Né de la rencontre entre une ethnomusicologue et une photographe, le projet multimédia Her Sounds rend hommage aux femmes artistes cambodgiennes.
Her Sounds : Célébrer les artistes cambodgiennes
Elles se nomment Em Theay, Yeiy Chong, Thorn Seyma ou encore Men Mao. Elles ont entre 21 et 86 ans, sont danseuses, musiciennes ou chanteuses et font partie des 18 artistes cambodgiennes auxquelles l’exposition Her Sounds a décidé de rendre hommage. À travers leurs parcours se dévoilent les préjugés dont sont encore victimes les femmes artistes, mais aussi les joies, les doutes et les espoirs qui les guident au cours d’une carrière ponctuée d’aléas.
« Façonner la compréhension du monde »
C’est un véritable tour de force qu’ont mené les deux initiatrices du projet : parcourir, en à peine trois mois, une grande partie du Cambodge afin de recueillir les témoignages de 18 femmes de tous âges et aux parcours fort variés. Pendant que Neak Sophal exécutait les portraits de ces artistes, Emily Howe recueillait quant à elle leurs témoignages tout en enregistrant leurs performances. Il était d’ailleurs possible d’assister à ces performances le soir de l’inauguration, certaines protagonistes étaient présentes afin de démontrer l’étendue de leurs talents. Chants, danses, poèmes et histoires tirées du folklore cambodgien étaient diffusés dans les haut-parleurs, contribuant ainsi à une immersion totale du public.
Toutes ces œuvres « façonnent notre vie et notre compréhension du monde », comme l’affirment Neak Sophal et Emily Howe, qui insistent sur l’importance des arts dans la vie quotidienne. Toutes ces formes de créativité témoignent à la fois des persistances et des évolutions d’une société dans laquelle les arts jouent un rôle complexe, comme l’explique la chercheuse Emily Howe. Si l’influence des femmes est déterminante dans le paysage artistique cambodgien, la perception de ces artistes demeure ambiguë, tant elles s’éloignent du canon de la femme traditionnelle prescrit par la tradition.
Raconter des histoires
À travers les témoignages, les itinéraires personnels se dévoilent, laissant entrevoir la force et la passion qui ont guidé ces femmes. Il est ainsi possible de découvrir, entre autres, le parcours d’Em Theay, danseuse classique qui a grandi dans l’enceinte du Palais Royale et qui, à 86 ans, travaille avec sa fille et sa petite fille. Hem Sovann continue elle aussi à se produire sur scène, poursuivant une carrière entamée dans les années 1960 en compagnie de Sin Sisamouth. Le Messenger Band, constitué de six ouvrières du textile, sillonne le Cambodge afin de dénoncer l’oppression sociale par le biais de chansons engagées. Les exemples sont nombreux, et tous reflètent les difficultés rencontrées par ces femmes dotées d’un immense talent avec lequel il est, paradoxalement, parfois difficile de vivre. C’est cette dichotomie qu’illustre avec succès Her Sounds.
Bien plus qu’une exposition, le projet vise à la fois à faire découvrir des performances encore méconnues, à témoigner d’itinéraires souvent hors-normes et d’inviter à une réflexion sur le statut de l’artiste cambodgienne. Dans ce sens, deux débats réunissant plusieurs actrices de la scène culturelle ont été organisés en marge de l’exposition, permettant de faire le point sur les conditions et les perspectives inhérentes aux professions artistiques.
De nombreux talents se sont joints au projet, apportant leurs témoignages et prodiguant leurs conseils. La troupe des New Cambodian Artists et des membres du cirque PHARE l’ont fait. Le public est aussi encouragé à témoigner de ses propres expériences à travers les réseaux sociaux ou, tout simplement, à partager une performance artistique par le biais du mot-clé #HerSoundsChallenge.
Illustration d’un engagement commun
Visible jusqu’au 25 novembre, cette installation multimédia illustre l’engagement, et la passion qui anime ses deux initiatrices. Photographe internationalement reconnue, Neak Sophal a exposé à de nombreuses reprises ses travaux ayant pour thèmes l’identité, la mémoire et la condition féminine, et n’a de cesse d’interroger une société en profonde mutation. Emily Howe aborde quant à elle le Cambodge par le biais de la musique, la jeune femme étant diplômée d’ethnomusicologie à l’université de Boston. Ayant effectué sa thèse sur les politiques de développement et de changement social au Cambodge à travers l’analyse de la musique et de la danse, Emily Howe, qui parle couramment khmer, n’a de cesse de transmettre les connaissances acquises sur le terrain. Créatrice d’un site web entièrement consacré à la musique cambodgienne, Emily Howe est aussi chef d’orchestre et enseignante. Les talents des deux complices se révèlent donc particulièrement complémentaires pour raconter la vie, les rêves, le courage et la persévérance de ces femmes d’exception.
Her Sounds, jusqu’au 25 novembre 2019 au MIRAGE Contemporary Art Space Du lundi au samedi de 11 heures à 19 heures Entrée libre https://www.facebook.com/miragesiemreap/
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