Séverine Gagneraud est la PDG de l’entreprise Pepper Bay, un producteur de poivre biologique de Kampot qui inaugurait mardi dernier son showroom dans la capitale Phnom Penh.
À cette occasion, l’entrepreneure dévoilait la gamme complète des produits de l’entreprise, mais aussi de quelques autres producteurs amis travaillant dans la même mouvance : le bio et la qualité supérieure. Une stratégie qui permet d’alimenter quelques points de vente et restaurants de luxe, mais aussi d’exporter vers les pays environnants.
Entretien
Pouvez-vous nous parler de Pepper Bay ? Et depuis combien de temps opérez-vous au Cambodge ?
Pepper Bay est un producteur de poivre de Kampot biologique et d’autres épices et a été fondé en 2016. Elle emploie environ 60 employés permanents et beaucoup plus pendant la saison des récoltes.
« Avec ses 41 000 plants de poivre de Kampot qui poussent sur 25 hectares de terrain, elle est considérée comme l’une des plus grandes exploitations biologiques de la zone d’indication géographique protégée. »
Les produits de Pepper Bay sont certifiés biologiques pour l’Europe, l’Amérique du Nord et le Japon. Les spécialistes de l’entreprise apportent une expertise moderne tout en respectant les méthodes de culture traditionnelles pour produire un poivre d’excellence.
Quelles sont les opportunités que vous avez identifiées dans votre opération/entreprise au Cambodge ?
Le Cambodge est un pays où la main-d’œuvre est jeune, de plus en plus qualifiée, motivée et désireuse d’apprendre. Toutes ces qualités contribuent à créer un environnement de travail positif et stimulant.
Nous pensons également que le poivre de Kampot, qui est le produit agricole cambodgien le plus réputé avec le riz au jasmin, contribuera à renforcer la réputation du Cambodge en tant que producteur et exportateur de produits agricoles de qualité haut de gamme.
Lorsque vous avez créé votre entreprise, quels ont été les obstacles que vous avez rencontrés ?
En tant que producteurs de poivre de Kampot, nous avons rapidement été confrontés à la concurrence « déloyale » des produits de contrefaçon et de basse qualité. L’obtention de la certification d’indication géographique protégée au niveau européen a été une grande opportunité en termes de visibilité pour le poivre de Kampot, mais elle a également perturbé le marché.
« Un autre défi auquel nous avons été confrontés est le manque de recul sur la production de poivre de Kampot biologique, du fait qu’il n’a été relancé que récemment, et principalement en tant que produit non biologique.»
Votre poivre est-il différent de celui des autres producteurs ?
L’idée que je souhaite mettre en avant c’est que même si la production de poivre de Kampot suit un cahier des charges qui permet d’avoir des saveurs génériques, l’emplacement, l’exposition des plantes et surtout la main du fermier ont une importance sur la palette des saveurs que l’on retrouve dans les grains.
Les deux espèces de poivriers utilisés dans l’IGP Poivre de Kampot sont très réactives à leur environnement, c’est la raison principale de l’existence même de l’appellation.
À partir du moment où c’est la main du fermier qui applique les règles (imposées ou non) de nourriture, de fécondation, de gestion de l’ombre et surtout de récolte à maturations choisies, cette main influence inévitablement, et l’environnement de la plante, et la composition des grains.
Même dans notre ferme et pour des palais entraînés, on constate des différences dans la qualité finale du grain entre les parcelles (dues à des différences de PH, d’humidité, et d’exposition aux vents marins…). Et aussi il y a des différences subtiles d’intensité de certaines saveurs entre un poivre récolté en janvier et un récolté en juin.
Donc inévitablement, toutes les fermes qui respectent le cahier des charges vont produire un très bon poivre de Kampot, il n’y a pas de poivre meilleur qu’un autre mais il sera légèrement différent d’une ferme à l’autre, d’une récolte à l’autre…
Qu’est-ce qui est pour vous un poivre d’excellence ?
C’est un lot de grain de poivre dont on n'a conservé que les grains qui présentent d’une manière homogène la palette la plus importante de saveurs, qui ne sont donc pas abîmés, qui ont une couleur presque uniforme (révélatrice d’une composition des huiles essentielles supérieures similaires), qui ont été récoltés sur la même zone et durant la même journée.
Tous les producteurs font donc un très bon poivre mais avec des différences subtiles sur les saveurs. Faire un poivre d’excellence c’est en fait écarter les grains que le producteur va identifier comme peu intéressants avec une série de tris contrôlés tout au long des phases de transformation.
Comme il y peut y avoir beaucoup de perte (pour certains lots plus de la moitié), et que ces tris manuels coûtent cher parce que faits par un personnel qualifié, c’est la pression financière et les opportunités de marché qui amènent certains fermiers à tenter de faire un poivre d’excellence, ou non. C’est principalement cette proportion de « bons grains » qui explique la différence de prix entre un poivre de Kampot et un autre.
Comment votre société/entreprise a-t-elle été affectée par la pandémie ? Quelles sont vos stratégies pour surmonter les difficultés et devenir résilientes ?
Le premier effet de la pandémie a été la disparition soudaine du tourisme, qui a profondément affecté le marché local des ventes de poivre de Kampot. Nous avons donc dû nous concentrer uniquement sur les exportations.
Cependant, le tourisme étant quasi inexistant, les coûts de transport ont augmenté de façon spectaculaire. Nous essayons donc de trouver des installations de stockage plus proches de notre clientèle, mais là encore, les produits biologiques doivent être transportés et stockés dans des conditions précises, ce qui peut constituer un défi.
Votre entreprise produisant du poivre khmer biologique, quelle est votre opinion sur le secteur agricole cambodgien à l’avenir ?
En tant que producteurs de poivre biologique, nous sommes heureux de constater que de plus en plus d’agriculteurs s’orientent vers la production biologique, non seulement pour le poivre, mais aussi pour d’autres domaines.
« Nous partageons volontiers notre expérience avec les petites exploitations au sein de l’association de promotion du poivre de Kampot. »
Nous pensons également que les produits agroalimentaires cambodgiens seront de plus en plus réputés au niveau international, grâce à l’élévation des normes de qualité et aux efforts du gouvernement pour promouvoir les produits agricoles cambodgiens à l’exportation.
Quels conseils donneriez-vous à une organisation étrangère qui cherche à se développer sur le marché cambodgien ?
Je ne pourrais que conseiller d’être patient, car les choses ont tendance à prendre plus de temps ici. Un autre conseil serait d’avoir une structure d’approvisionnement solide capable de fournir des produits au niveau international, car les options locales peuvent être limitées, en termes d’emballage, par exemple.
De votre point de vue, à quoi ressemblera votre entreprise dans les cinq ou dix prochaines années ?
Nous consacrons beaucoup d’efforts à la création de nouveaux produits, non seulement les produits à base de poivre de Kampot, mais aussi d’autres épices, tout en garantissant un très haut niveau de qualité.
« De nombreux chefs de renommée mondiale aiment innover, ils sont donc à la recherche de produits différents. Nous mettons beaucoup l’accent sur la recherche en ce moment, et nous espérons que dans 5 à 10 ans, les produits de Pepper Bay seront sur les meilleures tables du monde ! »
Du point de vue des ressources humaines, nous souhaitons donner de plus en plus de responsabilités à nos cadres cambodgiens afin qu’ils puissent acquérir une plus grande autonomie dans tous les domaines.
Cette interview est une mise à jour, et illustrée, d'un premier entretien effectué par Eurocham
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