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Santé & Économie : Les ménages cambodgiens endettés craignent l’après Covid-19

L’endettement élevé des ménages dans le royaume pourrait rapidement amener le Cambodge vers une situation sociale et économique difficile, car les pertes d’emplois causées par la crise sanitaire compliquent le remboursement des prêts par les familles endettées.

Hy Sokhom
Hy Sokhom et sa famille

Alors que le pays est plutôt épargné par le Covid-19, des milliers de travailleurs de l’habillement ont perdu leur travail lorsque leurs usines ont fermé en raison des baisses de commandes et des difficultés d’approvisionnement. Des milliers d’autres évoluant dans le secteur du tourisme ou des services sont également sans emploi ou ont vu leurs revenus baisser de façon dramatique ces six derniers mois. Pour certains, cette crise pourrait avoir des conséquences graves, notamment la perte de terres familiales. Hy Sokhom, conducteur de tuktuk, a deux garçons et une fille. Son épouse et sa fille vendent des nouilles dans une école du district de Kien Svay, dans la province de Kandal, mais l’école a fermé ses portes à la mi-mars dans le cadre de mesures gouvernementales visant à contenir la propagation du coronavirus. La famille a perdu en moyenne 10 dollars de revenu quotidien. Leurs deux fils ont perdu leur emploi dans la ville de Bavet lorsque les casinos ont fermé en raison de mesures similaires pour contenir l’épidémie de COVID-19. La famille a donc perdu les 300 $ de revenu mensuel que les deux fils apportaient à la famille. Le couple avait, quand tout allait bien emprunté 18 000 dollars auprès d’une banque et d’un Institut de microfinance (IMF) Les fonds étaient destinés à rénover leur maison, installer leurs deux fils et acheter un nouveau tuktuk. Le total mensuel de leurs remboursements s’élève à 500 $, 400 pour la banque et 100 pour l’IMF. Il y a quelques semaines, l’un des fils a commencé un travail peu rémunéré en tant qu’agent de sécurité, mais cela n'aide pas vraiment à soulager la pression sur Hy Sokhom.

Faire face aux emprunts

Le tourisme, une industrie en pleine croissance avec 6,6 millions de visiteurs en 2019, est aujourd’hui quasiment au point mort. Avant le coronavirus, Hy Sokhom rapportait à la maison environ 20 $ par jour. À présent, une recette entre 7 et 8 dollars est considérée comme une bonne journée.

« Nous n’avons pas d’argent pour payer la banque ni assez pour acheter de la nourriture », déclare l’épouse de Hy Sokhom, Keith Mom

Elle pense que la famille mérite de l’aide de la part de son préteur alors qu’elle n’a jamais manqué un remboursement avant les difficultés liées à l’arrivée de la pandémie. « Je souhaite que la banque et l’IMF nous aident en nous accordant un moratoire de deux à trois mois », déclare-t-elle. Mais leur banque insiste pour que la famille effectue un versement mensuel régulier, précise-t-elle. Un porte-parole de leur banque avance qu’un éventuel report des paiements nécessite au préalable une enquête sur « la situation des revenus des clients et ses difficultés ». Fin avril 2020, plus d'une centaine d'organisations de la société civile ont demandé au gouvernement de veiller à ce que les institutions de microfinance suspendent immédiatement tous les remboursements de prêts ainsi que les intérêts accumulés pendant au moins trois mois.

Cela, ont-ils avancé, s’avère « nécessaire pour garantir que les gens puissent survivre à cette crise sans risquer leur santé ou la perte de leur logement ou terrain ». L’Association cambodgienne de microfinance (ACM) et l’Association des banques du Cambodge (ABC) ont répondu alors que la déclaration des organisations non gouvernementales « ne reflète pas la situation réelle et affecte négativement le secteur bancaire et financier ». Milford Bateman, l’auteur de plusieurs livres sur la microfinance, fait écho aux requêtes des organisations de la société civile :

« Si vous accordez un délai de grâce, mais que vous ajoutez les versements impayés au montant total du prêt dû, ce que certaines IMF ont déclaré qu’elles accepteraient de faire, vous ne retardez la douleur que jusqu’à la fin de l’urgence COVID lorsque le microcrédit est plus lourd que jamais »

En mars, le Premier ministre Hun Sen et la Banque Nationale du Cambodge ont vivement conseillé aux instituts de crédit d’autoriser des paiements différés sur les prêts et les intérêts. L’AMC a déclaré sur son site Web qu’elle évaluerait la situation au cas par cas. Les organisations de la société civile ont répondu qu’une évaluation individuelle serait bien trop lente pour venir efficacement au secours des emprunteurs en crise.

Écouter le Premier ministre

Avec ces seules et rares directives, les villageois du village de Hy Sokhom se tournent alors vers le réseau social Facebook pour suivre les annonces du Premier ministre Hun Sen concernant les microcrédits. « Lorsqu’il est en direct sur Facebook, nous le suivons, car nous voulons connaitre sa position concernant ce problème », confie Pann Sopheak, la voisine de Hy Sokhom.

Pann Sopheak
Pann Sopheak

Pann Sopheak est une veuve de 41 ans qui élève seule trois enfants depuis la mort de son mari il y a six mois. Elle a contracté plusieurs prêts pour la rénovation de son habitation pour un montant d’environ 8 000 dollars US auprès de trois instituts de microcrédit différents. Ses remboursements mensuels s’élèvent à 400 $.

Vulnérabilité

Vendeuse de fruits, ses revenus sont en baisse, car beaucoup moins de Cambodgiens font leurs courses au marché depuis la crise sanitaire. Lorsqu’elle a demandé à ses prêteurs trois mois de grâce, ils ont refusé. « Je vous en prie, Samdech Hun Sen, aidez-nous à parler aux banques pour octroyer aux emprunteurs un délai, un moratoire d’au moins trois mois », s’exclame-t-elle. Dans le même esprit, les organisations de la société civile ont appelé la Banque Nationale du Cambodge et le gouvernement, à publier une directive prescrivant un moratoire minimum de trois mois. Kaing Tongngy, porte-parole de l’Association cambodgienne de microfinance (ACM), avance que l’association s'efforce d’autoriser un moratoire à certains emprunteurs depuis mars 2020. Il précise que l’ACM n’est pas en mesure d’accorder un délai de grâce à tous les clients des IMF. « Certains clients ont toujours la possibilité de payer, alors ils paient comme d’habitude », dit-il ajoutant :

« Les clients qui ont été « gravement touchés doivent fournir des preuves de leur situation. En fonction des négociations et de leurs besoins, nous pouvons accorder des moratoires allant de trois à six mois »

Si la pandémie a affecté les emprunteurs partout dans le monde, le Cambodge se trouve dans une situation assez vulnérable en raison du fort endettement. Un facteur posant un risque au-delà de la crise sanitaire, car susceptible de mettre en difficulté les ménages endettés au premier « coup dur ». Dans leur déclaration, les organisations de la société civile ont déclaré que 2,6 millions de Cambodgiens devaient chacun en moyenne plus de 3 800 dollars US aux instituts de microfinance. Il s’agit, selon eux, « du plus grand ratio au monde ». Selon un rapport conjoint publié par les ONG Licadho et Sahmakum Teang Tnaut, cela représentait au total plus de huit milliards de dollars américains en décembre 2018.

Migration et surendettement

Plus de la moitié des familles interrogées dans un village de la province de Banteay Meanchey déclare que la nécessité de rembourser les prêts de microfinance a contraint certains membres de la famille à émigrer pour travailler en Thaïlande, une tendance de longue date fortement motivée par l’endettement. L’organisation de défense des droits humains Licadho a publié au début de ce mois une étude sur ce village, constatant que la plupart des 30 ménages interrogés ont signalé que des membres de leur famille étaient confrontés à divers problèmes en raison de leur migration, notamment le harcèlement des autorités thaïes, la séparation de la famille et des sentiments d’inquiétude liés à leur dette, souvent garantie par des titres fonciers. Le document d’information, intitulé « Driven Out: One Village’s Experience with MFIs and Cross-Border Migration », est basé sur des entretiens avec des résidents d’environ la moitié des foyers du village. Les trente familles interrogées ont envoyé au moins un travailleur, et parfois jusqu’à sept, à l’étranger pour aider à rembourser les prêts contractés auprès des IMF, indique le document. Kaing Tongngy a répondu que le rapport Licadho reflétait l’expérience d’une communauté qui a le taux de migration le plus élevé. « Mettre en évidence uniquement les problèmes les plus critiques dans la zone la plus touchée et les relier à la microfinance est un jugement injuste et dépeint une mauvaise image des IMF cambodgiennes qui soutiennent 2,2 millions de personnes avec des services financiers durables en temps opportun », a-t-il déclaré après la publication du rapport. Alors que la Thaïlande restreignait sa frontière avec le Cambodge au milieu de la pandémie, plus de 80 000 travailleurs migrants cambodgiens sont rentrés dans le pays ces derniers mois. La directrice de la Licadho, Naly Pilorge, estime que les familles des travailleurs qui sont rentrés de Thaïlande à cause de Covid-19 cette année sont désormais plus enclines à sombrer dans le surendettement en raison du manque soudain de revenus. « Beaucoup trop de familles ont dû quitter leur domicile et leur pays pour rembourser les institutions de microfinance », a déclaré Mme Pilorge dans un communiqué, ajoutant :

« Maintenant, avec des dizaines de milliers d’anciens travailleurs migrants incapables de travailler en Thaïlande en raison du Covid-19, le gouvernement et les IMF devraient aider ces emprunteurs en suspendant les remboursements et en restituant les titres fonciers. »

Secteur informel

La crise du COVID-19 frappe durement le secteur informel. Vorn Pao, président de l’Independent Democracy of Informal Economic Association (IDEA), déclare que la crise sanitaire constitue une menace économique réelle pour les moyens de subsistance des 12 000 membres de l’ONG. Il explique qu’au moins 80 % de ses membres ont des encours de prêt. Et, les membres de son association représentent environ 10 % du nombre total de conducteurs de tuktuk, de chauffeurs de motos et taxis, et de vendeurs. « Je crains que si la crise liée au COVID-19 perdure, cela ait des impacts dévastateurs sur leur vie quotidienne. Ils pourraient faire face à une pénurie alimentaire alors que leurs revenus continuent de diminuer », dit-il. Hout Ieng Tong, président de l’institution de microfinance Hattha Kaksekar, affirme que son établissement a accordé un délai de grâce à certains emprunteurs, y compris ceux travaillant dans les secteurs du tourisme et du textile. « Nous enquêtons d’abord pour savoir si notre client se trouve vraiment touché par la crise et s’il est réellement incapable de rembourser le prêt, toutefois la décision n’est pas et ne peut pas être automatique », explique Hout Ieng Tong. Meas Sok Sensan, porte-parole du ministère des Finances, a déclaré en avril 2020 que son ministère avait provisionné un budget de 350 millions de dollars US pour « aider ces Cambodgiens en difficulté travaillant dans l’économie formelle et informelle ».

Risques de saisie

De nombreux prêts des IMF sont garantis par des titres fonciers, laissant plusieurs millions de personnes avec le risque de perdre leur maison et leurs biens en cas de défaut de paiement. « De nombreux clients ont donné leurs titres fonciers en garantie afin d’obtenir un microcrédit, et certaines IMF pourraient essayer de vendre ces terres pour se rembourser laissant ainsi le client dans une très mauvaise situation - pas de terres en général équivaut à une situation de pauvreté irrémédiable », avance Milford Bateman, ajoutant que

« les IMF n’ont pas encore promis de ne pas saisir les terres et les habitations des clients qui ne peuvent pas rembourser leurs microcrédits »

Pour éviter les saisies, les organisations de la société civile, dans leur déclaration, ont demandé que les titres fonciers soient restitués aux débiteurs. Hy Sokhom, faisant écho à son épouse, avance qu’il a toujours rempli ses obligations bancaires, mais estime que cela ne sera peut-être pas suffisant pour l’aider. « Lorsque nous leur avons emprunté de l’argent, ils nous ont tout demandé en détail. Lorsque nous avons commencé à avoir des problèmes, ils ne nous ont rien demandé. Nous ne sommes que des payeurs », s’exclame Hy Sokhom. « C’est une injustice pour les débiteurs. »  

Un pas vers des allègements

L’Association cambodgienne de microfinance a déclaré la semaine dernière qu’elle avait accordé des facilités de remboursement à 118 000 emprunteurs. Dans son communiqué, l’association rappelle que 137 000 personnes ont effectué une demande d'allègement de prêt et 118 000 d’entre eux ont obtenu satisfaction sous la forme d’une restructuration, de reports de paiement d’intérêts ou de report de tous les paiements. L’association n’a pas donné de détails sur la ventilation des facilités accordées, mais indiqué seulement que 488 millions de dollars US de prêts ont bénéficié d’une forme de restructuration.

« Les IMF peuvent restructurer les prêts s’il y a une proposition des clients, sur la base du contrat de prêt, mais aussi du principe de protection des clients », indique le communiqué

La déclaration établit le nombre d’emprunteurs de microcrédits à 2,2 millions de Cambodgiens, les facilités accordées ne couvrent actuellement que 5 % de l'ensemble des emprunteurs du royaume. Mais, Kaing Tongngy a rappelé que les 103 membres de l’association recevaient environ 20 000 demandes d'emprunteurs chaque semaine. « Les clients dont les demandes ont été rejetées sont ceux qui ne remplissaient pas les conditions suffisantes », dit-il, ajoutant que les IMF examinaient d’abord les « impacts réels » de la crise sur les clients avant d’envisager une restructuration.

Pas pour tout le monde

Leab Theary, 34 ans et mère de deux enfants, était superviseuse dans une usine de confection dans la province de Kandal. Son contrat a été résilié fin avril 2020. Elle a reçu 1 500 $ de prime d’ancienneté et explique qu’elle a beaucoup de mal à trouver un autre emploi. Elle a demandé à son IMF un report pour son prêt, mais sa proposition a été rejetée : « Ils ont dit que la banque n’appartenait pas à l’État et qu’ils étaient libres de leur décision. Je n’ai malheureusement pas d’autre choix que d’utiliser les 1 500 $ pour les remboursements de prêts, ce qui pourrait fragiliser encore plus les ressources du ménage...».

Stress

Le stress de la dette est donc bien présent pour de nombreux emprunteurs cambodgiens. Le Fonds monétaire international avait averti dès 2018 que le secteur des IMF était de plus en plus un risque pour la santé de l'économie en raison de son importance systémique. Nathan Green, professeur adjoint à l'Université nationale de Singapour, qui effectue des recherches sur les IMF et a réalisé des travaux sur le terrain au Cambodge, a déclaré que le secteur manquait de protection des consommateurs.

« Les agents de crédit sont préoccupés par le remboursement, mais ils sont soumis à une très forte pression pour prêter, c'est pourquoi ils proposent de nouveaux prêts plus importants qui peuvent être aussi des refinancements... »

L'expert conclut qu'en dépit de recherches mettant en évidence les sérieux problèmes causés par la microfinance dans de nombreux pays, le secteur était « toujours considéré comme une destination respectable pour l'investissement social ». Mey Kalyan, conseiller principal auprès du Conseil économique national suprême du Cambodge, a déclaré qu'il espérait que les prêteurs seraient flexibles : « Nous ne pouvons pas tuer l'oie qui pond les œufs. Il est temps d'être patients ensemble et de s'entraider » , a-t-il déclaré. CG & Phorn Bopha & Khan Sokummono Sources : BNC — VOA — Lichado - FMI

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