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Ancre 1

Drame de Phsar : Quand la migration laisse les enfants seuls et vulnérables

Commune de Phsar, province de Kampong Chhnang

Ol Thida et son mari étaient convaincus de ne pas avoir d’autre choix que de quitter leur petit village rural. Ol Thida et Prak Chea ne trouvaient de travail nulle part dans leur district. Ils ne possèdent presque rien, pas même le terrain sur lequel leur hutte est construite. Ils doivent 250 dollars à une institution de microfinance, une dette qu’ils ont le plus grand mal à rembourser alors que l’échéance est prévue pour cette fin d’année.

Pression financière

Ainsi, le mari de Thida, Prak Chea, est parti en Thaïlande pour travailler comme journalier dans une ferme de manioc. Il avait alors demandé à son épouse de rester à la maison pour s’occuper de leurs deux filles et de leur petite maison dans le village.

La hutte dans le village de Thmey, dans la province de Kampong Chhnang

La hutte dans le village de Thmey, dans la province de Kampong Chhnang


Mais la dette ne diminuait pas. Tout ce que Thida pouvait faire pour gagner de l’argent était de fabriquer des paniers et d’attraper des fourmis pour les vendre au marché local. Leurs revenus sont restés dérisoires. Thida n’a pas les compétences nécessaires pour travailler dans une usine de confection. Alors elle aussi a décidé de partir du village. En octobre, elle s’est rendue à Phnom Penh pour chercher du travail.

“Ici, je ne pouvais même pas gagner 10 000 riel pour ma famille”, dit la jeune maman âgée de 34 ans. “Comment pourrais-je rester ?”, avoue-t-elle.

Elle s’était dit que ses filles, Meta, âgée de 7 ans, et Leakhena, âgée de 14 ans, grandissaient et avaient besoin de plus de soutien financier. Cette option lui semblait impossible en restant dans le village. Une fois à Phnom Penh, elle s’est dit qu’elle pourrait enfin subvenir à leurs besoins en leur envoyant de l’argent.

Elle s’est arrangée pour que les enfants dorment chez sa sœur, dans une maison à proximité de la demeure familiale. Elle les appelait tous les jours sur le téléphone de sa sœur pour voir si tout allait bien. La grande, Leakhena préparait les repas pour Meta dans la hutte de la famille. C’était un risque, mais cela semblait être la meilleure option dans une vie avec peu d’alternatives.

Tragédie

Mais la nouvelle vie de famille a rapidement sombré dans la tragédie.

Trois jours après son départ pour la capitale, le 18 octobre, Thida appelle à la maison comme d’habitude. Mais sa sœur ne trouve pas les filles. Les membres de la famille commencent à les chercher. Elles ne sont nulle part, ni dans la hutte, ni dans les rizières alentour.

Désespérée, Thida consulte alors une diseuse de bonne aventure dans la capitale. Elle lui dit que les filles sont dans la hutte. L’équipe de recherche revient à la maison et trouve une large boîte dans la maison qui sert à ranger les vêtements. À l’intérieur se trouvent les corps de Leakhena et de Meta. La plus âgée a été violée et étranglée ; la plus jeune a été battue à mort.

Deux enfants victimes de viol dans la province de Kampong Chhang

Deux enfants victimes de viol dans la province de Kampong Chhnang


Un voisin de 25 ans est arrêté le lendemain pour le crime. Chhum Poy est un parent éloigné. Les filles l’appelaient ”Uncle – Tonton”. Le meurtrier a avoué à la police qu’il s’était rendu à la hutte pour violer Leakhena. Il a admis l’avoir violée, étranglée, puis frappée. Chhum Poy a également battu et étranglé la petite Meta alors qu’elle pleurait en assistant à la scène.

«Le téléphone m’a échappé quand j’ai appris qu’elles avaient été tuées», déclare Thida. Elle ajoute qu’elle n’aurait jamais imaginé que ses enfants puissent être victimes d’un crime violent dans leur petit village natal, encore moins venant d’un homme que les enfants connaissaient.

Ol Thida, 34 ans, mère des deux soeurs assassinées le 17 octobre 2018

Ol Thida, 34 ans, mère des deux soeurs assassinées le 17 octobre 2018


«La possibilité d’un viol dans ce village ne m’a aussi jamais effleuré», confie Thida.

Les morts violentes de Meta et de Leakhena ont attiré l’attention du public et ont largement été commentées par les Cambodgiens sur les médias sociaux. Bon nombre d’entre eux ont accusé Thida d’avoir laissé ses enfants seuls. D’autres ont déploré le déclin de la moralité dans la société cambodgienne d’aujourd’hui.

Mais la vérité est, peut-être, qu’il existe un problème plus systémique.

De telles histoires deviennent relativement fréquentes dans les zones rurales du Cambodge, alors que la migration des zones rurales vers Phnom Penh et la Thaïlande augmente rapidement, déclare Chhan Sokunthea, chef du groupe des droits de l’enfant de l’ONG Adhoc.  La Licadho a publié début novembre son rapport  concernant les abus sexuels sur enfants. Le rapport s’étend sur une période de neuf mois. Selon l’ONG 110 cas d’abus sexuels sur enfants ont été commis entre janvier et septembre à Phnom Penh, et dans 14 provinces du Royaume. La Licadho indique que huit enfants ont été tués après avoir été violés.

Avec cet exode, certains villages sont principalement peuplés d’enfants, de personnes âgées et d’hommes inaptes au travail parce qu’ils consomment de la drogue ou sont mentalement instables. Toutefois, les enfants sont encore utilisés pour les travaux traditionnels, tels que la collecte de produits forestiers et l’élevage de vaches. Des tâches  qui les conduisent fréquemment dans des zones reculées de la campagne.

Sokunthea ajoute que les enfants issus de familles pauvres dont les parents sont des migrants restent les plus exposés aux violences physiques et sexuelles.

Dans la seule commune de Phsar, plus de 500 personnes, principalement des hommes et des femmes en pleine jeunesse, ont quitté la campagne pour aller travailler, indique le chef de la commune, Bin Sophan. Le meurtrier des jeunes filles n’en faisait pas partie. Il consommait de la drogue et de l’alcool et ne travaillait pas régulièrement, précise-t-il.

Nouvelle loi

Nhep Sopheap, Secrétaire générale du Conseil national du Cambodge pour les enfants, un organisme gouvernemental, se déclare “très préoccupée” par les effets de la pauvreté et des migrations sur les enfants. Elle déclare que le viol d’enfants devient particulièrement inquiétant.

«Les gens sont encore trop peu sensibilisés dans les provinces», indique-t-elle, ajoutant que le Cambodge travaillait actuellement à la rédaction d’une loi sur la protection de l’enfance. Cette loi traiterait spécifiquement des crimes contre les enfants et comblerait ainsi les lacunes du Code pénal.

« En dépit des progrès importants accomplis par le gouvernement pour améliorer la protection des enfants, le viol et les abus sexuels demeurent une menace sérieuse pour leur bien-être au Cambodge », déclare Bunly Meas, spécialiste des communications à l’Unicef ​​qui a travaillé avec le gouvernement sur l’élaboration de la nouvelle loi.

«Il est important que les parents et les gardiens veillent à ce que les jeunes enfants ne soient jamais seuls à la maison, car cela les expose à diverses formes de négligence et de violence», indique-t-il. “Les enfants doivent être sous surveillance à tout moment.”

Mais cela semble difficile voire impossible pour des familles comme celle de Thida, au sein de laquelle les impératifs financiers sont en conflit direct avec les besoins de leurs enfants.

Selon M. Channy du ministère des affaires sociales, une délégation a rencontré le mois dernier des représentants de 21 pays pour discuter des moyens de protéger les enfants contre les abus sexuels. Il a précisé que le ministère préparait un rapport. La finalité du document est d’obtenir l’approbation du conseil des ministres pour définir et hiérarchiser les étapes nécessaires à la mise en oeuvre d’un programme national destiné à combattre ce fléau.

Face à l’énorme émotion suscitée par ce crime odieux, les Cambodgiens ont envoyé à Thida des milliers de dollars en dons. Bun Rany, l’épouse du Premier ministre Hun Sen, a promis de lui construire une maison et lui a donné 5 000 dollars par l’intermédiaire de la Croix-Rouge cambodgienne. Elle l’a également aidée à lui trouver un emploi dans une usine de confection.

Une partie des dons est aux mains des autorités locales. Celles-ci suggèrent que Thida n’est pas assez responsable pour gérer cet argent elle-même. Les autorités ont promis d’utiliser les fonds pour acheter  un terrain et une moto à la famille.

Avec une cruelle ironie, le prêt a finalement été remboursé – mais trop tard.

Thida allume régulièrement de l’encens pour prier pour le repos de ses filles dans un sanctuaire improvisé installé dans sa hutte.

«C’était mon erreur de laisser mes enfants seuls, mais c’est à cause des difficultés de la vie», confie-t-elle, désespérée. «Maintenant, je ne peux même plus travailler correctement. Je suis comme une folle. Je souffre comme la mort d’avoir perdu mes deux jolies petites filles. “

Puis elle s’adresse à ces enfants en regardant leur photo posée sur l’autel :  “S’il vous plaît ne soyez pas malheureuses, comme vous avez pu l’être dans cette vie !”.

CG Avec Sun Narin – VOA

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