L’avortement, sujet tabou dans les campagnes comme à la ville, a pourtant très souvent de graves conséquences. Un jeune homme vient de se suicider au village. Il s’est pendu à une branche de manguier. Il ne supportait pas d’avoir encouragé sa compagne à avorter. Un avortement qui avait mal tourné ; la jeune fille était décédée des suites de l’opération.
Mes chers parents, l’avortement, sujet tabou au Cambodge
Un rêve étrange
Quelques jours avant de commettre l’irréparable, le jeune homme était venu raconter son rêve à mon vieil ami, Tâ Sar : « Tout semblait vraiment réel. Je me trouvais debout et je ne cessais de répéter à haute voix : mais pourquoi dois-je être soumis au jugement du roi de l’enfer ? Puis le valet qui m’avait conduit là m’expliqua que j’avais été amené ici parce que j’avis forcé ma petite amie à avorter, une opération qui a causé sa mort. Je me suis mis à paniquer et à implorer Satan de me libérer. Ma prière n’a trouvé aucun écho et je fus condamné à être castré. Je me suis alors mis à crier, à pleurer et je me suis enfin réveillé. Mais tout semblait si vrai. »
Le jeune homme était véritablement bouleversé. Pour les Cambodgiens aucun rêve n’est anodin. Ils sont persuadé que les songes sont des messages qui ne doivent pas être pris à la légère. Ce cauchemar avait perturbé le jeune homme au point qu’il ne mangeait plus et avait sombré dans une forte dépression.
Des lois encadrent l’avortement depuis 1997…
Dans le village, tout le monde connaissait son histoire même si la fille n’était pas d’ici. Ils s’étaient rencontré sur le lieu de leur travail, dans une usine de textile non loin de Phnom Penh et étaient tombé amoureux l’un de l’autre. La fille voulait le mariage ; lui disait ne pas avoir assez d’argent pour cela. Alors, lorsqu’elle est tombée enceinte, au lieu de se marier rapidement pour faire taire les mauvaises langues, le jeune homme avait poussé son amie à se faire avorter.
Elle avait attendu, trop longtemps, tentant de cacher son ventre qui s’arrondissait. Puis, voyant que le mariage tant attendu ne viendrait pas et ne voulant pas risquer de faire perdre la face de sa famille, elle était allée dans une de ces cliniques clandestines, ces faiseuses d’anges, qui acceptent de pratiquer l’avortement même si le délai légal est passé.
L’avortement est autorisé dans le royaume depuis une loi de 1997 qui fixe la date limite de recours à l’IVG à douze semaines de grossesse. Une condition malheureusement pas toujours respectée, comme dans ce cas précis où la jeune fille avait attendu cinq mois avant de se décider.
Manque d’hygiène, l’infection avait gagné, puis la jeune fille était morte dans d’affreuses souffrances suite à une septicémie. La loi punit d’une peine de prison quiconque force une femme à avorter. Mais les femmes ne portent jamais plainte. On avorte souvent par peur du quand dira-t-on même si on le fait contraint et forcé, comme dans ce cas, par refus de mariage.
…Mais cela reste un péché au regard du Bouddhisme
Comme dans la religion catholique, l’un des grands principes du Bouddhisme est de ne pas « tuer la vie ». La religion ne punit pas les gens qui font du mal. Mais ces derniers seront confrontés à des problèmes de consciences et leur cycle de réincarnation en sera perturbé. La vieille sage femme qui habite le village voisin n’a, quand à elle, jamais voulu pratiquer d’IVG, même contre de fortes sommes. « J’ai des amies qui le font, car cela rapporte davantage qu’un accouchement, explique Svay Sam.
L’une d’elle en fait aujourd’hui des cauchemars. Elle voit tous les enfants qu’elle a tué vivre et gambader dans les couloirs de l’hôpital. Ils s’accrochent à elle et lui demande pourquoi elle ne les a pas laissé vivre. C’est une responsabilité qu’en tant que fervente bouddhiste, je ne prendrai jamais ».
Des situations similaires encore trop courantes
Dans ce petit village du sud du Cambodge du vingt-et-unième siècle, le poids des traditions, la peur d’une mauvaise réaction de la famille, l’absence de moyens financiers, l’angoisse de l’avenir et encore bien d’autres raisons, ont causé la perte de trois vies. Un drame malheureusement encore trop courant.
Même si en apparence le Cambodge se modernise, il existe encore des domaines où la tradition reste forte. Les statistiques officielles comptent pas moins de 10% de Cambodgiennes âgées de 15 à 49 ans qui affirment avoir recouru, une ou plusieurs fois dans leur vie, à l’avortement, qu’elles soient citadines ou villageoises. Un chiffre qui serait bien en deçà de la réalité. L’interruption volontaire de grossesse reste encore un sujet délicat à aborder. Mais comme l’utilisation de contraceptifs, malgré toutes les campagnes de publicité, reste faible, l’avortement a encore de beaux jours devant lui…
A bientôt, Frédéric Amat
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