Mme Khao Levasseur demeure la figure emblématique et la belle âme d’une entreprise phare dans le domaine de la construction au Cambodge. Après un démarrage modeste au début des années 90, LBL deviendra au fil des années une société réputée pour sa recherche permanente de l’excellence et le respect de ses engagements.
Parcours et chronique d’une réussite au travers d’un entretien exclusif avec sa co-fondatrice :
Premières années
Cécile Lysine Khao — Levasseur naît d’une famille sino-khmère nombreuse et aisée à Phnom Penh où elle passe les premières années de son enfance et adolescence dans la capitale jusqu’en 1967, année où elle part en France pour étudier.
Auparavant, elle devra suivre une scolarité dans la langue de son pays. Arrivée en France, il fallut s’adapter car l’objectif était l’intégration et pour cela bien maîtriser la langue française. Il était important de pouvoir communiquer en français. Je parlais chinois avec ma mère, cambodgien avec mon père et, à table, nous parlions français, confie-t-elle. Alternant des études dans une section « industrie et commerce » à Saint-Vincent de Paul, elle obtint plusieurs distinctions.
Premières affaires
Très jeune, dès l’âge de vingt ans, Cécile Lysine crée ses premières entreprises, « car je ne souhaitais pas travailler pour les autres », confie-t-elle.
« J’ai commencé par monter deux instituts de beauté avant d’investir dans une brasserie. C’était une époque extraordinaire. Dans les années 80, les affaires marchaient bien, les gens consommaient beaucoup.
« C’était la belle époque pour les affaires, mais nous travaillions dix à douze heures par jour. Puis, j’ai vu l’économie du pays chuter »
Concernant les liens avec le Cambodge, elle souhaitait retrouver quelques membres de sa famille. Grâce à la Croix-Rouge, elle parviendra à en retrouver quelques-uns. Pour elle, le Cambodge demeurait son pays, mais elle n’avait pas vraiment le temps d’y penser en raison de son activité débordante.
Premier retour
En 1991, sa sœur et son mari qui travaillaient pour l’association Les Enfants du Cambodge lui suggèrent de revenir. Gardant d’excellents souvenirs de son enfance dans le royaume, elle se dit alors « pourquoi pas ? ».
Elle revient donc dans le pays avec quelques amis pour voir sa sœur et la famille restée là-bas. Mais, ayant construit sa vie professionnelle et sociale en France, elle n’envisage pas encore de s’y installer.
« Je n’ai pas vraiment reconnu le Cambodge. J’avais des souvenirs de la belle époque et c’était devenu tellement différent. Je me suis interrogée sur ce qui pouvait être entrepris pour reconstruire le pays. Je suis rentrée en France au bout de trois semaines toujours dans l’expectative, mais je ne prévoyais pas encore de monter une affaire », explique-t-elle.
C’était en septembre 1991. Finalement, en fin d’année elle décide de se lancer avec un partenaire, l’entreprise LBL Méditerranée, une société bien établie à Marseille et spécialisée dans la construction haut de gamme :
« Ce partenaire a bien joué le jeu. Avec un des associés, nous sommes revenus au Cambodge et avons créé LBL International, une société “familiale et amicale” dans laquelle la famille était également impliquée », dit-elle.
À l’époque, il s’agit d’un pari plutôt risqué, les conditions s’avèrent difficiles après tant d’années de guerre. La capitale se trouve sous couvre-feu, pas ou peu d’électricité, pas d’eau potable et des routes et infrastructures en mauvais état ou détruites…
« Donc, les deux premières années, c’était surtout mon neveu Thierry Loustau qui s’en occupait et, pour ma part, j’avais toujours ma vie en France et effectuai de fréquents aller-retour entre les deux pays », explique Cécile Lysine.
Premiers chantiers
LBL débutera son activité avec des petits chantiers, quelques maisons à rénover. « Nous réaliserons qu’il s’avèrait extrêmement difficile de trouver localement des ouvriers, cadres, ingénieurs et techniciens qualifiés », se souvient-elle.
« Nous faisions donc venir des professionnels de France pour chaque corps d’état. Heureusement parmi nos associés un directeur technique compétent, Robert Latil, a pu se charger de la formation et des aspects techniques liés à la construction. Nous avons vu notre activité se développer rapidement, car il existait beaucoup de demandes pour la rénovation ou la réhabilitation de bâtiments », ajoute-t-elle.
L’UNTAC (United Nations Transitional Authority in Cambodia), établie début 1992 en pour assurer le bon déroulement des élections prévues en 1993, lui fait part de besoins de constructions de casernes et petites infrastructures.
« Nous étions probablement la seule entreprise de construction fiable dans le pays et nous avons donc vite travaillé ensemble. L’UNTAC a été notre premier gros client et l’entreprise employait alors une centaine de travailleurs, sans compter les expatriés qui effectuaient des aller-retours », raconte Mme Khao.
Ces années-là, elle montera quelques autres affaires, finançant entre autres un atelier de bijouterie qui embauchait des handicapés physiques, et il y en avait malheureusement beaucoup à l’époque en raison des mines. Elle achètera des pierres et du matériel pour qu’ils puissent tailler et créer des bijoux et embauchera quelques spécialistes chargés de les former à ce métier. Une des premières entreprises sociales à l’époque.
Mais, ce n’était pas suffisant pour la femme d’affaires débordante d’énergie :
« J’ai également ouvert des restaurants. Nous avions d’ailleurs monté le plus grand établissement français de l’époque, le Passe-temps dans le Cercle Sportif (Youth Club) qui se trouvait à l’emplacement de l’actuelle Ambassade des États-Unis.
C’est ainsi que famille et amis participeront à la création du journal le Mékong dont le siège et le bureau étaient hébergés par LBL. L’intention consistait à donner plus d’informations aux Français qui voulaient s’installer au Cambodge, qui n’était pas un pays facile.
Nous avions, dans ce même esprit, créé Phnom Penh Accueil, dont Lysine fut l’un des membres fondateurs.
« Une structure qui existe toujours », confie-t-elle.
« J’aime bien être très occupée, il faut que ça bouge »
Avec ces deux initiatives qui marchaient bien, LBL est devenu pendant quelque temps le quartier général des journalistes ou des Français qui venaient s’installer. Ils utilisaient le fax du bureau, par exemple, mais venaient aussi jouer à la pétanque et boire du pastis.
Cécile Lysine décrit ces premières années comme une période enthousiaste et intéressante, mais avec beaucoup de sacrifices. Elle parle de journées réellement trop courtes et d’un cruel manque de professionnels qui l’obligera à assumer beaucoup de tâches.
« Nous travaillions énormément et passions pas mal de nuits blanches, en particulier dans la période des appels d’offres », confie-t-elle, expliquant aussi qu’en aucun cas elle ne souhaitait dévier de ses ambitions :
« J’avais la chance d’être bien entourée, mon neveu Thierry Loustau qui avait une solide formation en droit international, mon associé Robert Latil s’occupant de l’aspect technique et moi-même de l’administration et des finances. Travailler en famille demeurait pour moi une excellente alternative, car nous travaillions avec le même objectif : la réussite. »
Et, selon elle, cela passe par la recherche de « l’excellence et la fourniture d’un travail de qualité au client, sans compter les heures ».
Croissance et reconnaissance
LBL va alors connaitre un développement régulier avec les hauts et les bas inhérents à la vie d’une entreprise. Entre 1993 et 1997, l’entreprise s’est installée et a grandi avec une image de référence haut de gamme, à l’écoute de ses clients et respectant ses engagements, tant en termes de planning, de qualité que de budget.
« Pour cela, nous travaillions beaucoup, nous entourions de gens compétents et étions les premiers à faire venir du matériel de pointe pour nos chantiers », raconte la cheffe d’entreprise.
L’une des réalisations majeures de LBL sera d’ailleurs l’installation du plus gros câble de fibre optique pour Alcatel dans le Royaume. Un chantier qui fera d’ailleurs l’objet d’un documentaire de Rithy Panh sorti en 2000 et intitulé « La terre des âmes errantes ».
« Quelque part, je pense que nous avons, tout au long de ces années, participé à la création de standards dans le secteur au niveau local, avec de la qualité et une excellente gestion des projets », précise Mme Khao.
Toutefois, en 1997 lors du coup d’état, la situation devint excessivement difficile. Alors en travaux sur l’hôtel le Royal pour RAFFLES, l’entreprise verra des insurgés voler et détruire une bonne partie du matériel et des fournitures du chantier. Travaillant également avec le Prince Rannaridh pour ses bureaux, l’achèvement du chantier sera aussi largement compromis.
« Nous avons perdu beaucoup d’argent, les assurances ne couvraient pas les dommages occasionnés par les évènements. Cela a créé une assez longue période de doute et d’incertitude de la part des investisseurs. La demande de construction s’est raréfiée », explique-t-elle, précisant :
« Quelque part, nous avons tout de même pu travailler ensuite pour l’aéroport de Pochentong qui avait subi d’importants dégâts et qu’il fallait rénover. Nous avions déjà acquis la réputation d’une entreprise de confiance et LBL a été sollicitée pour de nombreux travaux concernant les bâtiments endommagés après l’insurrection ».
Ensuite, à partir des années 2000, la situation s’améliore et l’entreprise évolue quasiment en parallèle avec le développement du pays :
« Nous continuions à construire des bâtiments, villas et résidences de luxe, mais observions une demande d’hôtels plus importante. Nous avons été sollicités pour la Résidence d’Angkor à Siem Reap mais aussi pour le prestigieux projet thaïlandais Napasai Samui.
Nous sommes devenus ainsi la première entreprise de construction cambodgienne à travailler à l’international. En fait, le groupe Pansea qui possède la Résidence d’Angkor avait été enchanté de notre travail et nous avait donc demandé de monter une antenne en Thaïlande pour le projet Samui, mais aussi beaucoup d’autres. Nous avons d’ailleurs “exporté” nos équipes cambodgiennes pour ces travaux ».
La tendance de développement s’accentue à partir de 2006 malgré la crise internationale de 2008.
Chantier de « référence »
S’il y a eu des projets importants qui ont constitué des repères dans la croissance, Mme Khao déclare ne pas pouvoir parler précisément de « référence ». Selon elle, la croissance a été exponentielle avec de beaux projets qui l’ont confortée dans ses ambitions :
« Nous étions pris dans le mouvement et donc portés par la recherche permanente d’atteinte de notre objectif de réussite »
Néanmoins, l’arrivée de clients de prestige tels Vinci — Cambodia Airports (plus d’une vingtaine de projets), l’Union européenne, Sokha — le plus grand hôtel du pays — et DFS — T Galleria constituent des étapes significatives et extrêmement encourageantes dans l’activité. En effet, s’agissant de clients très exigeants avec des standards qui placent la barre très haut, l’entrepreneure se dit plutôt fière :
« Malgré parfois quelques difficultés, nos clients se sont montrés très satisfaits et ont, jusqu’à aujourd’hui, continué à nous accorder leur confiance. »
Présence et relève
« Oui, j’allais sur les chantiers, et échangeais volontiers sur leurs problèmes. Je mets un point d’honneur à être une patronne humaine et proche de ses employés, ce qui ne m’empêche pas d’être exigeante. Je fonctionne aux sentiments et je pense que cela marche très bien », confie Cécile Lysine.
« Aujourd’hui, c’est plus difficile en raison de la taille de l’entreprise, plus de 2000 personnes, et mon fils prend la relève. À un certain âge, il faut savoir passer la main, donc je laisse cette relève à mon fils Jérôme et à mon associé Stéphane », dit-elle.
« À un moment, je me suis dit que Jérôme connaissait bien le pays, il entretient à présent un bon réseau de connaissances et d’amis et partage le même point de vue ‘familial’ concernant le besoin d’excellence, savoir s’entourer et chercher la réussite », poursuit la cheffe d’entreprise, ajoutant :
« Aussi, mon associé Thierry, le cousin de Jérôme qui était une figure importante de l’entreprise a souhaité prendre du recul et devenir un actionnaire passif. Mon fils est revenu définitivement en 2016, lors d’un boom incroyable de la construction et il a su gérer une situation très exigeante tout en restructurant l’entreprise pour la rendre plus performante et mieux organisée sans obérer l’aspect familial ».
« Donc, oui, je pense aujourd’hui que mon fils est prêt. Je suis fière de lui car il représente le sang neuf dont j’ai besoin »
En conclusion à propos de l’histoire, loin d’être finie, de l’entreprise, Mme Khao déclare : « je continue à travailler au bureau dans ce que je fais de mieux, l’administratif, la finance et les relations avec les institutions ».
« Pour finir, j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir travailler avec des gens passionnés et travailleurs, ce fut et continue d’être la clé de la réussite », cette réussite est largement imputable à la qualité et à la fidélité des personnels de LBL et je leur en suis très reconnaissante » s’exclame la cheffe d’entreprise qui aujourd’hui compte plus de 300 projets achevés.
Énergie et passion
Concernant le secret de sa forme, l’énergique femme d’affaires confie que depuis 28 ans, elle s’impose un kilomètre de natation chaque matin. Pour la forme physique, mais aussi, car cela lui permet de réfléchir à son emploi du temps de la journée. Ensuite, elle arrive au travail en forme pour s’occuper de la gestion et en particulier des aspects comptables et financiers avec la directrice financière Isabelle.
À propos des splendides peintures exposées dans son bureau, Cécile Lysine confie être une authentique passionnée de peinture :
« mais je ne peins que deux ou trois heures par semaine par manque de temps. J’adore cette activité. D’ailleurs les peintures de ce bureau sont mes créations, des œuvres que je n’ai jamais eu envie d’exposer. Je peins uniquement par amour et passion ».
Quant à sa vie sociale : « je l’ai réduite, car j’ai dû, pour l’entreprise, sortir, me rendre à beaucoup événements durant de nombreuses années et il s’agit aujourd’hui d’une époque révolue », conclut-elle.
CG
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