En 2012, au Cambodge, le taux de mortalité infantile (enfants de moins d’un an) était estimé à 33,6 pour 1 000 naissances vivantes (1). Les maladies infectieuses, parmi lesquelles les infections bactériennes, restent l’une des principales causes de mortalité au cours de la petite enfance dans le royaume. Le peu d’études menées au Cambodge ont montré que la résistance aux antibiotiques avait déjà atteint des niveaux alarmants (2).
Programme BIRDY
Le programme BIRDY (“Bacterial Infections and antibiotic Resistant Diseases among Young children in low-Income countries”) avait pour objectif d’évaluer l’incidence des infections néonatales et infantiles et des résistances aux antimicrobiens dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Une cohorte internationale pédiatrique a été créée et suivie au sein du réseau international des Instituts Pasteur à Madagascar, au Sénégal et au Cambodge.
Au Cambodge, le programme BIRDY (2014-2018) a été mené par l’Institut Pasteur du Cambodge par l’Unité de santé publique et d’épidémiologie en collaboration avec le laboratoire médical. Dans un site urbain du district de Steung Meanchey à Phnom Penh, et dans un site rural de la province de Kampong speu, 814 femmes et leurs nouveau-nés ont été inclus et suivis jusqu’à l’âge de deux ans. Chaque enfant bénéficiait de 24 visites régulières à domicile par des moniteurs d’étude clinique et, en cas de signes d’infection, était évalué par un pédiatre des centres collaborateurs (Hôpital Pédiatrique National, Hôpital de l’Amitié Khméro-Soviétique, Hôpital de référence de Kampong Speu).
Résultats
Les résultats ont montré une prévalence extrêmement élevée de portage digestif de bactéries résistantes aux antibiotiques les plus fréquemment utilisés au Cambodge (Ampicilline, Céphalosporines). Ces bactéries sont appelées Entérobactéries productrices de bêta-lactamases à spectre étendu (E-ESBL), les ESBL étant des enzymes conférant une résistance à la plupart des antibiotiques de la famille des béta-lactamines.
79,2% des femmes au moment de l’accouchement étaient porteuses digestives de ces bactéries. Toutes ces E-ESBL étaient classées comme multi-résistantes aux antibiotiques et la résistance associée à d’autres familles antibiotiques était courante (fluoroquinolones 92%, gentamycine 46%). Les facteurs associés au portage digestif de ces E-ESBL étaient de faibles revenus familiaux, la malnutrition des femmes pendant la grossesse et certaines habitudes alimentaires comme la consommation régulière de porc, de viande séchée ou de légumes crus. Parmi les nouveau-nés, la fréquence du portage d’E-ESBL était déjà de 53,1% au troisième jour de vie et restait stable à un et six mois de vie. Ces résultats, s’ils sont comparables à quelques autres études en Asie du Sud-Est, sont parmi les plus élevés mondialement (3).
Le portage digestif d’E-ESBL étant un facteur de risque d’infection tant pour la mère que pour le nouveau-né, de telles fréquences de portage digestif sont particulièrement préoccupantes, car la plupart des antibiotiques seraient inefficaces en cas d‘infection par ces mêmes bactéries.
Cette étude souligne le besoin de mesures urgentes de santé publique pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens. Un plan d’action national multi-sectoriel de lutte contre la résistance aux antimicrobiens a été développé et devrait être prochainement mis en œuvre au Cambodge.
(1)UNICEF (2)Vlieghe et al., “Prevalence and Distribution of Beta-Lactamase Coding Genes in Third-Generation Cephalosporin-Resistant Enterobacteriaceae from Bloodstream Infections in Cambodia”; Vlieghe et al., “Bloodstream Infection among Adults in Phnom Penh, Cambodia”; Stoesser et al., “Pediatric Bloodstream Infections in Cambodia, 2007 to 2011.” (3) Karanika, Styliani, Theodoros Karantanos, Marios Arvanitis, Christos Grigoras, and Eleftherios Mylonakis. “Fecal Colonization with Extended-Spectrum Beta-Lactamase-Producing Enterobacteriaceae and Risk Factors among Healthy Individuals: A Systematic Review and Meta Analysis.” Clinical Infectious Diseases.
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