Le romancier Guillaume Sire a reçu le Prix Orange du Livre 2020 pour son ouvrage dont l’histoire se déroule au Cambodge : « Avant la longue flamme rouge », publié par les éditions Calmann-Lévy.
Note de l’éditeur
« Il essaye de courir en poussant sa famille devant lui, mais un hurlement ouvre le ciel et une mitraillette frappe des millions de coups de hache partout en même temps. Dans le Royaume, il y a des vrombissements lointains. »
1971 : le Cambodge est à feu et à sang. Saravouth a onze ans. Sa petite sœur Dara en a neuf. Leur mère enseigne la littérature au lycée français. Leur père travaille à la chambre d’agriculture. Dans Phnom Penh assiégée, le garçon s’est construit un pays imaginaire : le « Royaume Intérieur ». Mais un jour, la guerre frappe à sa porte. Les fondations du Royaume vacillent. Séparé de ses parents et de sa sœur, réfugié dans la forêt sur les rives du Tonlé Sap, Saravouth devra survivre dans un pays en plein chaos, animé par une volonté farouche de retrouver sa famille.
Un roman d’une rare puissance, inspiré par une histoire vraie, un destin bouleversant.
A propos
En 1971, le Cambodge est en pleine guerre civile. Le roi Norodom Sihanouk vient d’être destitué par le général Lon Nol. Celui-ci, désormais allié aux États-Unis, tente de résister à la montée en puissance des Khmers rouges. Dans ce contexte, Phnom Penh, la capitale, est encore relativement préservée, et la famille de Saravouth, onze ans, vit à peu près normalement. Le père est un fonctionnaire intègre, la mère est enseignante au lycée français de la ville, Saravouth et sa petite sœur Dara sont des enfants intelligents et un peu solitaires, à qui leur maman lit de belles histoires le soir. Grâce à Peter Pan, à l’Iliade et à l’Odyssée, Saravouth et Dara ne cessent d’enrichir leur « Royaume Intérieur », un monde imaginaire où toutes les inventions et les aventures sont permises. Mais l’étau se resserre peu à peu autour de cette famille modèle, catholique, tranquille. Un enlèvement, une fusillade, et Saravouth se retrouve seul dans la forêt, gravement blessé. Recueilli par une vieille guérisseuse, il ignore ce qui est arrivé à ses parents et à sa sœur, et veut partir à leur recherche. Convaincu qu’ils l’attendent tranquillement à la maison, son idée fixe est de rallier Phnom Penh. Mais le retour vers la capitale assiégée est semé d’embûches et de violences inouïes, tandis que les conditions de vie en ville deviennent dantesques : l’afflux massif de réfugiés, les combats qui se rapprochent, les tirs de roquette, les vols, les viols, les meurtres, les trahisons, la promiscuité, les rats, la faim et le manque de tout, jusqu’à la chute…
Inspiré d’une histoire vraie, ce récit est très dur. Les mots de René Char, l’auteur préféré de la mère de Saravouth, « Il faut trembler pour grandir », sont ici poussés à l’extrême. C’est le récit d’une enfance meurtrie à jamais, qui tente de se protéger des atrocités de « l’Empire extérieur » en se réfugiant dans l’imaginaire. C’est celui d’une volonté acharnée de retrouver les siens, mais aussi d’un effarant stress post-traumatique à retardement, une défaite intérieure et un pays perdu, et des blessures irréparables. Ce sont aussi des personnages attachants, des scènes à la limite du soutenable, d’autres poignantes, une narration à hauteur d’enfant. Une Odyssée terrible qui s’achève au-delà des pages, si l’on veut bien suivre la suggestion de l’auteur dans l’épilogue…
En partenariat avec les Éditions Calmann-Lévy via Netgalley
Critique
Pardon M. Sire d’avoir par instant trouvé bien longue et tellement triste la quête de Saravouth, les souffrances insoutenables, les visions d’apocalypse où parfois je me suis senti seul, au beau milieu d’une des toiles les plus sombres de Jérôme Bosch quand la méchanceté des hommes, des bêtes et même des plantes n’ont plus de limites.
Merci M. Sire de m’avoir fait comprendre avec tant d’acuité pourquoi, lors d’un voyage au Cambodge, mon guide, dans le minibus entre les temples d’Angkor et le lac Tonlé, s’est mis à pleurer en chantant « La vie en rose » d’Édith Piaf. « Quand il me prend dans ses bras » …
Sa mère est morte dans les siens. Il ne lui parlera plus jamais tout bas.
Cambodge 1971. Dans le royaume imaginaire de Saravouth, dans la baie du matin clair, il y a des canards à flûtes, des trompettes à groseilles et des arbres à brumes. Dans le monde réel, il y a Lon Nol qui a renversé Sihanouk et le royaume bascule en empire où les Khmers tuent les pères et les mères.
Pourquoi faut-il que par des phénomènes extérieurs à l’univers intérieur de Saravouth le malheur vienne envahir et détruire le petit monde de cette famille heureuse ? Ce roman m’a touché autant qu’il m’a tourmenté, j’ai cherché avec Saravouth, sa mère, son père, sa sœur. Avec espoir, sans illusion. Avec courage, sans sentiment.
La poésie du texte est engloutie par la désolation, la vermine, la mort et les viols. Le contexte historique n’est que très peu évoqué, seule la guerre civile explose dans ces pages, les troupes de Lon Nol, les Viêt-Cong et les Khmers ruinent, ravagent, saccagent tout sur leur passage.
Bien sûr, Saravouth trouvera quelques îlots de réconfort dans l’écroulement de sa vie. Laï, la sorcière des bois le soignera de sa balle dans la tête. Épisode épique et écrits crus. Parvenu après mille embûches aux environs de Phnom Penh, il sera recueilli quasiment mort par le Père Michel qui gère l’orphelinat dans les cris incessants des orphelins-nourrissons. Il se fera un ami, presque un frère de Vanak qui lui apprendra à faire briller les chaussures avec les bas de soie des prostituées prostrées devant tant de cruauté.
Son monde parallèle peuplé de chimères, de Peter Pan, de Tiger Lily et de banane-girafe le soutiendra depuis Charybde jusqu’à Scylla, mais il vacillera quand, il faudra avec les Américains partir pour une autre vie qui ne sera jamais la sienne. Son épouse canadienne lui donnera trois beaux enfants, mais ne pourra résister à cette vie où Saravouth exhume tellement de châtiments, qu’il commence à sombrer dans la folie.
Dans l’épilogue, M. Sire nous démontre que Saravouth existe vraiment, et que maintenant, dans les rues il joue avec talent aux échecs, lui qui a en a tellement essuyé.
Par Pancrace
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