Siem Reap & Portrait : Sandrine Steinberg, prendre soin de ses rêves
Journaliste, réalisatrice, thérapeute et éternelle voyageuse, Sandrine Steinberg semble avoir autant de vies que celles des chats, qu’elle affectionne tout particulièrement. Tombée amoureuse du Cambodge et n’écoutant que ses émotions, cette personnalité foisonnante a décidé de rejoindre le royaume pour y décliner toute une gamme de soins du corps.

Depuis son arrivée en février, Sandrine promène son large sourire et son regard pétillant dans les rues de Siem Reap. À l’heure où les touristes ont déserté la ville et où de nombreux expatriés s’interrogent sur leur avenir, cette aventurière bien décidée à écrire un nouveau chapitre de sa vie a quant à elle misé sur une installation dans la cité des temples. Et tant pis s’il lui faut patienter encore quelques mois avant d’inaugurer sa nouvelle activité professionnelle : cela lui laisse davantage de temps pour organiser ses projets. En attendant, Sandrine déborde d’occupations et satisfait sa soif de découvertes dans son nouveau pays d’adoption.
Il aura fallu que le coup de cœur pour le Cambodge soit profond pour la décider à quitter un territoire fréquenté depuis 26 ans. Originaire de la région parisienne, Sandrine s’est installée à Nouméa en 1994, pour y exercer dans un premier temps le journalisme. Est-ce là la raison de son ouverture d’esprit, de son attrait envers les cultures, tel un leitmotiv professionnel ? Pas si sûr, à l’entendre raconter les étapes d’une vie aux multiples facettes, toutes guidées par la quête d’expériences diverses, mais au final profondément liées et cohérentes. Cette quête, elle a voulu la suivre jusqu’en Asie, continent riche en contrastes et en couleurs, paradis des sens envers lesquels Sandrine se montre particulièrement réceptive.
« J’étais déjà venue au Cambodge, mais sans me montrer spécialement attirée pour y vivre. Et puis un jour, alors que je me promenais en vélo à Siem Reap, j’ai vu danser devant moi quelques grains de poussière.
Une véritable poussière d’or m’entourait, éclairée par une lumière fantastique. Tout était d’or autour de moi, comme dans un conte de fées. C’est à partir de cet instant-là que j’ai irrésistiblement voulu vivre ici.
L’on s’y sent bien, c’est une ville qui pousse au rêve et à la contemplation. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la rivière pour avoir l’impression d’être au beau milieu d’un tableau ». Les chemins empruntés par la vie, parfois, ne tiennent qu’à quelques particules de poussière dansant dans l’air aux abords d’une rivière.

Cet aspect sensuel de l’Asie, Sandrine l’a découvert très tôt. À l’âge de 10 ans, très exactement. Le son de la portière du Combi Volkswagen qui coulisse, laissant entrevoir une incroyable caverne d’Ali Baba, résonne encore dans sa mémoire. « J’étais une enfant lorsque Monique et Henri, un couple de hippies amis de mes parents, ont garé leur véhicule dans la cour de la maison. Ils rentraient tout juste d’un long séjour en Asie effectué au volant de leur camionnette. À l’arrière de celle-ci se trouvait une multitude d’objets amassés tout au long de leur périple pour les revendre une fois rentrés. En s’ouvrant, cette porte de Combi m’a aussi ouvert la porte vers un Nouveau Monde, dont je ne soupçonnais pas l’existence. Dès ce moment, l’Orient a exercé une emprise qui ne s’est depuis jamais démentie ». Le regard émerveillé d’une petite fille contemplant un trésor oriental sera le premier contact avec une Asie fantasmée, qui se poursuivra par l’intermédiaire de la lecture, dont Sandrine a toujours été friande.
Le Japon de Mishima la fascine, sa description des pavillons, des fleurs et du raffinement nippon lui fait dévorer les ouvrages de l’auteur du Marin rejeté par la mer
Sa jeunesse, Sandrine la passe au sein d’une famille partagée entre scientifiques, inventeurs et artistes de talent. Parmi leur parentèle, les Steinberg comptent le compositeur Vladimir Cosma ainsi que l’illustrateur Saul Steinberg, dont les dessins ornaient régulièrement les unes du New Yorker. « J’ai appris son existence assez tardivement, il y a une quinzaine d’années tout au plus. Sa vie m’a tout de suite fascinée, par son parcours, mais aussi par les similitudes entre nos deux caractères. Le mépris du qu’en-dira-t-on, la priorité accordée à la passion plus qu’à la raison, sont autant de valeurs que nous avons en commun ». Une autre figure familiale, celle du grand-père, aura aussi joué un rôle majeur dans sa vie. Ce scientifique a consigné les mémoires d’une vie foisonnante dans un manuscrit baptisé « De la lampe à pétrole à la bombe à neutrons ». Toute une existence défile dans les pages de l’ouvrage, que Sandrine a dactylographié avec l’aide de ses cousins et cousines. Forcément, un tel héritage familial ne peut que laisser des traces. Vient l’heure des études, tournées vers la kinésithérapie. Tout en fréquentant les bancs de l’école du docteur de Sambucy, la jeune femme découvre le journalisme par l’intermédiaire des radios libres alors florissantes. La voilà au micro d’émissions musicales passant sur de petites stations, puis sur de grandes antennes telles que Radio France Vaucluse et Oui FM, où elle anime Le Tour du monde en 45 tours. Elle évolue dans ce microcosme en fréquentant les soirées très animées du Palace et des salons de Jack Lang, côtoyant musiciens et vedettes de la jet-set.
« Mais l’examen final se rapprochait et il a fallu provisoirement mettre un terme à tout cela. Je n’avais pas le droit à l’erreur, et c’est seulement après avoir obtenu mon diplôme de kiné que j’ai ensuite pu me concentrer sur le journalisme, notamment la presse écrite »
J’y suis allée au culot, forçant le bureau du rédacteur en chef de Guitare et claviers, une référence du genre à l’époque. Puisqu’il était impossible d’obtenir un rendez-vous, j’ai poussé sa porte et me suis plantée devant lui en le regardant droit dans les yeux. La tactique a payé, puisque j’ai finalement obtenu le poste tant convoité ! ». Elle cumule alors trois jobs à mi-temps, écrit pour Larousse, Réponse à tout, Challenges, ou encore Le Nouvel Observateur. Sans omettre Globe, « Un souvenir inoubliable, avec le charismatique Jean Marc Benamou, Édouard Baer ou encore BHL ».

Elle rechigne lorsqu’on lui propose de tenir la caméra pour une antenne régionale de France 3, mais apprend à aimer la prise d’image. Elle exerce le métier avec la passion qui la caractérise, mais veut mettre un brin d’exotisme dans sa vie. Lorsqu’un poste en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, se libère, Sandrine se saisit de l’opportunité.
« Je ne savais même pas où c’était ! Il n’y avait pas encore internet à l’époque, alors, je suis descendue au sous-sol de la rédaction, sur le mur duquel était affiché un grand planisphère »
« Au bout d’un moment, je finis par repérer le petit point symbolisant la Nouvelle-Calédonie. Chouette, ce n’est pas loin de l’Australie, je pourrai aller là-bas pour y passer le weekend ! J’ai accepté le poste, et tant pis si je me suis rendu compte après coup que plus de 3 000 kilomètres séparent les deux endroits »
Depuis, ses compétences en géographie auront nettement progressé. La découverte de Bornéo, pour y réaliser un documentaire sur la pose du premier gazoduc mondial dans le Kalimantan, constitue son premier contact avec une Asie bien différente de celle jusqu’alors fantasmée. Aucune déception, pourtant, juste une soif encore plus inextinguible de découvertes. La liste de ses voyages donne le tournis : Turquie, Birmanie, Indonésie, Thaïlande, Laos, Mongolie, Inde, Pakistan, Chine, Iran… Et Afghanistan, pays dans lequel elle passe un an en mission pour l’ONG AVICEN (Afghanisation Vaccination Immunization Center). Elle y découvre la beauté de cette contrée et de ses habitants, et travaille sous la protection d’un certain commandant Massoud. La Thaïlande la fascine, aussi, et, 12 ans durant, Sandrine s’y rend à chacune de ses vacances, parcourant une à une les régions du royaume. La botanique, et en particulier le monde des fleurs, l’attire particulièrement dans un pays où la pratique est considérée comme un art. Entre temps, ses activités professionnelles s’étoffent, puisque la voilà réalisatrice de courts-métrages ainsi que photographe. Avant de poser la caméra pour une nouvelle aventure, celle des soins du corps, qu’elle concrétise en 2010 en ouvrant Linea Estetica, son cabinet de physiothérapie beauté.
« Le rapport entre la kinésithérapie, le journalisme, la prise d’images et les soins ne paraît pas évident au premier abord, mais je vous assure qu’il existe un lien profond entre ces activités. L’aspect littéraire est très présent dans la photographie et la vidéo »
« On peut mettre autant d’émotions dans une image que dans un texte. Et il en va de même pour les soins du corps, qui nécessitent un côté artistique, une recherche de la beauté. Lorsque je tenais mon salon à Nouméa, j’avais l’impression de vivre dans un livre. Je rentrais dans des vies de façon très intime, confidente attentive de mes clientes, qui abordaient leurs projets, leurs espoirs et déceptions. Des existences extraordinaires se dévoilaient. Cela se rapprochait de Balzac et de Zola ».

À rajouter sur la longue liste de ses activités : les missions humanitaires, un détour par la pâtisserie ainsi que la préparation, actuellement, d’un diplôme d’auxiliaire de santé animalière.
« Les animaux, et en particulier les chats, me rendent folle »
Lorsqu’elle aborde sa future activité à Siem Reap, elle se montre intarissable sur ses projets et la manière de les mettre en œuvre. Des idées, Sandrine n’en manque pas, et les différents types de soins, les traitements proposés, les méthodes de rajeunissement et de relaxation, les cosmétiques utilisés et les appareils tous plus perfectionnés les uns que les autres n’ont aucun secret pour elle.
Dans la conversation se glissent des termes tels que réactivation du métabolisme basal, nettoyage du corps, thérapie non invasive, thermolipolyse ou travail du derme. Dix années de pratique forgent une expérience, que Sandrine est prête à poursuivre sous les cieux cambodgiens. Afin, toujours, de continuer à vivre ses rêves.
Par Rémi Abad