Lire une guide de voyage sur le Cambodge c’est comme lire une notice de médicaments à la rubrique « effets secondaires ». Piqures de serpents, scolopendres et autres scorpions, paludisme, fièvre hémorragique dengue, vols à l’arrachée, sida et mines antipersonnel, la liste est longue qui décourage plus d’un aventurier téméraire.
Mers chers parents, et les mines antipersonnel dans tout ça ? Photographie F.A
Les mines ! Voici le sujet qui vient juste après celui des Khmers rouges lorsqu’on évoque le pays du sourire. Qu’en est-il aujourd’hui dans les anciennes rizières cimetières ? D’où vient-on et où en sommes-nous ? Entretien avec Jean-Pierre Billault, ancien démineur et patron du centre de déminage de la région d’Angkor aujourd’hui à la retraite :
Le Cambodge est-il, comme on l’a souvent dit, le pays le plus miné au monde ?
Jean-Pierre Billault : Cette affirmation est totalement fantaisiste. Elle vient de ce que, à la fin des années Apronuc, les besoins en déminage restaient évidents, bien que très difficiles à évaluer. Une formule forte, destinée à marquer les esprits et à susciter une vague de compassion mondiale afin de récolter des fonds pour le déminage, a alors été trouvé : « Au Cambodge, il y a une mine par habitant ! » À cette époque, le pays comptait six millions d’habitants. Cela faisait donc six millions de mines. Si cette affirmation a frappé l’opinion au-delà des espérances, elle était bien heureusement fausse. En 1995, les autorités estimaient que le Cambodge comptait au maximum un million de mines. Cependant, elles se gardaient bien de l’affirmer trop fort, faisant confiance aux organisations mondiales pour alimenter un « Trust Fund » nécessaire au déminage.
-Comment peut-on faire une estimation réaliste du nombre de mines restant dans le pays ?
J-P. B : Si l’on se réfère à l’organisme gouvernemental de déminage, le CMAC (Cambodian Mine Action Center) 650 km2 de territoire sont minés. Les travaux conduits depuis 1992 par les différentes organisations de déminage relèvent une moyenne de six mines pour un hectare, tant les contours des zones minées sont incertains et la densité du minage généralement peu élevée. Cela donne un total de 390 000 mines… On est loin des six millions !
Le plus étrange, c’est qu’après bientôt trente années de déminage, les chiffres restent les mêmes dans les guides de voyages ou autre, comme s’il y avait toujours six millions de mines au Cambodge. Mais, on ne change pas les formules gagnantes ; elles ont fait la preuve de l’efficacité médiatique et du « marketing humanitaire ».
– Qu’en est-il des accidents ?
J-P. B : Fort heureusement le nombre d’accidents par mines ne cesse de décroître et ce de façon spectaculaire. Cela tient en premier lieu aux efforts consentis pour le déminage, malgré les critiques qu’on puisse en faire par ailleurs. La recherche et le balisage des zones minées, les politiques de prévention et l’engagement des unités de déminage au plus près des populations menacées, aux alentours de la frontière avec la Thaïlande en particulier, diminuent le risque d’exposition aux mines.
L’autre raison à cette nette diminution est le vieillissement des mines soumises aux rigueurs du climat. L’alternance des saisons des pluies et saisons sèches dégrade la mise en œuvre de ces engins, les rendant inopérants. On peut aujourd’hui dire sans trop se tromper que 95% des mines antipersonnel encore enfouies ne sont plus en état de faire des victimes. La meilleure organisation de déminage s’appelle donc Dame Météo !
Il en va différemment des mines antichars protégées par une enveloppe métallique, ainsi que des munitions non explosées (UXO) qui, sous des formes diverses, se trouvent encore un peu partout. Il s’agit de grenades à main, grenades à fusil, obus de mortier, bombes à dispersion, etc. Bien que toutes les atteintes aux personnes soient qualifies d’accidents de mines, elle ne sont pas de même nature. Les mines antichar sautent généralement sous le poids de camions ou tracteurs chargés et, il faut le dire, les dégâts sont considérables. En ce qui concerne les UXO, l’explosion est souvent due à une faute délibérée de celui qui a voulu récupérer l’explosif ou le métal, en démontant l’engin.
– Dans quelle proportion le nombre d’accidents a-t-il diminué ?
J-P. B. : Prenons un exemple. Entre 1994 et 1996, la province de Siem Reap détenait le triste record d’accidents par mines et UXO. À l’époque, elle était couplée avec celle d’Oddar Meancheay située à la frontière avec la Thaïlande. Elle représentait une vaste province où les combats avaient duré plus longtemps qu’ailleurs. Le seul hôpital provincial de Siem Reap enregistrait alors entre 30 et 50 accidents de ce type par mois. Aujourd’hui on dénombre un à deux accidents par an. La diminution du nombre d’accidents est le bon indicateur de disparition des mines, grâce d’une part au déminage intensif et d’autre part à la détérioration naturelle des mines existantes.
– Combien de temps faudra-t-il pour nettoyer complètement le Cambodge de ces engins de mort ?
J-P. B. : Au train où vont les choses, dans moins de 5 ans, toutes les zones minées auront été nettoyées. Il restera, bien sûr, et comme cela a été le cas en France après la Seconde guerre mondiale, des munitions non explosées, qu’on retrouvera ici ou là, même des dizaines d’années plus tard. Il faudra alors faire intervenir des petites équipes pour les neutraliser. Mais le problème des mines antipersonnel devrait, quant à lui être enfin réglé.
Mes chers parents, je ne sais pas pourquoi mais quelque chose me dit que tout cela n’empêchera pas les guides touristiques à continuer de demander aux visiteurs de « ne jamais s’écarter des sentiers battus ». On n’est jamais trop prudent…
A bientôt,
Frédéric Amat
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