Dans une pagode de Siem Reap, chats et chiens en détresse profitent des soins prodigués par une infatigable défenseuse de la cause animale : Josette Vanneur
C’est un havre de paix pour tous les animaux errants, qui y trouvent soins, nourriture, tendresse et réconfort. César, Lisa, Bowie, Jazz… Entourée d’une meute visiblement ravie de la voir, Josette s’interrompt après avoir effectué quelques présentations.
Tous les deux jours, quelle que soit la météo, cette personnalité bien connue des siemreapois enfourche son vélo aux couleurs chamarrées pour se rendre à la pagode
Impossible, en effet, de faire connaissance avec l’intégralité de la joyeuse bande, composée d’une cinquantaine de chats et d’une vingtaine de chiens. Seuls Josette et un bonze veillent sur ce petit monde, paradis pour les déclassés sur pattes. Bêtes abandonnées, retrouvées blessées ou rongées par la maladie, toutes ont eu la chance de croiser la route d’un bien attachant ange gardien.
Chats des pagodes
« Il y a pire, comme bureau, vous ne trouvez pas ? », déclare Josette Vanneur, sourire en coin, toute occupée à remplir les nombreuses gamelles qui jonchent le sol. Des bêtes aimantes, une petite musique sacrée en fond sonore et le chant des moines lui donnent raison. Pourtant, veiller sur une telle ribambelle requiert une attention constante. Tous les deux jours, quelle que soit la météo, cette personnalité bien connue des siemreapois enfourche son vélo aux couleurs chamarrées pour se rendre à la pagode.
Sacoches chargées de nourriture, elle parcourt les quelques kilomètres qui la séparent de son domicile, ramenant parfois chez elle les pensionnaires requérant des interventions impossibles à effectuer sur place. Dans sa maison, la chambre d’ami a depuis longtemps été remplacée par une petite clinique rudimentaire, mais suffisante pour prodiguer les soins basiques enseignés par les nombreux vétérinaires qui lui rendent régulièrement visite. Car l’engagement de Josette Vanneur en faveur de la cause animale a franchi les frontières, motivant les échanges entre professionnels ou simples particuliers, tous bénévoles, venus pour prêter main forte à une association qui fêtera cette année ses sept ans d’existence.
Entre joies et désillusions
Sept années au cours desquelles Josette aura connu des joies intenses, réussissant à sauver bon nombre d’animaux promis à une mort certaine. Intarissable, cette amoureuse des bêtes énumère les mésaventures qu’ont dû traverser ses pensionnaires. D’un œil avisé, passant d’un animal à un autre en prodiguant une égale attention, elle repère immédiatement les petits bobos ou, parfois, les cas plus graves qui nécessitent une intervention médicale. Brûlures, tiques et puces, morsures, maladies de peau, pattes cassées ou plaies infectées font partie des pathologies les plus couramment observées.
Difficile d’imaginer toutes ces épreuves en voyant chiens et chats en bonne santé, couvés par le regard attentif de leur bienfaitrice. Certains, souvent les plus jeunes, ne parviennent néanmoins pas à survivre. « C’est pourquoi nous attendons toujours un peu avant de leur donner un nom » semble s’excuser Josette, qui a aussi connu de profondes déceptions.
Autrefois basée dans une autre pagode, sa fondation a été confrontée à la bêtise et à la cruauté, lorsque ses jeunes pensionnaires ont été éliminés sans ménagement. « Un haut dignitaire religieux a un jour visité la pagode et a trouvé qu’il y avait trop d’animaux dans son enceinte. Le lendemain, chats et chiens ont été dispersés, et les chatons jetés dans un bassin, enfermés dans des sacs poubelle ». Une expérience traumatisante pour une personne qui aura consacré autant de temps et d’énergie à la cause animale.
« J’ai rencontré des producteurs, des réalisateurs, et j’étais payée pour voir des films. C’était le bonheur ! »
Conjurant son amertume, Josette trouve quelques semaines plus tard un soutien inespéré dans une autre pagode, dont elle préfère taire le nom. « Une fois que les gens savent où se situe “la pagode des chats”, certains n’hésitent malheureusement pas à venir se débarrasser d’une portée non désirée ou d’une bête malade. Tout en se donnant bonne conscience, sachant que les bêtes seront soignées et nourries ». Il est toutefois possible, et même encouragé d’accompagner Josette lors de l’une de ses visites. Seule contribution requise : amener un ou deux sacs de croquettes et beaucoup de caresses.
Suivre son instinct
Comme ses chats, Josette Vanneur semble avoir connu plusieurs vies, toutes guidées par un seul leitmotiv, celui de la passion. Passion pour le cinéma tout d’abord, milieu dans lequel elle évolue 14 ans durant à Paris, supervisant le sous-titrage français de films américains. « J’ai travaillé sur pas mal de nanars, mais aussi sur de grosses productions telles que Out of Africa ou E.T. J’y ai rencontré des producteurs, des réalisateurs, et j’étais payée pour voir des films. C’était le bonheur ! ». Pourtant, une autre fascination prend peu à peu le dessus, celle pour le Japon. Elle s’y rend une première fois, et, de retour chez elle, prolonge son évasion en apprenant la langue, la calligraphie et les coutumes les plus ancestrales telles que la cérémonie du thé.
« J’avais certes donné, à Tokyo, quelques soins aux chats du quartier, mais avec Katie, nous sommes passées à un stade bien supérieur »
Dans le quartier de l’Opéra, elle fréquente la communauté japonaise, tisse des liens et se décide à franchir le pas en compagnie de son chat Swannee, « l’amour de ma vie ». Sur place, une agence de voyage de grande envergure la repère, lui propose une période d’essai de trois jours « qui aura finalement duré 21 ans », confie-t-elle. Après deux décennies de vie tokyoïte, la voilà qui découvre le Cambodge. Sourires, climat, majesté des temples l’ensorcellent immédiatement. Elle y revient, décide d’apprendre le khmer, s’imagine y vivre et concrétise son rêve en démissionnant d’un poste pourtant prestigieux, à deux ans de la retraite. Sans aucun regret.
Une rencontre décisive
Elle pose dans un premier temps ses valises à Phnom Penh, et décide de consacrer son temps libre à une ONG. Déçue par cette expérience et par la vie dans la capitale, elle s’établit finalement à Siem Reap, où elle croise la route d’une vétérinaire australienne, Katie Russell. Ensemble, ces deux femmes de terrain s’engagent et échangent leurs compétences. Josette Vanneur, qui venait d’arriver à Siem Reap, y trouve une cause à sa mesure.
« J’avais certes donné, à Tokyo, quelques soins aux chats du quartier, mais avec Katie, nous sommes passées à un stade bien supérieur ». Malheureusement, au bout de 9 mois, sa comparse est contrainte de regagner d’urgence son pays. Josette décide alors de lui racheter tout son matériel, table d’opération, produits anesthésiants, instruments chirurgicaux… Armée de tout l’attirail nécessaire, elle se lance seule dans la fondation de son association, qu’elle baptise « Siem Reap Pagoda Cats ».
Une solidarité sans faille
Une fois par an, une grande tombola est organisée, lui permettant de financer ainsi frais médicaux et nourriture, dont le budget annuel atteint les 5 000 $. La vente de T-shirts et de calendriers complète les revenus. L’association peut aussi compter sur les dons tant en espèces qu’en nourriture, sans oublier l’assistance bénévole de volontaires venus de tous les pays, France, États-Unis, Australie… Certains posent leurs valises pour des semaines, d’autres pour seulement quelques jours, notamment pour y mener des campagnes de stérilisation gratuite. Apportant non seulement leur aide, mais également le souvenir de rencontres exceptionnelles.
« il me déplaît de digérer des agonies »
« Durant plus d’un an, Dr Don, un vétérinaire américain, est venu m’épauler. Et puis, il y a eu aussi ce vétérinaire japonais, Seigo Yoshimura, venu tout exprès pour quelques jours de soins, me laissant à son départ tout son matériel médical. Sans leur aide, les premières années auraient été particulièrement difficiles : il était autrefois quasiment impossible de se procurer à Siem Reap les médicaments les plus basiques ou de trouver des vétérinaires compétents. Heureusement, les choses ont changé ». Les chats et chiens, une fois guéris, restent le plus souvent dans la pagode. D’autres sont adoptés, 119, très exactement, depuis la création de la fondation.
Bien plus encline à parler de ses bêtes que d’elle-même, l’ancienne Parisienne, gouailleuse et pétillante, poursuit inlassablement son œuvre. Femme de convictions, toute dévouée à la cause animale sans faire preuve de prosélytisme excessif, cette végétarienne cite volontiers Marguerite Yourcenar (« il me déplaît de digérer des agonies », avait déclaré l’académicienne).
Son combat à elle se déroule ici, dans l’enceinte d’une pagode, cherchant à donner du réconfort à des animaux délaissés auxquels personne d’autre ne se serait intéressé. Et cela constitue déjà un remarquable tour de force.
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