Tripadvisor…
Qui aurait pu imaginer un jour que Pol Pot se retrouverait sur le site de notation Tripadvisor ? C’est chose faite depuis trois ans maintenant. Certes, ce n’est pas lui directement que l’on demande de juger, mais sa « maison » ou plutôt sa dernière demeure puisque l’image qui est publiée sur le site est celle de sa tombe ! Et de demander aux internautes de donner leurs avis… Sur les 141 « choses » à faire dans les environs de Siem Reap, la visite de la « maison de Pol Pot » à Anlong Veng est classée 117ème par les internautes sur le site de notation Tripadvisor avec un petit 3,5 sur 5 ! Elle s’intercale entre le Palais du roi Jayavarman VII et la pagode située dans l’enceinte d’Angkor Thom.
Perdue dans la forêt
Un visiteur a tenu à rectifier cet intitulé et il explique que la véritable maison dans laquelle Pol Pot a vécu, si elle peut se visiter, n’a rien à voir avec le lieu où il a passé ses derniers jours et a été incinéré. Perdue dans la forêt, elle est d’ailleurs « impossible à trouver sans un guide », tient-il à préciser. D’autres internautes en profitent d’ailleurs pour noter également, même si personne ne le leur a demandé, la maison de Ta Mok, autre lieu touristique de la région d’Anlong Veng. Sur les 16 « avis », tous mitigés, un visiteur se plaint de ce que l’entrée de cette dernière est payante : « quel est ce monde dans lequel nous vivons qui vous demande de payer 5 dollars pour visiter un mémorial d’Hitler et de surcroît donner cet argent à un ancien nazi qui en échange vous remet un ticket » ?
On ne sait pas trop pour quoi on paye
La « mauvaise moyenne du classement » de la tombe de Pol Pot est due à deux internautes qui ont mis, chacun, une étoile sur cinq. Le premier y est sans doute passé en se rendant à la frontière thaïlandaise. Il explique que cela était sur son trajet. Mais il n’est pas convaincu : « l’entrée est payante et on ne sait pas trop pour quoi on paye ». En effet, les alentours de la tombe sont entretenus par une voisine qui réclame 2 dollars aux rares visiteurs. Le commentateur est de surcroît septique : « rien ne garanti que c’est ici que son corps a été incinéré. Et rien ne garanti non plus que Pol Pot soit réellement mort ».
Un lieu limite
Il faut s’y faire, dans ce monde numérique, on « like » et on note tout et n’importe quoi. Il est surtout devenu indispensable de donner son avis sur tout, encore plus si on n’a rien à dire. L’autre mauvais avis est le fait d’un touriste allemand lui aussi arrivé sur place « par accident ». Il estime que le lieu est « limite » pour la commémoration d’un « tel homme » « même s’il est mort ici ».
Simple détour
On le voit avec les commentaires, la tombe de Pol Pot est, pour les étrangers en tout cas, davantage un détour sur la route de la frontière thaïlandaise qu’un lieu de pèlerinage ou de visite culturelle. Pourtant, en mai 2001, lorsque la piste reliant Siem Reap à la bourgade d’Anlong Veng fut tracée à travers l’épaisse forêt, beaucoup ont naïvement cru au développement du tourisme dans cet ancien fief Khmer rouge. Un projet de musée avait même été un temps envisagé. L’idée était loin d’être folle. Un musée, c’est qui permet au souvenir de ne pas s’éteindre. Un musée pour ne pas oublier.
Aujourd’hui, il ne reste plus rien de ces espoirs. Les Khmers rouges ne font plus recette, à l’instar de cet interminable procès d’une poignée d’authentiques vieillards, les derniers « dirigeants survivants » du régime. La presse avait même fini par s’en désintéresser jusqu’à ces derniers jours où, anniversaire de la libération oblige, certains journaux étrangers sont revenus sur cette triste période.
La piste entre Anlong Veng et la cité des temples d’Angkor est désormais bitumée ; la forêt a, par contre, entièrement disparu, mais c’est le passage obligé pour ceux qui désirent se rendre de ce côté-ci de la Thaïlande depuis le Cambodge.
Vision surréaliste
La ville n’a rien pour plaire, même si elle s’est bien développée ces dernières années, surtout dans le centre, non loin de cet immense lac artificiel, l’une des folies du régime. Vision surréaliste que ces arbres morts, aux branches nues, émergeant de l’eau sur des hectares ! La maison de Ta Mok trône sur l’une des rives. Elle apparaît en bout d’un chemin en terre défoncé et parsemé de gros cailloux. Près d’une carcasse de camion abandonné un gardien somnole dans son hamac. Aux rares étrangers qui y pénètrent, le vieil homme délivre un billet sur lequel est inscrit en anglais : « Ta Mok House ».
La maison, en réalité une large terrasse érigée sur deux niveaux dont une face est ouverte sur les eaux, surmonte un épais bunker. Les murs intérieurs sont couverts de peintures représentants les temples de Preah Vihear et d’Angkor ainsi qu’une carte du royaume. Les inscriptions en khmer qui désignaient le Viêtnam voisin ont été grossièrement effacées. Peut-être parce qu’en lieu et place de Viêtnam, les Khmers rouges avaient préféré écrire « Prothé Youn », le pays des Youns (terme péjoratif pour désigner les viêtnamiens). Par contre, point d’Hô Chi Minh-ville, mais un Prey Nokor, du nom de l’antique port de commerce au temps de l’empire khmer qui, au XVIIIème siècle, devint Saïgon.
Sur les 16 avis donnés sur « la maison de Pol Pot », deux seulement trouvent tout de même l’endroit « intéressant » pour son côté historique. Deux personnes sur seize qui ont compris ce qu’ils visitaient et pourquoi il est important de conserver de tels lieux. De quoi garder foi en l’humanité…
A bientôt, Frédéric Amat
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