Antoine Bancel demeure avec ses deux « coéquipiers » l’un des pionniers de la cosmétique de grande qualité produite dans le royaume.
En quelques années, l’enseigne spécialisée dans les salons de massage haut de gamme est devenue leader du secteur des cosmétiques avec une gamme originale, attrayante efficace, et surtout en conformité avec les règles draconiennes de fabrication de cosmétiques et produits d’hygiène.
Si la crise sanitaire a quelque peu altéré l’ascension de cette jeune marque, Antoine demeure positif dans son approche et « s’accroche jusqu’au bout des ongles ». Entretien avec un entrepreneur optimiste malgré tout :
CM : Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Antoine Bancel, j’ai 40 ans, je suis Français et j’habite au Cambodge depuis 2007. J’étais auparavant ingénieur en optronique, discipline qui mélange l’optique et l’électronique. J’ai travaillé dans ce domaine pendant quatre ou cinq ans, avant de partir me balader et d’arriver au Cambodge.
CM : Pour quelles raisons avez-vous quitté la France, et pourquoi avoir choisi le Cambodge ?
Les perspectives professionnelles qui m’attendaient en France ne me plaisaient pas tellement : un bureau sans fenêtres, à faire des tableaux Excel toute la journée… Ce n’était pas une carrière qui m’intéressait. Nous avons, avec ma compagne de l'époque, passé un an à parcourir l’Australie en van, dénichant à chaque fois des petits boulots tout le long du trajet.
Une fois ce périple terminé et lorsque nous sommes rentrés en France, c’était le premier qui trouverait un travail à l’étranger qui emmènerait l’autre, et c’est ce qui s’est passé quand elle a été embauchée en tant que coordinatrice au Centre culturel français à Phnom Penh.
CM : Quelle a alors été votre activité professionnelle ?
Le Cambodge est un pays dans lequel on peut monter plein de projets, ce qui est parfait pour quelqu’un d’assez polyvalent comme moi. J’ai commencé dans la logistique, pour une société spécialisée dans le stockage et transport de bière.
Et le weekend, je m’amusais à distiller du rhum avec un alambic fabriqué dans une cocotte-minute. Ça donnait un breuvage parfaitement infâme, mais ça m’amusait.
C’était en 2006, l’entreprise Bodia venait alors juste d’ouvrir, créée par la même équipe de logistique pour laquelle je travaillais. Les gens qui avaient monté cette affaire, Quentin Clausin, le designer, et Sylvain Perrier, le businessman français, cherchaient dans un premier temps des produits fabriqués localement pour agrémenter les soins et les traitements du Bodia Spa.
« Je me suis dit qu’il n’était pas très compliqué de fabriquer du savon, je savais produire des huiles essentielles et de l’huile de coco… je me suis donc lancé, d’abord dans la salle de bains, puis de façon bien plus professionnelle ensuite »
Il faut dire que l’on trouve tous les ingrédients nécessaires au Cambodge, à condition de faire l’effort d’aller les chercher à travers le pays. C’est ce que nous avons fait, profitant des week-ends pour aller au contact des producteurs et des artisans. C’est comme cela que ça a commencé : en recherchant non seulement des produits traditionnels, mais en recueillant aussi quelques méthodes traditionnelles de massage. C’est une tradition séculaire ici, à laquelle il fallait rendre ses lettres de noblesse.
CM : combien de salons possède l’enseigne aujourd’hui ?
Pré-crise ou post-crise ? Avant la crise, nous étions montés à sept salons de massage, mais quatre d’entre eux sont pour l’instant fermés. Les boutiques perdurent, et nos produits sont toujours distribués dans plusieurs lieux de vente. Nous travaillions beaucoup à l’époque avec le secteur touristique ainsi que dans les aéroports, avec les boutiques duty-free.
CM : Combien de références chez Bodia à présent ?
Auparavant nous proposions jusqu’à 250 produits, et nous devons nous situer à présent aux alentours de 170.
CM : Quelles sont les grandes familles de produits Bodia ?
Des gommages à base de riz, des savons, gels douche et shampoings, mais aussi des produits cosmétiques tels que les soins du visage et du corps, toujours inspirés d’un ingrédient particulier : charbon, moringa et autres.
CM : Sont-ils testés avant la mise sur le marché ?
Ce sont des produits certifiés, correspondant aux exigences et aux standards européens : sécurité des ingrédients, tests toxicologiques et microbiologiques, PH, irritabilité, allergènes, tout est strictement testé en laboratoire avant d’être mis sur le marché.
CM : Quelle est votre stratégie commerciale, et comment faites-vous face à la crise ?
C’est difficile pour nos employés, et il y a un avant et un après. Avant, dans nos deux activités sœurs que sont les spas et la fabrication de produits, 250 personnes travaillaient dans nos salons, et une soixantaine dans les ateliers.
Aujourd’hui, les spas sont fermés… Nous essayons de conserver le personnel aussi longtemps que possible, mais cela devient de plus en plus compliqué avec le prolongement des restrictions sanitaires. Nous attendons avec impatience la réouverture des spas.
« Quant aux produits, nous nous focalisons sur la vente en ligne afin de renforcer notre présence »
Concernant l’international, nous consolidons nos exportations, mais certaines étapes sont compliquées et nécessitent pas mal de travail. Mais, nous pouvons compter nos produits phares, comme ceux à base de charbon et de gotu kola, qui rencontrent un joli succès et sur lesquels nous mettons l’accent.
Nous avons en interne notre laboratoire et notre équipe de formulateurs professionnels français et nous sommes en développement perpétuel de formules inspirées par de nouvelles découvertes.
CM : Qu’est-ce que le gotu kola ?
Il s’agit du centalia asiatica, une plante indienne bien connue des Cambodgiens et depuis longtemps utilisée dans les remèdes traditionnels. Nous l'associons avec une protéine extraite du cocon de soie, la séricine, qui possède de nombreuses propriétés pour la peau, elle est à la fois adoucissante, régénérante et antioxydante.
CM : Pouvez-vous nous parler du projet des Cardamomes ?
C’est un projet qui concerne les huiles essentielles, monté en parallèle avec l’équipe de Fauna and Flora International. La communauté locale produit beaucoup de bananes, mais le lieu est isolé et très difficile d’accès, ce qui les rend extrêmement dépendants des intermédiaires liés au transport.
Pour être rentables, les cultures sont étendues, entraînant une déforestation grandissante. Des alternatives économiques sont recherchées, notamment pour la production de lemongrass.
Nous avons formé des villageois à la distillation, et recevons donc des huiles essentielles fabriquées sur place et pour lesquelles nous leur garantissons un prix d’achat fixe. Nous intervenons à tout les niveaux. non seulement en formant les membres de l' association, mais aussi en fournissant l'équipement et en garantissant le débouché commercial.
CM : Comment voyez-vous l’avenir ?
On s’accroche ! Il est de toute façon hors de question d’arrêter une activité qui dure déjà depuis 12 ou 13 ans.
« Notre principale ambition est de devenir la première marque de cosmétiques cambodgienne reconnue à l’international et de renforcer les exportations »
Il faut aussi explorer la pharmacopée cambodgienne, qui est absolument incroyable. Nous l’avons déjà fait par le passé en collaborant avec la Fondation Mérieux. Un livre remarquable sur l’utilisation médicinale de la flore du pays et publié par l'équipe de l'entreprise PIERRE FABRE qui a une cellule d'étude des actifs des plantes Cambodgiennes au sein de l' université de pharmacie en lien avec l' université royale de médecine traditionnelle.
Cette médecine traditionnelle est riche d’une très vieille histoire, qui nécessite d’être développée. Nous avons notre laboratoire, notre équipe de recherches, et c’est sur cette extraordinaire médecine que nous allons encore plus nous pencher.
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