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Chronique : Mes chers parents, « you want cold drink » ?

J’ai décidé, pour un temps, de quitter ma maison et mon village du bout du monde pour me rendre à Siem Reap, la cité des temples d’Angkor.  J’avais toujours remis ce voyage. Je m’étais dit : les temples sont là depuis mille ans, ils peuvent bien attendre encore. Et puis voilà. C’est fait. Pourtant, ce n’est pas des temples que je vais vous parler. Mais des gosses qui les peuplent, ces temples.

« Sir, you want cold drink » ?

Cette question, les enfants des temples du complexe d’Angkor sont capables de la poser dans une bonne dizaine de langues. À peine est-il descendu de son tuk tuk que des nuées de gosses se jettent sur le touriste et l’accompagnent ainsi malgré lui dans sa visite, tentant de lui vendre, qui son bracelet, qui son petit porte-clés en forme de poisson habilement tressé en paille. Et tout un tas d’autres menus souvenirs tout aussi charmants qu’absolument inutiles.

« Sir, you want cold drink » ? Illustration par Rin Hoeut

« Sir, you want cold drink » ? Illustration par Rin Hoeut


Les enfants des temples sont partout, à patienter sur le parvis à l’affût du touriste ; à arpenter certains monuments. Ils ne sont pas les seuls à tenter de soutirer quelques dollars aux visiteurs. Des stands de bric et de broc parsèment les routes du complexe et encombrent les parvis de chaque temple.

« Sir you want cold drink ? After visit you buy for me Ok ? »

Le touriste ne peut rester de marbre devant ces enfants. Certains les trouvent harassants, épuisants même, à la longue. D’autres, moins patients, leur mettraient tout simplement des claques pour les faire taire. Enfin, une minorité se trouve désemparée, tellement ces bambins peuvent être craquants. Entre compassion et exaspération, ainsi va la visite, ponctuée par ces centaines de petites têtes brunes brandissant leur pacotille à bout de bras, un large sourire illuminant leur bouille ronde.

« Sir, you want nacklace ? »

Qu’on les déteste où qu’on les adore, les enfants sont aux temples ce que les Apsaras sont aux pierres ; ils font partie intégrante des lieux. Les autorités ont bien tenté de réguler ce flux, toujours croissant, en leur interdisant l’entrée de certains monuments. En vain. Car, ces bambins sont les enfants des gardiens et des policiers locaux, les rejetons de tous ces « gens de la rizière » des villages alentour, Kravan, Srah Srang, Angkor Krau et ailleurs. Lorsqu’ils comprennent que le touriste n’achètera rien, la plupart tentent la corde sensible, et expliquent qu’ils ont besoin d’argent pour aller à l’école. Un petit mensonge en général.

Pas de collège

En effet, le complexe des temples dispose bien d’une école primaire située au village de Srah Srang, un peu avant le temple de Pre Rup. Mais l’éducation, à Angkor, s’arrête là. Aussi hallucinant que cela puisse paraître, le site classé au patrimoine mondial de l’humanité pour ses ruines, ne dispose pas de collège et encore moins de lycée pour ses enfants. Et pour cause : toute nouvelle construction, même une école, est formellement interdite dans cette zone classée par l’Unesco. Ainsi, à la fin du primaire, c’est-à-dire vers 12 ans, ceux qui désirent poursuivre des études n’ont pas d’autre choix que d’enfourcher leur vélo (pour ceux qui en ont) et de partir loin, très loin. Ils doivent ainsi se rendre à Siem Reap, où le premier collège se trouve à environ 10 kilomètres de Srah Srang.

Les temples accueillent deux millions et demi de visiteurs payants par an. En ville, les hôtels poussent comme des champignons. Mais les habitants des temples n’ont pas de collèges pour leurs enfants, encore moins d’électricité et d’eau potable. Le Cambodge n’est pas à une contradiction près.

Rares sont les bambins d’Angkor qui passent le cap du CM2. Les familles n’autorisent généralement pas les filles à enfourcher leur vélo pour se rendre à la ville sur ces routes qui traversent la forêt, dangereusement étroites et encombrées d’énormes bus charriant leurs lots de touristes. Une famille n’enverra au mieux qu’un seul gamin poursuivre ses études au collège, toujours un garçon.

Chance

Certains gosses ont eu de la chance. Des touristes ou des résidants les ont pris en pitié, leur ont payé un vélo ou une moto, et leur envoient un peu d’argent chaque mois. Certaines plus âgées ont même trouvé un mari au détour d’un monument et ont quitté pour toujours les temples de pierre. Pour le meilleur ou pour le pire… D’autres petits malins ont croisé la route d’un investisseur étranger, un restaurateur ou un hôtelier installé à Siem Reap. Ce dernier, remarquant la vivacité de ces jeunes gens, leur a proposé un emploi. De fil en aiguille, certains ont gravi les échelons et occupent aujourd’hui des fonctions parfois élevées dans le secteur privé. Ils ne sont pas nombreux à connaître un tel destin. Un destin qui n’aurait jamais été possible sans une rencontre, un jour dans un temple, à la suite d’un : « Sir, you buy cold drink ? » lancé dans un sourire.

Tous veulent s’en sortir dans cette jungle de pierres et de touristes. Mais tous n’ont pas cette chance. Les autres grandissent, restent au village et, entre deux saisons de riz, trouvent un emploi plus ou moins en relation avec le tourisme. Ils enverront à leur tour leurs enfants, quand ils en auront, sur les parvis des temples. Faute d’école, les vendeurs, petits ou grands, n’ont que le visiteur et ses dollars comme espoir d’avenir meilleur. « Sir you buy me something ? Please… To go to school ! »

A bientôt, Frédéric Amat

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