Selon la Mekong River Commission (MRC), le fleuve est tombé à des niveaux d’eau inquiétants au cours des dernières semaines avec également la couleur de l’eau prenant une teinte bleu-vert. Si l’on a vite fait de pointer du doigt le géant chinois et ses barrages, il est important de préciser qu’effectivement la Chine est responsable, mais qu’elle avait, comme prévu, mais avec trop peu de détails, averti de cette baisse de débit liée en partie aux travaux de maintenance sur une centrale hydroélectrique de la province du Yunnan.
Depuis novembre 2020
la MRC indique dans son communiqué que les niveaux d’eau dans la province de Stung Treng et de Kratie ont fluctué, mais que les niveaux sont restés supérieurs à la moyenne sur le long terme. Cependant, les niveaux du Mékong à Kampong Cham, Neak Luong et Bassac à Phnom Penh étaient en baisse depuis novembre 2020 et inférieurs aux moyennes à long terme. Kol Vathana, secrétaire général adjoint du Comité national cambodgien du Mékong, avance que la construction de barrages demeure l’une des causes des bas niveaux d’eau dans le Mékong, car les entreprises hydroélectriques ont besoin de stocker de l’eau pour produire de l’électricité. Il ajoute que le changement climatique et la sécheresse affectent également les niveaux d’eau :
« Je ne soutiens ni ce que la Chine fait ni aucune recherche qui ne soit basée sur des faits, il existe d’autres facteurs, pas seulement la construction de barrages sur le fleuve »
Niveaux inquiétants
Les niveaux d’eau entre la centrale hydroélectrique de Jinghong dans la province chinoise du Yunnan et le delta du Mékong au Vietnam ont considérablement baissé depuis début janvier 2021 en raison de faibles précipitations, des changements de débit en amont, des opérations hydroélectriques sur les affluents du Mékong et des restrictions de débit au barrage de Jinghong dues à des travaux de maintenance.
« Il y a eu des hausses et des baisses soudaines des niveaux d’eau immédiatement en aval du barrage de Jinghong et plus loin vers Vientiane, ce qui a été difficile pour les autorités et les communautés de se préparer et de réagir aux impacts possibles », explique Dr Winai Wangpimool, directeur du Secrétariat de la MRC dans un communiqué de presse. Les données pluviométriques mensuelles de la MRC indiquent que, depuis novembre 2020, les précipitations ont été constamment inférieures à la moyenne, chutant jusqu’à — 25 %, ajoute-t-il dans son communiqué.
Explications
Les données indiquent également que le débit sortant au barrage de Jinghong le 11 février était de 775 mètres cubes par seconde (m³/s). Cela représentait une baisse de 50 % de son niveau normal d’environ 1 400 m³/s, enregistré pour la dernière fois en décembre 2020. Selon le communiqué, les niveaux d’écoulement au barrage de Jinghong du 1er au 7 janvier étaient stables à 785 m³/s, mais ont progressivement augmenté à 1 400 m³/s le 15 janvier, ce qui représentait une élévation de 1,07 mètre du niveau d’eau.
Du 15 au 23 janvier 2021, le débit sortant a chuté à 740 m³/s avant de remonter à 990 m³/s le 29 janvier. Il a ensuite diminué progressivement pour atteindre 800 m³/s le 11 février. « Le maintien de ce schéma d’écoulement trop faible pourrait avoir un impact sur le transport fluvial, la migration des poissons, l’agriculture et la prolifération des mauvaises herbes fluviales », souligne Winai, ajoutant :
« Pour aider les pays du Bas Mékong à gérer les risques plus efficacement, nous appelons la Chine et les pays du Bas Mékong eux-mêmes à partager leurs plans de rejet d’eau avec nous »
Début janvier, le ministère chinois des Ressources en eau a notifié aux quatre pays du Bas Mékong que le débit sortant de la station de Jinghong serait limité à 1000 m³/s du 5 au 24 janvier 2021 en raison des travaux de maintenance en cours sur les lignes de transmission du réseau électrique. Cependant, le ministère chinois n’a pas précisé le niveau d’eau avant la restriction de sortie, indique le communiqué. La notification a été faite après que la Chine ait accepté en novembre 2020 de partager les données sur les niveaux d’eau et les précipitations tout au long de l’année avec la MRC. Par cet accord, la Chine avait accepté de notifier à la MRC et à ses pays membres toute élévation ou baisse anormale des niveaux d’eau ou des rejets, et de fournir des informations pertinentes sur les facteurs susceptibles de provoquer des inondations soudaines. Elle a donc averti, mais sans donner suffisamment de précisions.
Teinte bleu vert
En plus de la chute des niveaux d’eau à de faibles niveaux, la MRC a également révélé que la couleur de l’eau du Mékong dans la province nord-est de la Thaïlande de Nakhon Phanom était devenue aigue-marine — un phénomène qui s’était déjà produit fin 2019.
L’analyse préliminaire du phénomène par la MRC montre que, tout comme en 2019, plusieurs facteurs ont joué un rôle dont le faible niveau d’eau, une lente baisse des sédiments fluviaux et la présence d’algues au fond du fleuve : « Tout comme la situation en 2019, le phénomène de l’eau bleu vert d’aujourd’hui est susceptible de se propager à d’autres affluents du Mékong où les faibles débits sont ressentis », déclare le scientifique cambodgien So Nam, chef de la gestion de l’environnement au Secrétariat de la MRC.
Impacts
Pour le scientifique, certains des impacts potentiels de la clarté des eaux comprennent des changements dans la productivité de la rivière avec moins de nourriture disponible pour les insectes aquatiques, les invertébrés et les petits poissons, ce qui affecte par conséquent la productivité de la biodiversité aquatique, réduit les prises de poissons et menace les moyens de subsistance des communautés locales. L’apparence bleu vert du Mékong, confie Nam, pourrait continuer jusqu’à ce que les débits augmentent avec le début de la prochaine mousson, qui commence généralement à la fin mai. La rivière pourrait revenir à la normale si de grands volumes d’eau sont libérés des réservoirs de stockage dans le haut Mékong, conclut-il.
Brian Eyler, directeur du programme pour l’Asie du Sud-Est au Stimson Center à Washington, DC, déclare que le Mekong Dam Monitor a des conclusions et des préoccupations similaires à celles soulevées par la MRC. Il explique que les niveaux à Chiang Saen en Thaïlande et à Vientiane, au Laos, sont bien inférieurs à ce qu’ils devraient être compte tenu des quantités d’eau présentes dans le bassin supérieur.
Il avance que le retour des débits naturels du fleuve aidera à ramener la normalité des niveaux d’eau : « Les principaux réservoirs de Xiaowan et Nuozhadu sont presque pleins, ils contiennent environ 40 milliards de mètres cubes d’eau », dit-il, faisant référence aux deux barrages hydroélectriques dans la province chinoise du Yunnan.
« Ces réservoirs commenceront probablement à libérer de l’eau bientôt et ces rejets finiront par apparaître en aval dans le cadre de leurs opérations normales de saison sèche »
Avec Sao Phal Niseiy — Cambodianes & Sun Narin — VOA Khmer et la Mekong River Commission
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