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Archives & Histoire : Le souverain Jayavarman VII et la reconquête de l’Empire khmer

Le plus prestigieux des rois khmers de l’histoire ancienne du Cambodge reste sans aucun doute le roi Jayavarman VII (1128-1219) qui régna de 1178 à 1219 et étendra considérablement l’Empire khmer.

Le roi Jayavarman VII
Le roi Jayavarman VII

L’Empire khmer couvrait le Cambodge (khmer), la Thaïlande (Ayutthaya), le Sud-Vietnam (Champa), le Laos, la Birmanie et certaines régions de la Malaisie. Le roi Jayavarman VII rétablira cet empire entre 1178 et 1191 après une invasion Cham dévastatrice qui avait saccagé la capitale Angkor en 1178. Le roi s’avérait aussi fervent bouddhiste et avait établi ses préceptes comme religion d’État avec toutefois une certaine tolérance pour l’hindouisme durant son règne.

Archer accompli

Jayavarman VII était le fils du roi Dharanindravarman II, qui régna pacifiquement de 1150 à 1160. Le futur roi a grandi parmi les 1 000 princes qui vivaient à Angkor. Enfant puis jeune homme, Jayavaraman maîtrisait parfaitement l’art du tir à l’arc. Il aimait particulièrement se tenir sur le dos d’un éléphant pour chasser ou s’entraîner avec son arc. Les princes khmers officiaient traditionnellement comme archers juchés sur les éléphants, car il s’agissait de la position la plus honorifique et la plus attendue d’un prince pour le combat. Jayavarman VII n’était pas pressenti pour devenir roi et n’avait jamais pensé durant ses jeunes années qu’il régnerait un jour sur l’Empire khmer.

Bouddhiste

Fervent bouddhiste, Jayavarman rejetait la religion d’État, alors l’hindouisme, ce qui lui fit perdre les faveurs d’Angkor même lorsque son père régnait. Le jeune homme voulait suivre l’exemple de Bouddha, qui rejetait l’idée d’être prince ou roi pour atteindre l’illumination. Tous les bustes, statues et images de cette époque montrent le roi Jayavarman VII en méditation bouddhiste paisible. Il fut également réprimandé à plusieurs reprises pour avoir rejeté le système des castes et s’être lié d’amitié avec des serviteurs. Il semblait préférer la compagnie des castes inférieures aux autres princes et à la royauté. C’est pour cette raison que le père de Jayavarman, le roi Dharanindravarman II, choisira son cousin Yashovarman II comme successeur pour devenir roi à la place de son fils.

Jayavarman épousera deux sœurs bouddhistes profondément pieuses, la Princesse Jayarajadevi puis sa sœur Indradevi lorsque Jayarajadevi mourut.

Otage du Champa

En 1165, le Champa exigea un prince khmer en otage comme garantie des intentions pacifiques du nouveau monarque. Le roi Yashovarman II envoya alors Jayavarman. Il ne fait aucun doute que ce choix provenait de son adhésion audacieuse au bouddhisme. En outre, le roi Yashovarman souhaitait probablement se débarrasser de Jayavarman malgré son manque d’intérêt pour le trône, car ce dernier était le fils du précédent roi et cela faisait de lui une menace. Le roi Yashovarman II, qui régna de 1160 à 1167, créa un problème de succession en 1167.

Le monarque en fin de règne avait alors envoyé tous ses fils avec l’armée khmère pour reprendre le contrôle du Champa. Il avait décrété que fils le plus courageux durant la bataille hériterait du trône. Toutefois, tous les fils du roi Yashovarman périrent durant l’affrontement avec les Cham. Un général khmer nommé Tribhuvanadityavarman prit alors le contrôle de l’armée, et retourna à Angkor pour s’emparer du trône après avoir assassiné Yashovarman. Avec cette prise de pouvoir, les Birmans, les Laotiens et les Cham se libérèrent du contrôle khmer en 1178. L’Empire khmer s’effondrait et les Cham virent alors la possibilité de s’emparer de la capitale Angkor.

Tentatives d’invasion d’Angkor

Angkor Wat a été construit par le roi Suryavarman II pendant son règne de 1113 à 1150. Angkor Wat était un immense temple hindou construit comme la représentation terrestre et la réplique du mont Meru, la maison des dieux hindous. Le temple était couvert d’or et de représentations de la divinité Vishnu. Les Khmers et les autres nations de l’Empire khmer croyaient que quiconque contrôlait Angkor Wat aurait accès au paradis céleste, au pouvoir, aux richesses et à la gloire.

En 1177, le roi Jaya Indravarman du Champa décida de lancer une attaque terrestre à l’aide d’une puissante armée contre la capitale khmère. Le roi Tribhuvanadityavarman rassembla autant de guerriers et d’éléphants de combat qu’il le put pour faire face à la menace Cham avant de se rendre à Angkor. Une bataille désespérée et sanglante se déroula dans la jungle et les terrains marécageux. Les Cham et les Khmers perdirent la majorité de leurs éléphants et on dénombra plusieurs milliers de morts et de blessés. Les Cham ne parvinrent pas à déborder l’armée khmère. La bataille se conclut avec les deux armées totalement épuisées. Les Cham battirent retraite et les soldats khmers à bout de force les laissèrent partir.

Cette tentative d’invasion des Cham à Angkor en 1177 se retrouve dans certains écrits chinois. L’histoire mentionne que deux officiers chinois avaient fait naufrage au large du Champa à cette époque. Ils devinrent alors conseillers militaires du roi Jaya Indravarman. L’un des officiers chinois aurait suggéré une nouvelle tentative pour envahir Angkor en utilisant la cavalerie armée d’arbalètes. Selon lui, cette tactique permettrait aux Cham de vaincre les Khmers qui disposaient eux-mêmes de peu de forces de cavalerie. Le roi Jaya fut séduit par cette idée et envoya la flotte Cham sur l’île d’Hainan pour capturer des chevaux. Cependant, trop peu furent trouvés pour constituer une force de cavalerie suffisante.

Par le Tonlé Sap

Avec son troupeau d’éléphants décimé et peu de chevaux disponibles pour la cavalerie, le roi Indravarman savait qu’une autre tentative terrestre de s’emparer Angkor s’avérait alors peu envisageable.

En 1178, le roi Indravarman envoya la flotte Cham sur le fleuve dans l’intention d’attaquer Angkor. Le brouillard matinal dissimulait la flotte Cham. Les habitants de la capitale khmère furent totalement surpris et Angkor fut ravagé. La panique et le chaos s’emparèrent de la ville alors que des dizaines de milliers de Khmers se faisaient tuer dans les rues et les maisons. Tout fut pillé ou détruit. Les survivants furent réduits en esclavage. Le roi Tribhuvanadityavarman et la plupart des 1 000 princes khmers furent aussi pourchassés et tués. Le plus humiliant de tout fut la perte d’Angkor Wat, la prise de l’Arche du Feu sacré, et la capture dans le temple des 1000 danseuses Apsara. Les Cham construisirent un grand fort avec des murs en rondins de plus de 20 mètres de haut et décidèrent de conserver l’Arche du Feu sacré, les danseuses Apsara et les trésors capturés les plus précieux à l’intérieur de cette fortification. Tout semblait perdu et sans espoir pour le peuple khmer vaincu qui n’avait alors plus de roi pour les diriger et leur redonner espoir. Le roi Indravarman se sentit satisfait d’avoir pris Angkor Wat et d’avoir éliminé la succession de princes khmers qui pouvaient éventuellement revendiquer le trône. Mais il pensa ensuite à son otage dans le Champa. Jayavaraman VII pourrait être dangereux et le roi Indravarman se dit qu’il fallait aussi le tuer.

Jayavarman le sauveur

Jayavarman VII avait passé douze ans dans le Champa en otage en méditant, en étudiant le bouddhisme et en cherchant l’illumination. En 1178, lorsqu’il apprit la destruction d’Angkor, il s’enfuit en remontant le Mékong jusqu’à ce qu’il trouve un groupe de guerriers khmers en fuite et découragés. Jayavarman s’enquit du roi et des autres princes d’Angkor et fut informé qu’ils étaient tous morts. Les guerriers demandèrent à « l’étranger khmer » qui il était et ce dernier leur dévoila qu’il était JayavarmanVII, fils du roi Dharanindravarman II. Les guerriers se prosternèrent et le proclamèrent roi.

Le nouveau roi envoya ensuite des coureurs dans tout l’empire khmer aux troupes dispersées de l’armée pour le rencontrer sur le Mékong en vue de rassembler tous les guerriers, navires de guerre, éléphants et chevaux qui pourraient être trouvés. Les soldats khmers et thaïlandais de tout l’empire répondirent à l’appel de leur roi. Les Thaïs (Ayutthaya) étaient les seuls à ne pas se rebeller contre l’Empire khmer à cette époque, et ils sont restés fidèles. Les Thaïs amenèrent des milliers de guerriers, de nombreux éléphants et quelques chevaux pour rejoindre les Khmers dans l’espoir de reprendre Angkor des Cham. Des représentations de cet événement historique peuvent être aujourd’hui observées dans le temple du Bayon à Angkor. Des centaines de navires de guerre et un grand troupeau d’éléphants furent donc rassemblés pour reconstruire une armée khmère puissante.

Reconquérir Angkor

Une imposante force terrestre constituée d’éléphants de combat, de la cavalerie et d’une armée khmère/thaïlandaise partirait en premier et se dirigerait par voie terrestre vers Angkor. Le roi Jayavarman dirigerait la flotte de guerre pour affronter les Cham sur le lac Tonlé Sap, puis rejoindre l’armée de terre à Angkor. La bataille du lac Tonlé Sap en 1178 reste la bataille la plus documentée de la période d’Angkor. Elle est représentée en détail dans le grand complexe du Bayon.

Les flottes khmères et cham se livrèrent une bataille acharnée sur le lac. Les Khmers étaient furieux de l’humiliation subie lors du saccage de leur capitale et de la profanation de leurs lieux saints. Les bateaux de guerre khmers se montrèrent plus rapides et plus puissants que les navires Cham. Les guerriers de Jayavarman abordèrent les navires Cham, tuant et jetant leurs occupants dans le lac. Même les rameurs utilisèrent leurs pagaies pour frapper leurs ennemis et les faire trébucher afin que les soldats khmers puissent les tuer plus facilement. Les Khmers utilisaient également des harpons pour faire chavirer les navires Cham.

Bataille sanglante

Le roi Jayavarman se trouvait au premier rang de la bataille, utilisant son arc, fustigeant et encourageant ses guerriers. Le sang dans l’eau ainsi que les hommes qui hurlaient en tombant dans le lac attirèrent des centaines de crocodiles qui vivaient sur le Tonlé Sap. La fête des crocodiles commença lorsque des centaines de guerriers furent démembrés et dévorés vivants dans le lac. Ce dernier se transforma en une gigantesque mare de sang, avec des corps déchirés flottant un peu partout à la surface. Le roi Indravarman et les Cham survivants furent terrifiés et se réfugièrent dans la fortification qu’ils avaient construite à Angkor. Les forces khmères et thaïlandaises se regroupèrent et poursuivirent les Cham jusqu’à la palissade. Alors que l’armée cham se pressait pour franchir les portes de leur fortification, l’armée khmère commença à se battre avec les soldats Cham se trouvant encore à l’extérieur. Le roi Indravarman ordonna alors la fermeture des portes avec une partie de l’armée Cham coincée à l’extérieur et luttant désespérément pour sa survie. Des archers khmers juchés sur des éléphants et conduits par le roi Jayavarman massacrèrent les derniers Cham coincés devant la palissade tandis que d’autres éléphants furent équipés de cordages pour arracher les rondins de la palissade. D’autres guerriers khmers utilisèrent des échelles pour escalader les murs de la fortification. Les éléphants parvinrent à ouvrir une brèche dans alors que les forces khmères et thaïlandaises se précipitaient à l’intérieur pour massacrer les combattants Cham.

Bataille contre les Cham
Bataille contre les Cham

La fin d’Indravarman

Le roi Jayavarman avait repéré son rival Indravarman dans le fort entouré de ses gardes du corps. Il se dirigea directement vers lui. Submergé de colère après avoir été prisonnier d’Indravarman pendant 12 ans et avoir vu ensuite comment Angkor avait été profané et détruit, le roi khmer s’acharna alors violemment et sans répit sur Indravarman.

La légende raconte que Jayavarman aurait tiré « un million de flèches » sur Indravarman. Le roi était tellement en colère qu’il aurait continué à tirer des flèches sur le corps sans vie et criblé de flèches d’Indravarman. Une violence inhabituelle pour un monarque décrit comme pacifique et adepte de la philosophie bouddhiste.

Reconstruction d’Angkor

Angkor avait besoin d’être reconstruite. L’Arche du feu sacré fut récupérée et les danseuses Apsara secourues, mais Angkor Wat se trouvait dévasté. L’or qui recouvrait l’extérieur et certaines parties de l’intérieur du temple devait être remplacé. Il faudra trois années pour reconstruire la ville-temple. Angkor Wat devint alors un sanctuaire bouddhiste sous l’impulsion du roi. En 1181, tous les préparatifs étaient prêts pour son couronnement. L’Arche de feu sacré fut ramenée à Angkor Wat et les danseuses Apsara, qui avaient été spirituellement purifiées dans les eaux sacrées des montagnes Kunlun, dansèrent lors du couronnement.

En 1191, Jayavarman avait reconquis et rétabli l’Empire khmer. Jayavarman fit ensuite construire plus de 80 bouddhistes dans la région d’Angkor, mais aussi en Thaïlande et au Laos pour montrer sa gratitude à Bouddha. Le nombre de danseuses Apsara passa à 3000 pour permettre d’honorer convenablement les nouveaux temples qu’il avait construits.

La fin de l’empire

Ces ambitieux projets imposèrent un lourd fardeau sur la population, tant en travail qu’en impôts. Au début des années 1200, alors que le roi Jayavarman vieillissait et éprouvait du mal à gérer l’empire, de nombreuses rizières furent délaissées. Les canaux et les systèmes d’irrigation en mauvais état n’apportaient pas suffisamment d’eau à Angkor et ses cultures. Le peuple commençait à gronder vers la fin du règne de Jayavarman VII. On lui reprochait également qu’Angkor Wat ne soit plus un sanctuaire hindou. Les dieux hindous (principalement Vishnu) furent donc ramenés et vénérés aux côtés de Bouddha. En raison des efforts du roi pour promouvoir un bouddhisme tolérant envers l’hindouisme, le Cambodge, la Thaïlande, le Laos et la Birmanie pratiquent aujourd’hui un type de bouddhisme qui se mélange à de nombreux dieux et croyances hindous.

Le roi Jayavarman VII mourut en 1219, à l’âge de 91 ans. L’Empire khmer amorça son déclin en raison des rébellions permanentes. La capitale a dû déménager à Phnom Penh dans les années 1400, car le canal et les systèmes d’irrigation d’Angkor n’étaient plus suffisants pour la population qui s’y trouvait. Après la mort du roi Jayavarman, les Thaïs (Ayutthaya) se libérèrent de l’Empire et guerroyèrent constamment avec les Khmers jusqu’à ce qu’ils capturent et pillent Angkor en 1431. À l’exception d’Angkor Wat, qui est resté un sanctuaire bouddhiste/hindou, la cité d’Angkor devint ensuite quasiment abandonnée.

Par Steven Johnson

Steven Johnson a enseigné l’histoire en Caroline du Sud depuis plus de 20 ans. Il a régulièrement contribué à la revue « Heritage and Strategy & Tactics », et est l’auteur de « Unknown Wars of Asia, Africa, and the Americas that Changed History ». Il vit actuellement au Cambodge.

Angkor
Angkor

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Preychea, Oknha Sotann, Gatiloke, Tuttle Publishing, Tokyo, Japan, 1987.

Interview with Buddhist monk Sov Sarong from Wat Tamov Temple.

Illustrations des batailles par Maurice Fievet

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