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Histoire : Quand les guerres détruisaient la faune du royaume

Les guerres au Cambodge ont eu une grave influence sur la raréfaction de la faune dans le royaume.

Atterrissage d'un hélicoptère américain au Cambodge. Photographie Man Hai (cc)

Atterrissage d’un hélicoptère américain au Cambodge. Photographie Man Hai (cc)


Les conflits armés sont un phénomène dont la brutalité a souvent des effets graves sur la société. Leurs répercussions à long terme sur la vie politique et économique des pays concernés sont des sujets d’étude qui monopolisent l’attention des chercheurs, qu’ils soient historiens, sociologues, ou économistes.

Cependant, les études sur l’héritage des conflits et leurs conséquences sur la faune sauvage et son habitat sont plutôt rares.

C’est ce qu’affirme une étude réalisée en 2008 par une équipe de chercheurs affiliée au Fonds Mondial pour la Nature. Ils se sont intéressés aux effets durables des conflits sur la raréfaction de la faune au Cambodge.

Le Cambodge comme sujet de recherche

Le Cambodge a eu le malheur de subir une succession de conflits extrêmement meurtriers durant le XXe siècle. De 1970 à 1998, le pays a connu un état de guerre quasi permanent.

Le royaume fut le pays le plus bombardé de l’histoire avec 2 756 941 tonnes de bombes larguées de 1970 à 1975 par l’aviation américaine.

Au Vietnam, ce sujet constitue un point de crispation dans ses relations avec les États-Unis. Et, la Maison des Sciences à Montpellier a lancé un projet pour enquêter sur les conséquences de l’agent orange dans la péninsule indochinoise.

Cependant, l’usage de défoliant et les bombardements ne peuvent expliquer totalement le déclin de la faune. Selon les auteurs de l’article scientifique, bien que les baisses les plus marquées de la faune sauvage ont eu lieu durant les années 1970, elles ont perduré après la fin des conflits en 1998.

Pour expliquer ce phénomène, les chercheurs ont étudié la commune de Sre Chis, « un groupe de six villages ethniquement diversifiés du nord-est du Cambodge, et dont la relation de dépendance à l’égard des ressources naturelles remonte aux années 1930 ».

Les chercheurs ont interrogé plusieurs groupes de chasseurs âgés de 35 à 85 ans. Le choix de la commune de Sre Chis s’explique par le fait que les habitants de Sre Chis « n’ont pas été déplacés pendant l’ère Pol Pot, ce qui a préservé la relation multigénérationnelle entre les habitants de Sre Chis et leur environnement local », ce qui est unique dans la région.

Les auteurs de l’étude s’appuient également sur les évolutions du commerce « des espèces sauvages pour les marchés extérieurs » ainsi que les effets de la guerre sur les politiques gouvernementales de 1953 à 2005 à l’égard de la chasse.

L’année 1970 est le passage d’une économie de riziculture à « une économie de chasse »

1970 fut aussi l’année du basculement du Cambodge dans la guerre du Vietnam. L’éviction du Prince Norodom Sihanouk le 18 mars 1970, par le général Lon Nol et Sirik-Matak pousse le Cambodge vers la guerre. En effet, ces derniers exigent le retrait des troupes nord-vietnamiennes du territoire cambodgien.

Très rapidement, la guerre envahit tout le pays. Et, le régime de Lon Nol est alors incapable de repousser les troupes vietnamiennes et les Khmers rouges malgré une mobilisation générale. Les chercheurs remarquent que dans la commune de Sre Chis, la « chasse à la faune sauvage a gagné sa place aux côtés de la riziculture comme principale stratégie de subsistance ».

Deux éléments peuvent expliquer la montée du phénomène de chasse dans la commune :

  1. La guerre a considérablement amoindri les récoltes de riz qui nécessitent une main d’œuvre très nombreuse. Cette main d’œuvre est indisponible à cause des combats.

  2. Les armes à feu prolifèrent dans le pays. En 1991, entre 319 500 et 462 500 armes étaient stockées dans tout le pays, 136 000 à 200 000 soldats et 250 000 miliciens ont été formés à leur utilisation. Pour rappel, le royaume comptait entre 25 000 et 35 000 soldats en 1970, ce qui constitue en vingt ans, une évolution non négligeable du nombre de soldats et donc d’armes disponibles dans le pays.

Conséquences et héritages

Si la chasse est devenue un des meilleurs moyens de subsistance durant les années 1970, ces pratiques ont continué après la chute du régime de Pol Pot. Ainsi, la recherhche indique qu’« au cours des 50 années visées par notre étude, les espèces fauniques la richesse et l’abondance ont diminué de façon persistante ». Afin de mesurer ce déclin de la faune sauvage, les chercheurs se sont basés sur la distance parcourue pendant la chasse par les habitants de Sre Chis. En moyenne, les habitants de Sre Chis devaient parcourir entre 1 et 4 km avant d’attraper du gibier en 1954. Cinquante ans plus tard, les habitants doivent parcourir plus de 10 km en moyenne.

De même l’abondance des espèces a considérablement chuté durant la même période. Cette diminution coïncide avec deux facteurs : la facilité avec laquelle on se procure des armes et l’exportation des produits issus de la chasse qui passent d’un marché exclusivement local dans les années 1950 à un marché national en 1970 puis international à partir de 1975. Cette évolution s’est poursuivie après la guerre et « ne peut s’expliquer seulement par la perte d’habitat ». Les forêts dans un rayon de 10 km autour de la commune de Sre Chis ont seulement décliné de 9,6 % de 1959 à 2002, soit une moyenne de 0,22 % par an. C’est bien en deçà de l’Asie du Sud et du Sud-Est où le taux de perte d’habitat pour la faune est de 0,83 % par an ».

Si, à partir des années 2000, la chasse a connu un déclin grâce aux mesures prises par le gouvernement, le marché d’espèces sauvages n’a pas complètement disparu, en particulier pour les espèces rares. Cette étude montre au final que les mécanismes sociaux et économiques d’une société qui a vécu la guerre ont bien du mal à s’adapter, même après la fin de ces conflits. Ainsi « ces impacts secondaires peuvent représenter une plus grande menace pour la faune à long terme que les effets directs et immédiats d’un conflit ».

En conclusion, l’étude recommande aux Nations unies d’inclure dans leurs politiques de transition pour la paix des investissements pour la conservation de la faune.

Le Cambodge fait depuis de nombreuses années des efforts en faveur de la faune sauvage, la population aussi semble prendre conscience de l’enjeu de sa préservation.

Néanmoins les questions de la préservation de la faune suite à un conflit ne concernent pas seulement le Cambodge. Cela affecte tous les pays qui ont connu ou connaîtront dans leur histoire des guerres sanglantes et dont les conséquences se révéleront, des années plus tard, bien plus profondes qu’un seul comptage des morts.

Par Hugo Bolorinos

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