« Celui qui a inventé le bateau a aussi inventé le naufrage » affirmait Lao Tseu. C’est avec tristesse que la communauté expatriée a appris la semaine dernière le naufrage du Kanika, l’un des navires de croisière les plus emblématiques des rives du Mékong à Phnom Penh.
Un malheur n’arrivant jamais seul, les problèmes économiques liés au Covid-19 n’ont pas permis au propriétaire Jean-Pierre Fréneau d’assurer l'embarcation convenablement et c’est à la force du poignet que l’activité pourrait redémarrer. Et, avec l’humour qui le caractérise et sans se laisser démonter, l’amiral Fréneau (comme il le cite) confie ses impressions, ses projets, sans oublier la belle solidarité qui s’est manifestée autour de sa mésaventure. Entretien :
CM : Qu’est-il arrivé au Kanika ?
Il a coulé, l'accident a eu lieu lundi 2 novembre 2020 au matin. Le Kanika était amarré à couple avec un autre bateau. Dans la nuit, mon capitaine s’est levé plusieurs fois pour remettre la pompe de cale en route. À 7 h 30, la pompe tournait encore mais il y avait plus d’eau à l’intérieur qu’au départ, il a donc tranché les amarres qui nous reliaient à l’autre navire, afin de lui éviter un destin similaire au Kanika qui a sombré en 20 minutes.
CM : Vous avez une idée des raisons du naufrage ?
Oui, il y a 8 ans avant que je l’achète, celui-ci avait été percuté par un dragueur de sable sur la jupe arrière gauche ; le problème vient du même endroit. La précédente réparation s’est faite en 3 jours et demi sur cale sèche. Lorsque j’ai fait l’acquisition de ce catamaran, un expert maritime est venu en vérifier l’état ; tout semblait opérationnel, pourtant je pense que c’est de là que ça vient.
CM : Qu’en est-il du renflouement ?
C’est compliqué puisqu’il fait 25 tonnes, avec l’eau à l’intérieur, il faut sûrement rajouter 20 tonnes. Une équipe de Cham nous a permis, après plusieurs tentatives infructueuses, de le remettre à flot avec des méthodes très traditionnelles. Nous essayons de sauver les équipements et dimanche, les dégâts ont été évalués. Même si le sauvetage se présente mieux, c’est tout de même un coup dur, financièrement et aussi sentimentalement.
« Le Kanika était notre emblème et avait du succès. Une capacité de 90 personnes, 50 % des services fournis aux touristes, 50 % avec les entreprises, administrations, ambassades et ministères »
Depuis le Covid, l’activité était plus compliquée, pas de touristes internationaux et moins d’événements organisés. Un climat très difficile depuis 9 mois.
CM : Est-il possible de sauver ce navire ?
Aujourd’hui, je ne sais pas, tout dépend du coût des réparations. Dans ce contexte Covidien, à vivre sur ces réserves, on prend conscience qu’elles ne sont pas inépuisables. À mon épouse et moi de songer au redémarrage, de prendre une décision, de savoir si cela vaut le coup ou pas. Toutefois, nous réarmons le deuxième bateau, le Queen Mary pour nous permettre de travailler à nouveau.
CM : Parlez-nous du Queen Mary
Contrairement au Kanika qui est un catamaran, c’est un petit bateau traditionnel : un 18 mètres composé de 3 ponts : un pont supérieur avant où se situe le bar, un pont supérieur arrière, et pour finir un coin lounge avec des banquettes. Pour des questions d’assurance, il ne peut accueillir que 30 passagers à quai et 20 en croisière.
« Depuis le Covid 19, nous faisions essentiellement travailler le Kanika, car il avait une capacité d’accueil beaucoup plus importante et il faut dire, un peu plus de panache »
Le Queen Mary n’a pas tourné depuis quatre mois. J’ai donc demandé à mon capitaine d’intervenir sur les moteurs par mesure de sécurité. Les équipements de cuisine, sans oublier ceux du bar, sont à acheter de nouveau ; tout était utilisé sur le Kanika. Nous nous sommes fixés une semaine pour qu’il soit opérationnel.
CM : Avec ce navire, quel style de service allez-vous proposer ?
Je ne peux pas aller au-delà de 20 personnes, nous allons plutôt garder un côté intimiste. Comme pour le Kanika, nous offrons du privatif avec l’organisation d’anniversaires ou d’événements quels qu’ils soient. Nous proposons toujours un départ pour le coucher de soleil, sans oublier nos plateaux de fruits de mer que nous allons développer avec aussi une nouvelle carte de viandes. Nous projetons aussi de relancer nos tapas, très appréciés de nos habitués.
CM : Qu’en est-il de votre seconde activité avec Phnom Penh héritage tour, l’expérience continue -t-elle ?
Difficilement, l’activité reste très faible depuis mars 2020. J’ai travaillé avec Jacques Guichandut qui a monté Urban Tales et avec Nicolas Plesse. Il vient de louer mes services pour le circuit Vann Molyvann la semaine dernière : c’est un tour architectural avec Ubiquest, une agence de jeux et d’événements urbains.
Ce parcours permet de découvrir le bâti phnom penhois réalisé par l’architecte cambodgien. Après le franc succès du tour historique, nous avions développé un tour de nuit, en français et en anglais, qui dure une heure et demie. Il propose aux passagers du bus une vision nocturne et éclairée des bâtiments tels que le Wat Phnom et la poste, le tout accompagné d’un semblant d’histoire. Le covid n’a pas vraiment aidé à sa pérennisation.
CM : Restez-vous tout de même optimiste malgré les circonstances ?
On a toujours de la force, je pense intégrer une autre structure en plus du Queen Mary . Je travaille actuellement sur deux projets, toujours dans le même secteur ; les idées sont là, ce sont les finances qui risquent de manquer.
Toutefois, au travers de ce qui nous arrive, nous recevons énormément de messages d’amitié, je sais qu’il y a une collecte de fonds qui est en train de se monter en France et j’ai un très fort soutien au Cambodge également.
Propos recueillis par Michael Grao. Illustrations additionnelles par Adèle Tanguy et JP Fréneau
Pour contacter Jean-Pierre Fréneau ou suivre les opérations de renflouage : web.facebook.com/freneaujp
Comments