Alors que le réalisateur cambodgien Kavich NEANG verra son film WHITE BUILDING en première mondiale au 78e Festival du film de la Biennale de Venise, rappelons que le cinéaste avait déjà fait parler de lui en 2019 avec son documentaire sur le « White Building », intitulé « Last Night I Saw You Smiling ».
Le White Building avant sa démolition. Photographie par Jmbaud (CC)
Le documentaire « Last Night I Saw You Smiling » a reçu le prix NETPAC du meilleur film asiatique au Festival international du film de Rotterdam. Il a aussi remporté le prix spécial du jury du documentaire international au Festival du film Asie – Pacifique de Los Angeles.
Souvenirs
Les sons et les images de l’édifice restent profondément gravés dans la mémoire de Kavich Neang. Les cris des enfants qui courent dans les couloirs et les conversations colorées de voisins qui discutent des petites choses de leur vie font partie d’un rêve récurrent. Un rêve qui rappelait sans cesse à Kavich Neang l’endroit où sa famille se sentait à la maison.
Le « White Building ». Photographie par Christophe Gargiulo
Le « White Building » constitue également le cœur narratif de son œuvre, « Last Night I Saw You Smiling », où le cinéaste de 31 ans documente la transformation des communautés du vieux bâtiment en un lieu de démolition silencieux. Le titre du film emprunte les paroles d’une chanson de Sin Sisamuth.
Regard triste sur le toit de l’édifice avant sa démolition en juillet 2017. (Photo de Kavich Neang/Anti-Archive)
Documenter
« Je ne pouvais pas croire que tout ce qui existait dans ce bâtiment disparaîtrait complètement », a déclaré Kavich Neang à la radio VOA Khmer, en tant que cinéaste, j’ai ressenti le besoin de filmer et de documenter les derniers moments de ma famille et de mes voisins », a-t-il ajouté.
Un habitant de l’immeuble en train d’emballer ses vêtements alors que sa famille et lui-même doivent quitter le bâtiment avant sa démolition en juillet 2017. (Photo fournie par Kavich Neang/Anti-Archive)
Histoire
Le « White Building » était situé dans la commune de Tonle Bassac, dans le centre de Phnom Penh. Construit au début des années 60 pour les familles à revenus modestes, il a été abandonné lors de l’arrivée des Khmers rouges au milieu des années 70.
En soirée. Photographie Christophe Gargiulo
Après le départ des Khmers rouges en 1979, le bâtiment est devenu un refuge pour les artistes, acteurs et danseurs de retour, ainsi que pour les fonctionnaires travaillant pour le gouvernement mis en place à l’époque. Au fil des années, le bâtiment est devenu un endroit tristement connu pour le trafic de drogue et la prostitution. L’esprit communautaire y était toutefois très ancré.
L’adieu au White Building. Photographie par Fabien Mouret
Curieusement, à mesure que le bâtiment devenait de plus en plus décrépi, l’intérêt lié aux rumeurs concernant sa démolition avait donné un regain de popularité au site. On y proposait même des visites guidées payantes. Voyeurisme, intérêt historique, photographique ou compassion ? Va savoir.
Avec le développement économique rapide du pays, le « White Building » devenait aussi symbole des extrêmes dans le royaume.
Démolition
Le bâtiment blanc a dû être démoli en 2017 pour faire place à un projet de condominiums. Deux ans plus tard, ce projet initial a changé, le site doit accueillir un complexe de casinos d’un investissement de 4 milliards de dollars, initié par NagaCorp.
Kavich Neang est un cinéaste cambodgien primé et cofondateur société de production ANTI-ARCHIVE. Son documentaire a remporté plusieurs prix internationaux du film cette année. (Photo de Kavich Neang/Anti-Archive)
Film
La famille de Kavich Neang s’était installée là en 1987, au troisième étage du bâtiment B, avec 492 autres familles. Après que tous les résidents, certains à contrecœur, aient accepté une indemnisation et de déménager, Kavich Neang a décidé de documenter les derniers mois du bâtiment, de mai à août 2017.
Les 40 heures de tournage qu’il a filmées — puis montées dans un documentaire de 78 minutes — permettent de mieux comprendre la cacophonie des émotions alors que les habitants emballaient leurs affaires, faisaient leurs adieux et se dispersaient ailleurs.
Projet personnel
« Au début, je filmais toutes les séquences sans aucun plan de production. Mais, au fur et à mesure que je les visionnais, c’était devenu très personnel », a déclaré Kavich Neang.
« C’était chez moi, avec ma famille et mes voisins. J’ai donc décidé de réaliser un documentaire à la mémoire des gens et de ce bâtiment »
Kavich Neang, qui est également le cofondateur de la société anti-archives Productions, a déclaré que la nature personnelle du projet lui permettait difficilement de travailler sur tous les aspects de la production. Ainsi, ses collègues société de production ANTI-ARCHIVE ont suggéré de faire appel à un producteur externe.
Cela a permis à Kavich Neang de se concentrer sur la narration.
Kavich Neang s’est dit ravi que le documentaire reçoive un succès international, confortant ainsi son intention de « redonner vie à l’immeuble ». Cependant, en octobre prochain, il risque d’être confronté à un jury plus difficile lorsqu’il projettera le film aux anciens résidents du bâtiment.
« J’espère que mes voisins et les autres résidents pourront réfléchir à la vie qu’ils avaient et partager leurs expériences personnelles », a déclaré Kavich Neang.
« Et j’espère aussi que davantage de Cambodgiens pourront voir mon film et vouloir en apprendre plus sur l’histoire de vieux bâtiments qui existent encore, avant qu’ils ne soient détruits, tout comme ce bâtiment emblématique ».
Avec Ten Soksreinith — VOA Khmer & Christophe Gargiulo
Commentaires