On trouve au Cambodge plusieurs poivres issus des espèces végétales Piper : le poivre noir (Piper negrum), en khmer « mréch », dont le plus fameux est cultivé à Kampot, mais que l’on trouve aussi dans de nombreuses autres régions ; le poivrier bétel (Piper betle), dont la feuille est mâchée avec la noix d’arec, et qui est également utilisée en cuisine ; Piper sarmentosum, dont les feuilles sont souvent confondues avec celle du bétel et qui entre aussi dans la composition de certains plats. Mais ces dernières années, c’est une autre espèce, Piper retrofactum, habituellement appelée en français « poivre long de Java » (en khmer « deiplei ») qui suscite l’intérêt des chefs.
Piper retrofractum et Piper longum, tous deux appelés « poivre long », étaient connus dès l’antiquité romaine : le poivre qu’utilisait Apicius, toujours moulu, provenait soit de Piper nigrum, soit de Piper longum (ou retrofractum), et les Romains ne distinguaient pas les deux espèces. De même, dans l’Europe médiévale, c’était essentiellement le poivre long qui était consommé. L’engouement dont a bénéficié ensuite le poivre noir a fait oublier l’existence même du poivre long. Au Cambodge, le poivre long que l’on trouve est de l’espèce Piper retrofractum.
Avant de devenir la coqueluche des maîtres-queux aux pointes de l’innovation, le poivre long était surtout connu au Cambodge pour ses vertus médicinales. Les praticiens de médecine traditionnelle cambodgienne utilisaient le poivre long en usage externe contre les rhumatismes et pour le pansement des furoncles et des adénites. En usage interne, ce poivre était également employé pour diverses affections. Par exemple, un numéro daté de 1935 de Kampuchea Soriya, la revue de l’Institut Bouddhique de Phnom Penh, explique dans un article consacré aux coutumes cambodgiennes relatives à l’accouchement que le poivre long était pilonné, avec divers autres végétaux, pour réaliser une boisson qui était administrée aux parturientes. Les baies de poivre long servent aussi à traiter les affections de foie avec jaunisse et les œdèmes. La médecine chinoise traditionnelle fait également usage du poivre long (appelé en chinois « jiabiba »), et quelques plantations existent dans le sud de la Chine. Si la culture du poivre long n’a pas été abandonnée au Cambodge, c’est justement grâce à l’usage que l’on faisait de cette espèce dans la médecine chinoise.
Baies prêtes à l’emploi (Photo : Pascal Médeville)
Du point de vue strictement culinaire, les chefs utilisent habituellement la variété rouge. Sa saveur est légèrement sucrée et fait penser à la cannelle, l’anis vert ou la réglisse. Il se distingue par un parfum à la fois puissant et subtil, avec des notes fruitées. On peut l’utiliser concassé dans un mortier puis moulu dans un moulin. Il a, par rapport au poivre noir, la capacité de bien supporter les hautes températures, et il a une attaque moins épicée. Il est particulièrement adapté à l’assaisonnement de plats tels que l’osso bucco ou les soupes d’hiver, mais il peut en réalité s’utiliser de la même manière que le poivre noir.
Par Pascal Médeville
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