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Ancre 1

Chronique : Mes chers parents, fatalité et patience, les deux faces du Cambodge

Au détour du chemin apparaît le terrain bordé d’Eucalyptus et parsemé de Frangipaniers centenaires. Entre deux arbres se dessinent les rives de la rivière qui, non loin, traverse paisiblement la petite cité endormie.  Partout alentour la campagne des rizières, mouchetée de palmiers à sucres, décline ses nuances de couleurs. Avec pour seuls voisins quelques maisons traditionnelles en bois, cet emplacement est l’un des plus calmes de la ville. Le jour, seul le cri des enfants perce la quiétude des lieux et, lorsque le soleil, immense boule pourpre parfaitement ronde, décline à l’horizon, quelques oiseaux venus de nulle part entament leur concert tropical.

Mes chers parents, fatalité et patience, les deux faces du Cambodge

Mes chers parents, fatalité et patience, les deux faces du Cambodge. Illustration par RIMO


Projet dans le calme

L’investisseur étranger et son partenaire cambodgien sont sous le charme. Ils viennent à peine de signer l’acte d’achat. Le terrain est désormais à eux. Là, ils imaginent déjà les bungalows, ici le restaurant, plus loin le spa et au centre du tout, la piscine d’eau salée. Tout est prêt. L’architecte ébauche des plans. Le petit hôtel de charme destiné à une clientèle écolo, amateur de repos, et désireuse de goûter à la quiétude du Cambodge millénaire dans un cadre de rêve, s’appellera Sérénité. Les propriétaires vont certainement y organiser des séances de méditation et des cours de yoga. Ha, le calme légendaire de la campagne !

Les jours passent. De gros camions amènent la terre destinée à remblayer le terrain. Une clôture de bambous s’érige et les plans prennent forme. Si tout va bien, le petit complexe hôtelier ouvrira ses portes à la saison prochaine.  Il est près de 18 heures et, dans quelques instants, la nuit enveloppera cet écrin de sérénité. Soudain, éclate comme une détonation ; un bruit sourd rapidement suivi par un sifflement épouvantable. Puis une voix humaine hurle dans un micro. « Moï – Pi ! Moï – Pi ! » Un wagon de décibels déchire le crépuscule et les oiseaux, affolés, quittent d’une seule aile leurs refuges. La campagne n’est plus que musique assourdissante. Les aigus sifflent sur des basses qui sonnent comme une batterie de canons antiaériens. Ce qui semble être une chanson khmère dont les paroles sont inaudibles tellement la qualité du son est mauvaise, se répand à des centaines de mètres à la ronde.

Le Tournesol

Les deux hommes se précipitent. « Certainement un mariage ou une fête quelconque non loin », explique le Cambodgien d’un ton rassurant. Mais il n’en est rien.

Le Tournesol ouvre ses portes ce soir : quelques paillotes rudimentaires au toit de chaume, des tables en acier, des chaises en plastique ; le tout posé sur un terrain vague saupoudré de guirlandes scintillantes à une centaine de mètre du projet d’hôtel. Sur une estrade, un groupe de jeunes s’époumone, entouré de véritables murs d’enceintes. Des jeunes filles servent de la bière à une clientèle essentiellement masculine. On rit. On boit. On s’amuse.

Hybride

Le Tournesol est une sorte d’hybride, à la fois Beer garden, karaoké et dancing ; le tout à ciel ouvert ! Les travaux n’ont pas duré plus de quelques jours. Personne n’y avait prêté attention. Face à l’immense parking où s’entassent déjà de luxueux 4×4, berlines et pick-ups, rapidement les villageois se réunissent. Certains ne sont vêtus que de leur krama noué autour de leur taille. D’autres tiennent encore à la main leur bol de riz. Renseignements pris, l’endroit appartient à un « Lok Thom », une personnalité très influente de la ville. Le groupe de paysans reste là un long moment à examiner le spectacle, puis se disperse.

Aujourd’hui, quatre mois après son ouverture, le Tournesol ne désemplit pas. L’endroit est même rapidement devenu incontournable pour toute une catégorie de messieurs célibataires qui viennent ici, entre amis, taquiner la « lanceuse » dans de petits kiosques aux rideaux roses offrant une relative intimité. Les décibels démarrent à 18 heures. Ils se poursuivent tard dans la nuit. Le parking s’est agrandi et les serveuses qui patientent sur des chaises en plastique à l’entrée, y sont encore plus nombreuses. Une belle affaire qui projette ses décibels à sur des centaines de mètres à la ronde, sans temps mort. Dans les alentours, les passagers des Toyota Camry et autres Land Cruisers ont remplacé les cigales, les oiseaux et autres crapauds buffles ; les chansons grivoises et le tintement des verres, leurs cris nocturnes.

Khmer pub Street

Faire baisser le son ? Se plaindre ? Quelques voisins, les plus proches, ont déjà timidement essayé auprès du chef du village. « Les enfants ne dorment plus. Ils ne peuvent plus faire leurs devoirs », disent les uns. « On ne peut plus écouter la télévision, la musique couvre tout », disent les autres. Le chef du village leur a alors murmuré le nom du propriétaire en haussant les épaules, comme un argument sans appel.

Avec cette fatalité déconcertante qui caractérise trop souvent les Cambodgiens, le village tout entier ferme les yeux et se bouche les oreilles.Le grondement nocturne fait désormais partie intégrante de ce bout de campagne, quelque part dans ce qui fût jadis une paisible bourgade du Cambodge.

Quelques mois plus tard, le Tournesol a fait des petits et deux autres Beer Garden se sont installés, non loin. Et il se dit que d’autres vont venir à leur tour sur cette route que d’aucuns appellent déjà « Khmer pub Street » ! Quant à l’investisseur et à son associé, ils ont finalement mis leur terrain en vente et stoppé net tout projet de petit hôtel tranquille. Ils ont déjà eu des propositions de location. Et dans son malheur, cet investisseur a toutefois eu de la chance. Le Tournesol aurait tout aussi bien pu entrer en activité quelques mois seulement après l’ouverture de l’hôtel. De telles catastrophes se produisent régulièrement.

Le Beer garden de plain air est au Cambodge ce que la blennorragie est à l’homme ; un mal qui gâche bien des plaisirs et qui fait souffrir au-delà du raisonnable. Sauf qu’il n’existe aucun remède connu contre ce fléau moderne des jardins musicaux à ciel ouvert.

À part, peut-être, l’apprentissage de la fatalité et de la patience, les deux vertus que tout étranger désireux de s’implanter au Cambodge, devrait commencer par cultiver… A bientôt, Frédéric Amat

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