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Chronique : Mes chers parents, adieu chien, bonjour cochon

Il était une fois, il y a très très longtemps, un roi khmer prisonnier dans la Cité interdite de Pékin. Comme il s’ennuyait dans son donjon, il eut l’idée de confectionner un cerf-volant typique de son pays, celui des bâtisseurs d’Angkor : un Kleng Ek, un cerf-volant chanteur.

Le roi prisonnier s’appliqua et lorsque son oiseau fût terminé, il le lança dans les airs et à l’aide de sa ficelle, le dirigea au dessus de la chambre de l’empereur chinois qui le retenait prisonnier. Le cerf-volant grondait, terrifiant le roi et sa cour. Durant des semaines, le roi khmer prisonnier faisait danser, chaque soir à la même heure, son oiseau de nuit. L’empereur en perdit le sommeil et se demanda pourquoi cet oiseau de malheur venait ainsi croasser à sa fenêtre. Il fit venir son prisonnier et ils eurent cette discussion : « – Sais-tu pourquoi cet oiseau vole au-dessus de ma chambre ? « – Empereur, il vous tourmentera aussi longtemps que vous me garderez prisonnier. Cet oiseau est votre conscience qui vous tiraille. Libérez-moi et je vous en donne ma parole que vos souffrances cesseront. Pour vous remercier, je vous enverrai un oiseau de jour à la voix si belle qu’il enchantera votre altesse. « – Je te libère car je n’en peux plus. Va ! Rentre dans ton pays. Et emporte ton oiseau de malheur ! » Et le roi khmer rentra chez lui. L’oiseau de nuit disparut immédiatement et quelques saisons plus tard, l’empereur reçut un superbe Kleng Ek aux mille couleurs qui chantait une mélodie somptueuse lorsqu’il fendait les airs.

C’est depuis ce jour qu’on trouve des cerfs-volants en Chine et des Chinois au Cambodge.

Mes chers parents, adieu chien, bonjour cochon

Mes chers parents, adieu chien, bonjour cochon


Mes chers parents, voici pour la légende. Nous fêtons aujourd’hui le nouvel an Chinois sous le signe du cochon qui remplace le chien. Nombreux sont les forums de discussions entre Khmers qui se demandent si les Cambodgiens doivent célébrer ce nouvel an venu d’ailleurs. Généralement les réponses sont négatives. Le jeune khmer aime à protéger sa culture et il voit dans cette célébration une sorte de collaboration avec « l’ennemi ». Mais que serait le Cambodge sans son cousin le Chinois ?

La réalité, c’est qu’il y a toujours eu des Chinois dans ce pays ; le plus connu étant Tchéou Ta-Kouan, un émissaire qui séjourna plusieurs mois dans le royaume d’Angkor et qui en rapporta le seul récit que l’on ait aujourd’hui sur cette faste époque.

« Les Chinois qui arrivent en qualité de matelots trouvent commode que dans ce pays on n’ait pas à mettre de vêtements, et comme en outre le riz est facile à gagner, les femmes faciles à trouver, les maisons faciles à aménager, le commerce facile à diriger, il y en a constamment qui désertent pour y rester », écrivait-il alors en 1296.

Mais c’est Georges Groslier, homme aux mille talents, fondateur de l’Ecole des Arts cambodgiens, créateur de l’actuel musée national de Phnom et écrivain hors pair, qui nous éclaire sur cette relation charnelle entre Khmer et Chinois.

En 1931, il publie « Eaux et lumières, journal du Mékong cambodgien » dans lequel il relate ses nombreux voyages sur les fleuves du royaume alors qu’il est chargé d’inspecter les pagodes. Il écrit ainsi ces lignes : « le Chinois est installé au Cambodge depuis si longtemps et le Cambodge lui doit tant (…) Le pays du Tonlé Touch, les rives des provinces de Kompong Cham et de Kratié sont chinois autant que cambodgiens. Le Chinois y fait tout, le Cambodgien rien – ou plutôt si : du riz, du maïs qu’il vend au Chinois. Il fait encore le coolie et le piroguier du Chinois. Entre-temps, il se repose. Enfin, il se fait chinois aussi, en mettant ses plus belles filles dans le lit de l’immigré. C’est une vieille histoire qui dure certainement depuis huit siècles, probablement depuis vingt. »

S’ensuit ensuite plusieurs pages délicieuses durant lesquelles l’auteur narre la manière dont les nouveaux arrivants s’intègrent à leur pays d’accueil, le sens du commerce coulant dans leurs veines. Il explique comment le Chinois s’installe partout, même dans des régions isolées, presque coupées du monde ; comment il s’y reproduit, comment il prospère : « Le Chinois est là. Il est là chaque fois qu’il le faut, patient, les mains diligentes et le ventre extensible. »

« Telle est cette race sino-cambodgienne qui peuple à peu près exclusivement toutes les régions prospères, commodes, bien accessibles du Cambodge. Le Cambodgien contemplatif, rêveur, musicien, bavard, bon et désintéressé fait confiance à ses marchands. De Kompong Cham à Kratié, le fleuve est chinois… Bref, le Cambodge n’est que chair inerte sur un solide et souple squelette chinois et sino-cambodgien »…

Ce petit rappel historique est peut être utile aujourd’hui, alors que le petit commerçant chinois descendant le Mékong sur sa jonque-épicerie bourrée de marchandises, a été remplacé par son descendant, bâtisseur de gratte-ciels sur les côtes de Sihanoukville. Peut-être que, finalement, rien n’a véritablement changé… Hormis leur nombre. Bonne année du cochon ! Et à bientôt,

Frédéric Amat

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