Anikachun est un terme khmer qui désigne les Cambodgiens de l’étranger. Cette rubrique est le fruit d’une collaboration avec l’association Anvaya et a pour but de mettre les projecteurs sur le capital économique et d’innovation de cette diaspora cambodgienne qui a fait le choix d’entreprendre dans son pays d’origine. Elle se veut aussi une fenêtre sur le Cambodge contemporain, à contre-pieds de l’image encore pesante liée aux décennies de guerre civile.
Bunnarith UCH, l’audace de l’ingénieur
L’eau de la capitale est potable
Vous brossez-vous toujours les dents à l’eau minérale ? En 2019 à Phnom Penh, il serait peut-être temps de remettre votre logiciel à jour. Le Cambodge moderne n’est décidément plus celui des guerres civiles ; l’eau de la capitale est potable, et ses ressources sont remarquablement bien gérées par une Régie des Eaux travaillant avec des experts de très haut niveau, y compris des polytechniciens comme Bunnarith Uch de SUEZ Consulting, rencontré pendant le Nouvel An Khmer.
Devenir ingénieur
Au lycée à Takhmau, Bunnarith savait déjà qu’il deviendrait ingénieur en génie civil. Ses parents lui laisseront le choix d’être le premier de la famille à s’engager dans cette voie plutôt que d’être avocat ou médecin. Habité par la volonté de contribuer au développement du Cambodge et ayant des facilités avec les matières scientifiques, cette voie lui semblait la plus pertinente. Déjà anglophone, il décide à cette époque de rajouter une langue à son arsenal et apprends le français avec l’idée que la langue de Molière pourrait lui ouvrir de nouvelles portes. Il est alors loin d’imaginer l’impact que ces deux choix auront sur sa vie.
Les études scientifiques et la francophonie vont l’amener à l’Institut de Technologie du Cambodge ou, jeune étudiant en ingénierie, il découvre un peu par hasard l’existence de l’X…et parvient à l’intégrer via son concours d’entrée tout en bénéficiant d’une bourse Eiffel. Devenu Polytechnicien, il se spécialise en génie civil à l’école des Ponts et Chaussées. « J’aimerais qu’il existe une association d’anciens polytechniciens Cambodgiens qui puisse aider les étudiants d’aujourd’hui à suivre cette voie, » témoigne-t-il.
Se sentant proche de la France, Bunnarith fait le choix d’être naturalisé quand il en a la possibilité. Avec son profil brillant et convoité par les recruteurs, Bunnarith décline plusieurs offres à l’étranger. Il reste fidèle à son objectif de départ : travailler au développement du Cambodge. Cette opportunité lui sera offerte par l’entreprise d’ingénierie française Suez Consulting. Son parcours se dessine.
Progression spectaculaire
En travaillant d’abord en tant que consultant sur des projets d’eau potable avec la régie des eaux de Phnom Penh, Bunnarith constate de ses propres yeux la progression spectaculaire et la qualité du service de la régie de la capitale cambodgienne qui est passée des années 90 d’une régie dans un état chaotique à une des meilleures d’Asie. A titre de comparaison si le taux de fuite du réseau est de 70% à Manille, ou encore de 30% à Ho Chi Minh Ville, il est inférieur à 10% à Phnom Penh, un résultat comparable aux villes les plus développées. De plus l’entreprise est rentable, sa bonne gestion lui permet d’effectuer les investissements nécessaires pour maintenir le niveau de son service public tout en l’étendant à l’ensemble du Grand Phnom Penh qui connait une croissance urbaine toujours plus forte.
Développer un service de qualité
Curieusement, ces exploits, ce n’est pas au Cambodge qu’il en entend parler pour la première fois, mais à travers des professeurs experts de l’eau en France, comme si au Royaume, la grandeur des temples d’Angkor continuait injustement à faire de l’ombre aux achèvements plus récents mais pas pour le moins spectaculaires. Une fierté naît en lui. Depuis toutes ces années, le modèle, l’inspiration qu’il recherchait ne se trouvait ni à Singapour, Tokyo ou Paris, mais à seulement quelques kilomètres de la maison où il a grandi.
De cette première expérience d’ingénieur, Bunnarith en est convaincu : « il n’existe pas de fatalité pour un pays en développement comme le Cambodge ». De la même manière qu’il écoutait un professeur expliquer un théorème de mathématique, la Régie lui en a fait la démonstration : avec de la volonté et en se donnant les moyens, développer un service de qualité quel que soit le pays, et le porter en modèle dans le monde entier n’est pas un rêve inatteignable réservé aux pays développés en Occident, mais une audace que les Cambodgiens se doivent d’avoir et qui est davantage à portée de mains qu’on le croit pour peu que l’on planifie les choses sur le long terme avec méthode.
Porté par Cambodia Airports
Cette audace, Bunnarith s’en arme pour se pencher sur d’autres projets au Cambodge dans le secteur de l’eau et de l’assainissement, qui le passionnent. Mais il reste énormément à faire pour donner accès à ce service de première nécessité à l’ensemble des Cambodgiens – reconnu depuis 2010 comme un droit de l’Homme. Car la capitale n’est pas le pays : il s’en rend compte en étudiant le cas de Siem Reap, où seul 20% de la ville est connecté au réseau d’eau potable. L’assainissement – conséquence directe de la consommation d’eau potable – est aussi un défi d’envergure. A Phnom Penh, il existe quelques projets privés de traitement des eaux usées – l’un de ces projets est porté par Cambodia Airports. Un projet devrait bientôt être développé à Siem Reap, mais il reste beaucoup à faire.
Aujourd’hui âgé de 28 ans, Bunnarith est plein d’espoir pour son pays. Les investissements là, la volonté politique aussi : « C’est un bon moment pour moi et pour d’autres, pour qu’on devienne acteurs et qu’on accompagne la réalisation de cet objectif ambitieux de donner un accès à l’eau potable dans 100% des zones urbaines d’ici 2025. » Travaillant quotidiennement avec des experts internationaux, c’est certainement son attachement au pays qui le différencie et qui est le moteur de sa volonté d’aller tous les jours un peu plus loin pour voir les bénéfices des projets arriver à ses compatriotes le plus rapidement possible. Sa connaissance de son pays natal, mais aussi sa compréhension du mode de pensée des experts étrangers, font de lui le rendent indispensable pour que ces derniers puissent apprendre à travailler, utiliser et appliquer leurs méthodes dans le contexte local.
Ingénieur, Bunnarith sait qu’il sera de ceux qui écrivent aujourd’hui le Cambodge de demain. Mais de la même manière qu’il ne se serait jamais rêvé polytechnicien il y a dix ans, peut-être ne se rend-il pas encore compte.
Photo par Bunnarith Uch Texte par Borin Pin et Hugo Roussel
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