Le temps de quelques semaines, le peintre Romain Bernini a posé toiles et pinceaux à l’École Française d’Extrême-Orient. Cette résidence d’artiste a donné naissance à des œuvres étonnantes, qui ont été présentées à un public séduit.
Une maison faite de tôles et de planches de bois. Un hamac orange vif s’y balance, dont la couleur tranche avec la dominante sombre de l’œuvre. Seuls quelques barils, fixés à la base de la structure, la maintiennent à flot.
« Les villages flottants m’ont tout de suite fasciné », explique l’artiste qui se tient devant une peinture grand format, dont la sœur presque jumelle se situe juste à côté. Sur ces deux immenses tableaux, aucun détail superflu ne vient troubler le propos. Romain Bernini livre sa pensée d’un bloc, sans détour, ce qui ne veut pas dire sans finesse. Non loin, des chiffons s’affichent, tellement colorés qu’ils en deviennent psychédéliques. Au centre ont été peintes des mains, fragments de sculptures admirés au Musée National et à la Conservation d’Angkor, caverne d’Ali Baba regroupant mille et un trésors archéologiques.
« C’est là-bas, dans ces deux endroits si particuliers, que j’ai trouvé ces sujets d’inspiration, ces mains auxquelles j’ai voulu rendre hommage. »
Une poésie de l’impermanence
Cet hommage, Romain Bernini l’a effectué de la plus belle des manières, dessinant sa vision d’un Royaume enchanteur et enchanté. Devant un public venu nombreux et composé de personnes de tous horizons, le peintre a exprimé sa démarche ainsi que les liens qui unissent les deux thématiques choisies, mains et villages flottants.
« Les deux thèmes sont liés par la poésie et l’impermanence des choses. Prenons les villages flottants, dont les maisons semblent tenir en suspens sur la surface du Grand Lac. Elles traduisent l’adaptation dont font preuve ses habitants, qui ne sont ni nomades ni sédentaires ».
« Ces maisons vont vieillir, s’abîmer, être reconstruites, mais le mode de vie, lui, restera sensiblement le même. Il est difficile, pour un artiste, de rester insensible à la beauté et à la poésie qu’elles dégagent. Les mains, quant à elles, m’ont intéressé, car le geste occupe une place importante au Cambodge. Dans la danse, les rituels religieux, les processus créatifs… ».
« Les mains représentées sont des fragments, que j’ai pu admirer grâce à la gentillesse des chercheurs de l’EFEO. Partageant leur passion, ils m’ont montré ces morceaux de sculptures ayant appartenu à un corps désormais absent. De plus, la main, le geste, la pensée manuelle sont très importants pour les archéologues, qui passent une partie de leur temps à manipuler et assembler des objets et des histoires. »
De son côté, Brice Vincent, qui dirige l’EFEO Siem Reap, s’amuse et se réjouit de la présence de l’artiste dans une salle de conférence transformée en atelier, « où l’on parle d’habitude de datation radio-carbone, d’études céramologiques et de martelage du cuivre. »
De l’EFEO au musée Sosoro
Peindre, Romain Bernini l’a fait toute sa vie, puisant ses inspirations au fil des voyages et des rencontres. Ses séries se renouvellent ainsi sans cesse, perroquets fabuleux de Vâhana ou crânes de Trying, jungle luxuriante de New Ecstatic Island ou couleurs et personnages hallucinés de Cargo Cult. C’est en 2012, lors d’une exposition de l’artiste dans l’Aveyron, que Valentin Rodriguez a fait sa connaissance.
« Je n’ai depuis cessé de penser à organiser une exposition, tellement le personnage et ses œuvres m’ont marqué. Vingt ans plus tard, nous nous retrouvons à Phnom Penh et à Siem Reap », raconte l’attaché culturel de l’Institut français du Cambodge.
« Nos invités ont tout d’abord été des écrivains, puis nous avons décidé d’élargir la palette pour réunir toutes sortes d’artistes. Mais le principe reste à chaque fois le même : il s’agit d’une résidence de production, où tout est créé sur place. C’est ainsi que sera montée la future exposition de Romain, qui aura lieu ce printemps au musée Sosoro de Phnom Penh. Ce sont les œuvres effectuées ces dernières semaines qui seront présentées au public » explique Mr Rodriguez.
« J’ai douté être déjà venu au Cambodge »
Pour l’instant, 17 tableaux ont été peints, dont trois grands formats. « Ce voyage au Cambodge a modifié ma façon de procéder, tant dans la vision des sujets que dans la manière de les peindre. Les couleurs chatoyantes de la série “After laugher comes tears”, qui traite des mains, résultent des chiffons utilisés comme support. Destinés à être jetés, ces morceaux de tissus, qui ont servi à essuyer et frotter toutes sortes de couleurs, constituent un matériau idéal et léger à transporter. De manière plus générale, je retiens de ce voyage la gentillesse et la bienveillance dont j’ai eu la chance de bénéficier.
C’était aussi l’occasion de redécouvrir un pays vu pour la première fois en 2012, et qui a tellement changé que j’ai douté, à un moment donné, d’y avoir auparavant voyagé. » Repartant en France au terme de sa résidence, Romain Bernini reprendra bientôt ses activités de professeur aux Beaux-Arts de Paris et nous donne d’ores et déjà rendez-vous au musée Sosoro pour sa prochaine exposition.
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