treize frères et sœurs, seuls deux d’entre nous ont survécu au régime des Khmers rouges. Ils sont presque tous morts en 1977, de faim ou de maladie »

Mon père était un homme responsable, qui ne parlait pas beaucoup. Il est né dans une famille très pauvre avec beaucoup d’enfants et a vécu dans la pagode durant son enfance. Sa mère tombait souvent malade et il avait beaucoup de difficultés, car il devait toujours emprunter de l’argent pour acheter des médicaments et la soigner. Il a donc décidé d’étudier la médecine, une discipline qu’il adorait. Il fut un excellent élève tant en sciences qu’en français.

Mon père travaillait très dur afin de subvenir aux besoins de ses 14 enfants et il était souvent récompensé. Nous vivions dans une grande maison grâce à ses revenus confortables. En plus de travailler à l’hôpital psychiatrique de Prek Tnot, il exerçait dans un cabinet privé pour arrondir ses fins de mois. Ma mère cultivait quelques légumes à la maison et les vendait ensuite au marché afin de subvenir aux besoins de notre famille.

À l’approche de l’évacuation de 1975, il ne se passait pas une nuit sans qu’il y ait des tirs et des bombardements, si bien que mon père avait du mal à dormir. Il séjournait souvent chez ma plus jeune sœur à Phnom Penh, tandis que ma mère vivait avec ma sœur dans la province de Kandal.

Le 17 avril, lorsque mon père est venu à la maison, ma mère et mes autres frères et sœurs étaient déjà partis. Il savait que ma mère avait emmené tous les enfants dans sa ville natale du district de Sa-ang.

« Mais nous ne pouvions pas vivre heureux dans son village, car beaucoup de monde là-bas savait que nous étions bien lotis »

Notre famille a alors été envoyée dans la province de Kampong Chhang. Mon père a dû travailler très dur sans pouvoir manger à sa faim. Il se faisait vieux et pouvait à peine supporter les épreuves qu’il subissait. Une nuit, il a décidé de voler des mangues mûres derrière le bureau militaire des Khmers rouges. J’ai essayé de l’arrêter, mais il ne voulait pas m’écouter. Il a eu de la chance, c’était une nuit noire avec une forte pluie et il n’a pas été attrapé. Il a apporté dix mangues mûres pour les enfants qui vivaient avec lui. Cinq de mes frères et sœurs travaillaient près de la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande et sont morts de faim les uns après les autres.

Beaucoup de gens du village où nous vivions ont commencé à subir la famine en 1976. En 1977, la nourriture manquait cruellement et l’Angkar ne nous a pas donné de riz pendant trois jours. Ma mère a échangé ses bijoux contre du riz, du poisson et du prahok. Lorsqu’elle n’eut plus rien à vendre, mon père est mort de faim. Ma sœur a écrit son nom sur un morceau de papier et l’a mis dans une bouteille ; nous l’avons enterrée avec lui.

« Elle voulait s’assurer que si l’un d’entre nous survivait, nous pourrions un jour retrouver ses ossements et organiser une cérémonie en son honneur »

Ma mère est morte de chagrin un mois plus tard.

À la fin de l’année 1978, des villageois qui écoutaient la radio ont dit que les soldats vietnamiens libéraient le Cambodge. L’Angkar a ordonné à mon unité mobile de creuser un trou pour stocker du riz, du poisson sec et du sel. Les personnes qui avaient travaillé dans l’unité mobile précédente ont été abattues après avoir terminé leur travail. Après avoir creusé le trou, nous avons donc commencé à courir.

J’ai traversé la jungle pendant plusieurs jours jusqu’à ce que j’atteigne la province de Kampong Chhnang. J’ai même fait de l’auto-stop avec des soldats vietnamiens. Après avoir vécu avec deux de mes tantes pendant près d’un an, je suis retournée à Kandal et j’ai retrouvé ma grande sœur, qui venait de traverser la jungle.

Ma sœur et moi n’avons toujours pas réussi à localiser les ossements de notre père ; il y a trop de fosses communes dans la région.

Remerciements : Bunthorn Sorn

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