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Photo du rédacteurChristophe Gargiulo

Parcours : Au revoir Julio A. Jeldres, confident, biographe et fidèle historien du Royaume

Après plus de tente ans passés dans le Royaume, Julio A. Jeldres a quitté hier son Cambodge bien-aimé pour revenir en Australie. Retour sur le parcours d'un passionné du pays dont il aura conté l'histoire à travers de nombreux ouvrages consacrés à la famille royale.

Julio A. Jeldres, confident, biographe,ami et fidèle collaborateur du Roi-père
Julio A. Jeldres, confident, biographe,ami et fidèle collaborateur du Roi-père

C’est l’histoire d’un jeune sud-américain anonyme qui deviendra l’un des compagnons de route du Roi-père au cours d’une vie parsemée de rencontres, de temps forts et surtout chargée d’histoire.

En étant d’abord le secrétaire particulier du monarque, il n’est nul doute que Julio A. Jeldres aura influencé indirectement l’histoire à travers les discours qu’il mettait en forme pour son ami le roi. Écouter Julio, c’est se retrouver un peu comme un enfant assis sur la première marche de l’escalier en demandant, les yeux écarquillés : « dis Julio, c’était comment le Cambodge du roi Sihanouk ? »

Entretien

CM : Quelles sont vos origines, parlez-nous un peu de vous ?

Je suis né en Amérique latine, dans le sud du Chili. Mon père, d’origine basque possédait une petite fabrique de chaussures. Ma mère était femme au foyer. J’ai deux sœurs et un frère. À l’âge de 18 ans, j’ai quitté le Chili pour l’Australie.

CM : Votre premier contact avec le Cambodge ?

En 1967, j’ai entendu parler de la visite de Jacquie Kennedy au Cambodge. En Amérique du Sud, les Kennedy étaient considérés comme une famille royale. Nous appréciions énormément JFK, car, lorsqu’il était à la Maison-Blanche, il œuvrait beaucoup pour ouvrir des écoles en Amérique latine.

Je me souviens aussi qu’il faisait parvenir du lait et ce fameux fromage orange dont je me souviens encore pour les écoliers. Donc, beaucoup d’enfants chiliens parlaient de Kennedy comme le « président qui envoyait du lait et du fromage dans les écoles » (rire).

J’ai poursuivi ma scolarité à Santiago, dans une école catholique, car mon père souhaitait qu’une éducation stricte nous soit dispensée.

Durant cette fameuse année 1967, j’ai beaucoup lu sur la visite de la veuve Kennedy au Cambodge. J’ai découvert les célèbres temples d’Angkor à travers les photographies publiées par la presse de l’époque. Et cela m’intéressait fortement, l’histoire était une discipline qui me passionnait et me passionnera toute ma vie. Je n’avais jamais entendu parler du Royaume avant cet événement.

visite de la veuve Kennedy au Cambodge
Visite de la veuve Kennedy au Cambodge. photo - Mission américaine

J’ai donc commencé à effectuer des recherches et, malheureusement, je ne trouvais rien sur le Cambodge.

Un jour, je me suis rendu à la bibliothèque de l’institut américain de Santiago. Là-bas, une dame m’a donné l’adresse de la mission permanente du Cambodge aux Nations Unies. C’était la représentation diplomatique la plus proche du Chili. Cette dame m’a suggéré de leur écrire directement afin d’obtenir des informations sur ce pays qui m’intéressait tant.

J’ai donc écrit une lettre, en espagnol, car à l’époque, mon anglais était encore très approximatif. Je n’ai pas reçu de réponse pendant quatre mois.

« J’avais presque oublié lorsqu’un jour ma mère m’a annoncé qu’il y avait une lettre qui m’attendait »

J’ai ouvert la lettre qui venait directement du Palais royal. La mission diplomatique avait fait suivre ma requête au cabinet du roi Sihanouk. Et, le souverain lui-même avait répondu à ma lettre, soulignant qu’il était très intéressé par un étudiant du Chili passionné par son pays. Il mentionnait avoir donné des instructions à ses collaborateurs pour m’envoyer des informations. Et la lettre était signée de sa main sous la mention « très amicalement », je m’en souviens encore.

Je me suis ensuite rendu régulièrement à la poste pendant trois semaines, mais rien n’arrivait. Et, occupé par le lycée, pour la deuxième fois j’ai commencé à oublier le Cambodge. Puis un jour, en rentrant à la maison, j’ai trouvé ma mère furieuse. Le camion de la poste était venu livrer de nombreux paquets. Cela venait du Cambodge, il y avait des livres, le drapeau, les armoiries royales, une collection de 300 diapositives et beaucoup d’autres objets. Ma mère était en colère, car elle avait dû payer très cher pour la livraison et le dédouanement. Elle me demandait ce que j’allais faire avec tous ces livres (il y avait dix exemplaires de chaque ouvrage) …

« Je devais probablement être le seul Chilien à m’intéresser au Cambodge »

Ensuite, j’ai débuté une correspondance avec le roi et créé l’association « Amis du Cambodge au Chili ». Avec le matériel envoyé par le roi, la première fois puis régulièrement ensuite, j’ai pu organiser plusieurs expositions.

Un jour, l’Australie a décidé d’ouvrir une représentation diplomatique au Chili. Et, le premier ambassadeur qui fut nommé, M. Noël Deschamps arrivait de Phnom Penh, il était d’origine française et il s’avérait que c’était un diplomate très proche du roi Sihanouk. Et, le souverain lui avait parlé de moi, petit étudiant chilien passionné par le Royaume.

M. Noël Deschamps
Le diplomate Noël Deschamps. Photographie www.dfat.gov.au

Un peu plus tard, j’ai reçu un coup de fil de l’hôtel où résidait le diplomate, on me faisait part du souhait de ce dernier de me rencontrer. Nous avons pu discuter, il parlait très bien espagnol et même le français. Il est logiquement devenu le président d’honneur de notre association d’amis du Cambodge. Il nous invitait fréquemment pour nous projeter films et diapositives qu’il avait ramenés du Royaume.

Pour la petite histoire, c’est M. Deschamps qui a convaincu mon frère ainé d’émigrer en Australie. En effet, 1969 était l’année où l’Australie ouvrait grand ses frontières et commençait à recevoir de nombreux immigrants d’Amérique du Sud. Et mon frère ainé fut l’un des premiers à s’installer en Australie. Dans nos correspondances, il m’encourageait à venir étudier là-bas. Je suis arrivé en Australie, à Melbourne plus précisément, en 1972.

J’ai pu obtenir une bourse du gouvernement australien et suivre un cursus spécial sur l’Asie. Au sein de la filière, nous étudions les relations sino-cambodgiennes et c’est ainsi que j’ai pu retrouver suffisamment de matière pour écrire ce livre sur « l’extraordinaire amitié entre Norodom Sihanouk et Zhou Enlai durant la guerre froide ».

grâce à l’institut Sleuk Rith, le livre a pu être publié en 2021.
Grâce à l’institut Sleuk Rith, le livre a pu être publié en 2021.

L’ambassadeur Deschamps m’a largement encouragé à travailler sur cette amitié entre le roi et le leader chinois. Cette relation explique en grande partie les origines de l’amitié entre le Cambodge et la Chine.

CM : Qu’avez-vous entrepris après vos études ?

Mes études achevées, j’ai pu travailler pour le gouvernement de l’état de Victoria, notamment pour le ministère des Affaires ethniques. J’ai ensuite travaillé pour Mercedes Benz. Mais, durant tout ce temps, j’ai poursuivi ma correspondance avec le roi Sihanouk. À l’époque, il souhaitait m’inviter en Chine et avait effectué les démarches, mais le pays était encore trop fermé et ce ne fut pas possible.

CM : Quand avez-vous pu rencontrer le roi en personne ?

En 1981, alors que j’étais en visite à Hong Kong, le roi Sihanouk m’a proposé de venir le rencontrer à Pyongyang en Corée du Nord. Je craignais de ne pas obtenir de visa, mais, il s’est chargé de me faire inviter directement par le leader coréen Kim Il-sung. J’ai donc pu passer deux semaines avec le roi-père et une partie de sa famille.

CM : Quels sentiments au sujet de cette première rencontre ?

Cela a été un moment très touchant. Le roi s’est montré très chaleureux. Il m’a accueilli à sa résidence de Pyongyang et m’a accueilli à bras ouverts déclarant qu’il était très heureux de me connaitre enfin et reconnaissant de ma fidélité concernant mon attachement au Cambodge. Après les visites officielles, j’ai pu passer du temps avec lui et sa famille et c’est à ce moment que j’ai commencé à travailler avec lui comme secrétaire particulier.

Plus tard, en 1982, le prince Norodom Ranariddh s’est rendu en Australie alors que nous avions créé une antenne du Funcinpec (Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif) à Melbourne. Comme je travaillais pour le gouvernement, la délégation du parti m’a demandé de l’aider à organiser sa visite. Le prince Ranariddh a ensuite été nommé représentant du Roi-père à Bangkok et il souhaitait que je le suive pour travailler avec lui. Je passais donc mon temps entre Melbourne, Bangkok et Pékin.

CM : Comment se passait la collaboration avec le monarque ?

Le roi Sihanouk était un personnage très affable, reconnaissant et excessivement courtois. Mon travail consistait à l’aider pour ses discours. Il me confiait un brouillon que j’étayais et mettais en forme. Il me remerciait pour chaque travail accompli même si parfois il y apportait quelques modifications. Il se montrait aussi très attentif avec les collaborateurs qui l’accompagnaient durant ses voyages officiels. Il me disait souvent qu’il appréciait énormément ce que je faisais pour le Cambodge.

CM : Quand avez-vous découvert le Royaume pour la première fois ?

C’était en novembre 1991 lorsque le roi-père est revenu dans son pays. J’étais d’ailleurs le seul non asiatique dans l’avion du retour. Il y avait de nombreuses personnalités de Chine, de Corée du Nord, l’actuel premier ministre Hun Sen et des membres de la famille royale bien entendu. Tout le monde était heureux de ce retour plein d’espoir.

Le roi Sihanouk
Le roi Sihanouk. Photo Archives nationales néerlandaises (cc)

J’étais assis à côté de la princesse Buppha Devi, elle me faisait alors part de ses craintes de ne pas retrouver beaucoup de survivants parmi les artistes du Ballet royal.

Quant à moi, c’était très émouvant, car c’était la première fois que je découvrais Phnom Penh et le Cambodge. En effet, toutes ces années, je ne m’étais rendu qu’aux frontières, mais je n’avais jamais pu venir dans le pays. À cette époque, il y avait encore pas mal de problèmes, l’eau et l’électricité par exemple. Beaucoup de quartiers de la capitale n’étaient pas éclairés et une grande partie de la population vivait aussi dans la pauvreté. On sentait bien les dégâts causés par tant d’années de guerre.

CM : Comment réagissait le roi lorsque la presse lui était défavorable ?

Il était parfois très affecté, en particulier lorsque cela venait de gens proches ou qu’il connaissait. Il passait donc pas mal de temps à préparer de (longues) réponses. Pour ma part, je peux affirmer que ce genre d’article critique n’était pas forcément correctement documenté. J’étais proche du roi et donc bien placé pour savoir ce qui se passait réellement.

CM : Cette année-là, poursuivez-vous votre collaboration avec le roi ?

À la fin de 1991, j’ai quitté le service royal car, je pensais que, le roi étant revenu dans son pays, il n’aurait peut-être pas besoin de moi. Mais, on m’a demandé de me rendre à nouveau dans le Royaume pour créer l’Institut khmer de la démocratie. Ce fut alors une période très difficile, car les financements manquaient cruellement. J’ai pu tout de même obtenir quelques aides de l’Australie et de plusieurs pays, mais cela ne suffisait pas. Ce projet a pris dix ans de ma vie, mais, finalement, cela n’a pas vraiment fonctionné.

Et, durant cette période, le roi me demandait de travailler sur ses discours. J’ai été nommé biographe officiel par décret royal en septembre 1993. Je pense sincèrement qu’il voulait me garder près de lui. Là aussi, il y avait des problèmes de budget pour publier des ouvrages, mais le roi aidait quand il pouvait.

CM : Quelle a été votre première publication ?

Mon premier livre dans le cadre de cette fonction fut « le Palais Royal du Cambodge », sorti en anglais en 1999, en français en 2001.

Travaillez-vous encore pour le Palais et quel est votre dernier ouvrage ?

Aujourd’hui, je travaille encore pour la famille royale, Sa Majesté le roi Sihamoni m’a nommé conseiller.

Mon dernier ouvrage « Witness to History » est une publication du journal de la Reine mère lors de son voyage historique depuis la piste Hô Chi Minh jusqu’à Angkor en 1973. Ces carnets avaient été écrits à l’origine en Français et je trouvais ces textes très intéressants. J’ai donc demandé à la reine la permission de pouvoir les traduire en anglais et de les publier.

Dans un premier temps, elle ne le souhaitait pas puis, finalement, elle m’a donné l’autorisation il y a deux ans, avec quelques conditions, car cette époque demeurait un sujet sensible. Ce récit montre aussi que l’esprit d’humanité peut surmonter les circonstances les plus périlleuses et les plus sombres. Sa Majesté la Reine Mère a été témoin de plus de sept décennies de l’histoire du Cambodge contemporain, et son rôle constitue un témoignage précieux sur comment combattre la tragédie et affronter l’adversité avec dignité et compassion envers tous les Cambodgiens et par un engagement honnête et indéfectible envers le pays.

CM : Parlez-vous du roi avec son épouse ?

Oui, depuis que le roi a disparu, nous parlons fréquemment de lui, elle a parfois une meilleure mémoire que moi concernant certains événements et anecdotes.

CM : Les détracteurs du monarque l’ont parfois accusé de se plier facilement aux volontés des Chinois, qu’en était-il réellement ?

Contrairement à ce qu’on a pu croire, le roi Sihanouk faisait preuve d’une grande indépendance d’esprit et cela, les Chinois le respectaient beaucoup. Le monarque savait dire non lorsque cela s’avérait nécessaire. Dans les années 80, le vice-ministre des Affaires étrangères chinois a tenté d’influencer Sa Majesté, mais cela ne fonctionnait pas. Lorsqu’une requête de ce dernier ne lui plaisait pas, il nous disait de préparer nos bagages car nous partions pour la Corée du Nord…

Je ne pense pas que c’était une question d’orgueil personnel, mais il voulait surtout préserver la fierté du Cambodge. Je crois que, toute sa vie, le roi considérait son pays comme une star. Regardez ses films, ses livres et ses chansons, c’est principalement à propos du Cambodge. J’ai rarement vu quelqu’un aimer autant son pays.

CM : Quels sont vos projets les plus immédiats ?

Je travaille actuellement sur la biographie de la princesse Buppha Devi. Vrai que cela constitue une tâche chargée d’émotion, car j’ai connu la princesse en 1985. À l’époque, son frère le prince Ranariddh lui avait demandé de former une petite troupe de danse pour les réfugiés des camps de la frontière thaïlandaise.

S.A.R la Princesse Buppha Devi
S.A.R la Princesse Buppha Devi. Photo C.Gargiulo

Je trouvais qu’elle avait une capacité d’adaptation extraordinaire. Elle faisait évoluer sa troupe dans des conditions extrêmement pénibles et elle ne se plaignait jamais. Je travaille actuellement sur le chapitre consacré à la période durant laquelle elle était ministre de la Culture. C’est un épisode de sa vie moins connu que sa carrière de danseuse et de chorégraphe.

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