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Histoire : Le Cambodge vu par le Docteur Harmand en 1876

Dernière mise à jour : 27 nov. 2019

Le Cambodge vu par le Docteur Harmand

(Société de géographie, octobre 1876)

Pendant les derniers mois de 1876, M. le docteur Harmand a remonté le MéKong jusqu’à l’île de Khong. De là, il a effectué un voyage d’exploration à l’ouest du fleuve, dans les provinces siamoises deMulu-Prey, de Tonlé-Repau et de Compong-Soay. Divers accidents, tels que la perte de ses armes et l’abandon d’une partie de son escorte, l’ont forcé à rentrer en Cochinchine. Il n’a pu compléter les études qu’il s’était proposé de faire ; il a toutefois rapporté des faits intéressants et dressé une carte des pays qu’il a traversés, dans lesquels aucun Européen n’avait encore pénétré.

Les pages qui suivent résument les observations du docteur Harmand, d’après des rapports adressés par le voyageur au Ministère de l’Instruction publique et au Gouverneur de la Cochinchine.



Première partie :

Il n’y a rien de nouveau à dire sur le grand fleuve dans sa partie cambodgienne : ces contrées sont suffisamment connues et facilement accessibles. Les rives sont très peuplées et d’apparence prospère ; les cultures principales sont le coton, le tabac, le maïs, dont les prix ne diffèrent pas sensiblement de ceux du marché de Phnom-Penh. Ce qu’il y a de particulièrement remarquable, c’est la façon dont les diverses races établies au Cambodge se sont distribué le travail. L’indolent Cambodgien se contente de laisser tomber quelques graines dans un limon d’une fertilité inouïe et d’attendre que le Chinois arrive lui acheter ses récoltes pour les transporter à Phnom-Penh.

Les Malais (Chams ou Malais proprement dits), race trop peu étudiée, qui a joué autrefois un rôle considérable sur ces rives, sont au contraire agriculteurs et commerçants. Ils sont répandus surtout sur la rive droite, et leurs villages se distinguent par un plus grand air de propreté et par la présence de l’arbre à pain qu’ils ont importé, mais qui vient assez mal et ne donne que de petits fruits. Les aptitudes multiples de cette race active, fière et honnête, le contraste moral qu’elle présente avec les Cambodgiens attirent forcément l’attention et ne peuvent manquer de provoquer de nombreuses réflexions sur l’avenir de cette partie du Cambodge.

Chinois

Les Chinois sont répandus partout, on les trouve dans les moindres villages. Ils se divisent en deux catégories. Les uns, établis depuis fort longtemps dans le pays, sont des métis qui, physiquement, gardent beaucoup de leur origine, mais se rapprochent singulièrement des Cambodgiens par les mœurs, les habitudes et les superstitions, tout en leur étant encore supérieurs. Ceux-là se livrent aux cultures riches et semblent se désintéresser du négoce. Sans être très affirmatif sur un point trop rapidement étudié par lui, M. Harmand croit que l’émigration des Chinois au Cambodge est plus prospère que jamais et que leur établissement y est définitif; le nombre des jeunes hommes et des enfants paraît être bien supérieur à celui des hommes faits; quant aux femmes résultant de ces croisements, le voyageur en a à peine aperçu, ce qui prouve chez ces métis une défiance encore plus grande que chez les Cambodgiens.

La seconde catégorie des Chinois est formée de trafiquants venant de Phnom-Penh ou de nos provinces acheter le coton, la cire, la soie, le stik-laque. Presque tous appartiennent aux congrégations d’Haïnam et du PhoKien. Les uns vivent dans leurs barques, les autres ont, dans les villages les plus riches, des espèces de pied-à-terre qui leur servent d’entrepôts et de magasins. Ces Chinois sont redoutés de la population et même des mandarins ; leur insolence est étonnante, on en a vu insulter le gouverneur de la province chez lui, en présence de la population, saris que celui-ci osât les faire saisir. Ils passent pour être les amis du roi; les fermes qu’ils ont su accaparer, leur métier de prêteurs à usure leur assurent une influence qui peut, à un moment donné, devenir très dangereuse.

Le dernier élément de cette population, le plus important au point de vue français, est formé par les Annamites, qui apportent là, comme partout, ce mélange de qualités et de vices qui les caractérise, cette activité admirable, leur esprit d’entreprise et malheureusement aussi leur inconstance et leur passion pour le jeu: des Annamites, venus au Cambodge avec des projets de fortune bien conçus, s’y sont trouvés réduits à la condition d’esclaves pour dette, ayant joué leurs bateaux, leurs marchandises et jusqu’à leur propre personne. Les Annamites s’établissent rarement sur les bords du fleuve d’une façon définitive, et s’ils se marient avec des Cambodgiennes, c’est pour les emmener en Cochinchine. Ils se livrent surtout à deux occupations qui nécessitent plus de travail que des capitaux, le commerce des bois et des pirogues et la pêche.


Le Cambodge vu par le Docteur Harmand en 1876


Presque tous les trains de bambous, de bois, de pirogues, de rotin, que les petites rivières tortueuses amènent dans le grand fleuve sont montés par des Annamites: ce genre d’industrie n’est pas sans dangers, et tous les visages portent des traces profondes de l’infection des forêts. La coupe des bois est absolument libre; il suffit de prévenir le chauvai-sroc (gouverneur) : quand les trains sont assemblés, on va lui payer un droit de 10 pour cent, le plus souvent en nature. Les trains sont généralement formés d’arbres de médiocre grosseur et de petites pirogues, les grosses pièces de bois sont devenues rares et les belles pirogues descendent à Phnom-Penh plutôt par le bras du lac.

Le seul endroit boisé qui existe encore à proximité de Phnom-Penh est le plateau de Sang-ké, sur la rive droite, province de Sroc-trang; les Annamites viennent y fabriquer du charbon et des pirogues. Le plateau que le fleuve a dû contourner et dont il a sapé la base depuis bien des siècles, est coupé à pic; il présente de belles falaises d’argile rouge et blanche (kaolin) en lits compacts.

Pour éviter de faire des routes, les Annamites lancent leurs pirogues à l’eau du haut de la falaise. Cette industrie s’arrête à partir de Sombor; il serait encore facile de faire passer aux eaux hautes et moyennes de longues embarcations et de gros troncs d’arbres qui abondent dans les îles désertes du fleuve, à partir de cette hauteur; mais les Annamites semblent reculer devant la violence d’un fleuve si différent de leurs arroyos. En sera-t-il toujours ainsi?

N’est-il pas permis d’espérer que nos nouveaux sujets franchiront les rapides, pour féconder un jour cette terre où les débris d’antiques civilisations attendent tranquillement la fin de leur décomposition, l’achèvement inévitable de leurs destinées? La seconde industrie des Annamites, industrie tout entière entre leurs mains, est celle de la pêche. La pêche n’est pas localisée dans le grand lac. Sur les bords du fleuve, dans le voisinage des grands bancs de sable ou bien dans les endroits où les fonds sont faibles, s’établissent des villages temporaires entièrement construits en bambou, leur établissement donne une très grande activité à la vente du bambou et du rotin.

L’un de ces villages, vu par M. Harmand près du plateau de Sang-Ké, sur la rive gauche, comprenait plus de soixante maisons, avec des aires de séchage immenses. Les commerces ou industries accessoires de la pêche ont une grande importance pour notre colonie: ce sont, outre le commerce des bambous, la vente des sels de Bassac faite par les Chinois et les Annamites; la tonnellerie, par les Annamites; la vente des grands filets, par les Annamites, enfin la vente des bois et écorces pour le tannage des filets. On peut encore citer pour mémoire le trafic qui se fait des sauvages Pénongs, assez nombreux à partir de Cratieh. Le prix de cette marchandise humaine est, à Cratieh, de trois barres pour un adulte, une barre ou une demi-barre pour un enfant.

Source : Archive.org (Domaine public)

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