La tradition du théâtre d’ombres du Cambodge remonte au 7e siècle. Cet art qui comprend deux disciplines le Lakhaon Sbaek Thom et le Lakhaon Sbaek Touch, respectivement grands et petits cuirs, a survécu à l’effondrement des empires, des guerres et du règne des Khmers rouges.
Cependant, au fil du temps, l’intérêt local pour cet art qui a été désigné patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO en 2005 a diminué. Les touristes étrangers et le mécénat sont devenus ses principales sources de financement.
Avec la pandémie de coronavirus, c’est un nouveau coup pour la troupe Sovannaphum de Phnom Penh qui se produisait dans la capitale depuis plus de 25 ans. Le rideau est tombé.
Avant de fermer, le maître des marionnettes, Mann Kosal, 60 ans, regarde et effleure des centaines de marionnettes en cuir que ses collègues et lui ont fabriquées au fil des années alors que les ouvriers démontent le théâtre qui les entoure.
« En tant qu’artistes, nous nous produisons en équipe. Mais avec l’arrivée du coronavirus, nous ne pouvons plus travailler »
Les quelques personnes qui venaient assister aux représentations dans le théâtre de 80 places ont disparu en raison des restrictions de voyage imposées par le gouvernement. Le personnel est confiné en raison d’une interdiction de rassemblements destinée à éviter toute infection.
« Je rêverais juste de jouer les vendredi et samedi, nos jours habituels de représentation. Sans le coronavirus, nous pourrions jouer une, deux ou trois fois par semaine même avec moins d’audience — cela m’aurait rendu plus heureux », annonce-t-il.
Kosal est devenu fasciné par les marionnettes après avoir commencé à travailler pour le Département des arts du spectacle. Il a étudié tous les aspects de l’art, de la création des marionnettes — qui peuvent mesurer 2 mètres de hauteur — à partir d’une seule peau de vache, à la manipulation des marionnettes, dont les ombres sont projetées sur un grand écran blanc, ainsi que les chansons et la narration historique.
Les contes représentés dans les spectacles sont inspirés d’une version khmère du Ramayana, les épopées sanskrites de l’Inde ancienne.
« Je laissais parfois un de mes élèves chanter ou parler et je joue avec les marionnettes. Ici, nous sommes tous polyvalents »
Sovannaphum Art Association a ouvert ses portes en 1994 et ses instruments de musique, écrans et marionnettes sont devenus des articles très recherchés par les acheteurs. Lorsqu’on lui demande s’il compte rouvrir l’association, M. Kosal répond : « Une fois qu’elle sera fermée, elle sera définitivement fermée, car il n’est pas facile de rouvrir. Les marionnettes doivent être distribuées ou vendues, car je ne peux pas me permettre de les stocker n’importe où. Il faudra au moins cinq à six ans pour fabriquer 100 nouvelles marionnettes pour les représentations théâtrales ».
M. Kosal confie que certaines personnes ont demandé à acheter toutes les marionnettes pour 10 000 dollars US, mais il a rejeté leurs offres.
« Je ne veux pas les vendre parce que je crains qu’elles ne soient exportées et que les Khmers ne puissent pas bénéficier de leur propre art culturel. J’ai donc décidé d’en faire don à une école des beaux-arts »
Tous les biens de l’association, dont plus de 100 marionnettes, seront offerts à l’école secondaire des beaux-arts de Phnom Penh pour préserver la mémoire de l’association, âgée de 26 ans.
Sovannaphum est l’une des cinq troupes Lakhaon Sbaek du pays. Toutes sont à présent confrontées à des difficultés similaires. La troupe est passée sous la tutelle du ministère de la Culture et des Beaux-Arts dans l’espoir qu’elle puisse se produire sous le même nom, Sovannaphum Theatre Organization, dans un avenir proche. Kosal a été nommé conseiller technique.
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