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Siem Reap & Gastronomie : Royaume du Cambodge, l’autre pays du fromage ?

C’est un vieux rêve devenu réalité : depuis sa découverte du fromage en 1986, Chann Vuthy n’avait qu’une seule ambition, celle de commercialiser ses propres produits laitiers au Cambodge. Depuis 2007 et après maintes péripéties, Chann est parvenu non seulement à réaliser son projet, mais aussi à populariser la consommation d’un aliment jusqu’alors largement méconnu par les Cambodgiens.

Chann Vuthy, alias « Tyty »
Chann Vuthy, alias « Tyty »

Voir Chann Vuthy, alias « Tyty », évoluer dans ses locaux est un spectacle à lui tout seul : charlotte vissée sur la tête et blouse autour de la taille, ses mains chaussées de gants blancs s’animent lorsqu’il dévoile ses productions. D’un anglais chantant mâtiné d’accent italien, Tyty décrit avec gourmandise ses mozzarella, gorgonzola, ricotta et autre taleggio avec une passion demeurée intacte depuis la promesse qu’il s’est faite à lui-même, il y a 35 ans, de réaliser ses propres fromages dans son pays natal.

Le grana padano fait partie des 12 variétés produites par La Fattoria
Le grana padano fait partie des 12 variétés produites par La Fattoria

Tout débute par un morceau d’emmental

Aujourd’hui, la Fattoria de Tyty propose pas moins de 12 variétés de fromages et 8 de charcuteries. Rien ne prédestinait pourtant cet enfant de fermiers à réaliser une carrière si inhabituelle au Cambodge, hormis une inextinguible soif d’apprendre. Alors qu’il n’a que 9 ans, les Khmers rouges prennent le pouvoir à Phnom Penh ainsi que dans la province de Kandal, dans laquelle sa famille réside. Plus d’écoles, mais des travaux dans les champs et le souvenir d’une extrême pauvreté. À peine adulte, il s’engage dans l’armée et se retrouve dans un Phnom Penh encore secoué par la guerre civile.

Soldat le jour, il travaille la nuit dans un hôtel comme agent de nettoyage. Fasciné par les arts de la cuisine, il se lie d’amitié avec un Chef allemand, jusqu’à ce fameux jour de 1986 :

« Il était rare d’avoir du fromage à l’époque, et le Chef avait reçu un joli morceau d’emmental...»

« Comme nous étions amis, il a tenu à partager avec moi cette chose dont je ne soupçonnais ni le goût ni la provenance. Je ne savais même pas que le fromage était fait à partir de lait, et pour cause : personne, au Cambodge, ne consommait alors de produits laitiers, cela ne faisait pas partie de nos habitudes. Après avoir contemplé ce bout d’emmental avec curiosité, j’en ai croqué un morceau. »

À partir de cet instant, Chann acquiert une certitude, celle qu’il produira lui-même, un jour, du fromage au Cambodge. Le pari était de taille, et il faudra attendre encore quelques années avant que le rêve ne se concrétise.

Fromages en cours d’affinage
Fromages en cours d’affinage

De ces rencontres qui changent la vie

Pour l’heure, pas question pour Tyty de se lancer dans ce type de production. Avec son maigre pécule et devant apprendre les rudiments d’un métier qui ne s’improvise pas, il quitte l’armée et s’engage auprès de volontaires dans un camp de réfugiés situé à la frontière thaïlandaise. Travaillant pour l’UNTAC, il y passe 3 ans, en profite pour apprendre l’anglais et y fait une rencontre décisive qui changera sa vie à tout jamais.

« Il y avait beaucoup de volontaires étrangers dans ce camp, américains, allemands, canadiens… Et un italien, avec lequel je me suis tout de suite remarquablement bien entendu. Nous sommes devenus amis et, à la fin de sa période de volontariat, il m’a proposé de venir découvrir son pays. Vous imaginez à quel point j’étais curieux de voir de mes yeux une contrée que je ne connaissais que par la réputation de ses marques de vêtements, de chaussures, de voitures… et de ses fromages ! Il était particulièrement compliqué de quitter le Cambodge et d’obtenir un visa pour l’Italie, sans compter le prix du voyage. Mais cet ami m’a aidé à accomplir toutes les démarches, y compris le financement du billet d’avion, et c’est ainsi que je me suis retrouvé un beau jour sur le sol toscan. J’y suis resté 18 mois, largement plus que ce qui était prévu au départ ! ».

Des vaches Made in Italy

Huit années s’étaient écoulées depuis sa découverte de l’emmental, et voilà Tyty arpentant les rues de Florence et les montagnes toscanes, partant à la découverte des spécialités locales. Plus que jamais conforté dans ses ambitions, il se démène pour trouver la personne capable de lui apprendre le métier de fromager.

« Je voulais avant tout démarcher les petits producteurs, pour une raison très simple : je savais qu’au Cambodge, je ne pourrais jamais démarrer une production industrielle »

« Il me fallait donc trouver des méthodes simples, ne demandant pas de grosses installations, mais au contraire un savoir-faire quasi manuel, ce qui était le cas dans les nombreuses productions familiales que l’on trouvait sur place. Pour la même raison de faisabilité, je savais aussi qu’il fallait me concentrer sur les fromages réalisés avec du lait de vache. Grâce à un concours de circonstances, j’ai rencontré une famille qui a accepté de me prendre en charge pendant quelques mois. Les débuts étaient durs : lever à 3 heures du matin pour enfourcher la bicyclette et arriver à temps dans la petite fromagerie, traite manuelle des vaches et apprentissage de toutes sortes de méthodes qu’il fallait ensuite mettre en pratique. Tous ces enseignements, je les gardais précieusement en tête, sachant que, tôt ou tard, je les réaliserai dans mon propre pays. »

Le tout premier appareil artisanal utilisé pour la confection des saucisses. Si l’équipement a depuis évolué, l’objet reste accroché au mur en guise de souvenir
Le tout premier appareil artisanal utilisé pour la confection des saucisses. Si l’équipement a depuis évolué, l’objet reste accroché au mur en guise de souvenir

Assimiler une culture totalement nouvelle

La burrata, qui est maintenant devenue l’un de ses produits phares, est le premier fromage qu’il apprendra à fabriquer. Suivront de nombreux autres, que Tyty énumère avec gourmandise, taleggio, caprino, ricotta, mascarpone… « Il était particulièrement difficile d’apprendre à concevoir des produits pour lesquels je n’avais aucun repère. En Italie, le fromage est quelque chose de très culturel, on grandit avec… Pour un cambodgien qui n’a aucune référence, comment savoir si le goût du fromage qu’on élabore est “normal” ou pas ? Est-ce que mon produit est réussi ? Correspond-il aux critères gustatifs habituels ? ».

« J’ai fini par acquérir ces notions, mais il aura fallu travailler non seulement sur la manière de fabriquer un fromage, mais aussi sur la façon de le manger »

Après sa formation dans les montagnes toscanes, Tyty rejoint une autre famille, qui lui enseigne cette fois l’art de la charcuterie. Il découvre Rome, explore les marchés de la Ville éternelle, apprend toute la nomenclature des produits vendus sur les étals et en profite pour goûter le plus de choses possibles. « Le contact avec les Italiens s’est déroulé d’une manière fabuleuse. Je me souviens par exemple de ce vieil homme qui vendait sa porchetta, peut-être la meilleure que je n’aie jamais mangée. J’ai commencé à lui poser quelques questions et nous avons entamé une discussion. C’était la première fois qu’il voyait un Cambodgien, et un Cambodgien qui s’intéressait à sa porchetta qui plus est ! Il a passé toute la matinée à m’apprendre ses méthodes et ses recettes. »

L’Australie pour la boucherie

Après 18 mois passés en Italie, Chann Vuthy n’en a toujours pas fini avec son apprentissage. Entendant parler d’une formation culinaire en Australie, il obtient une bourse et s’envole pour Melbourne, pour une école tout entière consacrée à la charcuterie. « Le rapport à la cuisine était très différent là-bas, si l’on compare avec l’Italie.

En Australie, la très grande majorité des gens n’aime pas forcément cuisiner, exactement l’inverse de l’Italie, où j’ai rencontré des “mamas” qui avaient plus de 7 décennies d’expérience culinaire derrière elles. » Ce n’est qu’en 2000, soit plus de 2 ans après avoir quitté le pays, qu’il rentre au Cambodge et prospecte aux quatre coins du royaume.

« Impossible alors de trouver une exploitation laitière de qualité, l’heure des fromages n’avait pas encore sonné. » S’établissant à Siem Reap, il se fait embaucher dans les cuisines du Sofitel, en charge de la confection de plats italiens, avant d’ouvrir son propre restaurant en 2005. Il y croise souvent un restaurateur, Roberto, qui devient vite son ami et lui propose de se joindre à lui pour préparer fromages et saucisses. Un local est trouvé, reste le plus important : le lait.

Se lancer, enfin !

Les tournées de prospection reprennent, pour se rendre compte que la situation n’a guère changé depuis les recherches effectuées quelques années auparavant. Durant une courte période, le système D prédomine, jusqu’à ce que des fournisseurs fiables voient enfin le jour. De l’autre côté de la frontière thaïlandaise tout d’abord, ce qui ne fut pas sans poser quelques problèmes logistiques, et au Cambodge enfin, où commence à naître une industrie laitière conséquente.

« C’est un marché relativement nouveau, mais de plus en plus de jeunes consomment des produits laitiers. Jusqu’à ces dernières années, tout était importé, mais la situation est en train d’évoluer très vite, comme le montre l’exemple de la Kirisu Farm, une immense exploitation laitière située non loin de Phnom Penh »

Le problème du lait résolu, Tyty peut enfin se concentrer sur sa production, investit dans du matériel et se forge une clientèle parmi les restaurateurs, les hôtels et les particuliers, bien au-delà de Siem Reap. « Nous avons des clients un peu partout au Cambodge, y compris parmi les Cambodgiens, qui apprécient les fromages frais, les yaourts et la charcuterie. J’ai d’ailleurs de nouvelles idées de recettes qui devraient particulièrement plaire à mes compatriotes ! Le succès commercial et matériel est quelque chose de bien, je ne vais pas vous affirmer le contraire. Mais ce qui m’importe le plus, c’est de faire connaître le fromage, tous ses goûts, toutes ses variétés, et faire en sorte que la fabrication d’un tel produit puisse s’implanter durablement au Cambodge. C’est ce qui me motive au quotidien, ce qui me pousse à aller donner des formations à Paul Dubrule et Sala Baï, à entretenir la passion parmi les 7 membres de notre équipe et à travailler quasiment tous les jours de la semaine. » Papa de 2 garçons, Tyty n’a pas trop de souci à se faire concernant la relève :

« L’aîné se montre très curieux sur les méthodes de fabrication et, à 13 ans, il en connaît déjà beaucoup sur le sujet. Quant au plus jeune, qui n’est pas très intéressé par la fabrication, il ne rechigne par contre pas à manger beaucoup, beaucoup de fromage », confie Tyty dans un éclat de rire, le rire de celui qui a relevé un défi que tout le monde imaginait impossible.

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