Parmi les articles les plus lus de Cambodge Mag en 2018 : Eloi Courcoux
Eloi Courcoux, 47 ans, est le PDG de Meas Development Holding, un groupe familial cambodgien qui emploie aujourd’hui environ 1400 personnes, et qui opère dans plusieurs secteurs de la restauration allant du collectif à la concession de marques. Après une carrière plutôt brillante chez Disney, Eloi, ses trois enfants et son épouse d’origine cambodgienne s’installent dans le royaume en 2014 pour développer le petit empire familial qui, aujourd’hui s’étend en Malaisie, au Myanmar et affiche des ambitions vers d’autres pays de l’Asie. Parcours d’un jeune dirigeant façon Europe-USA devenu entrepreneur d’Asie.
Eloi Courcoux, PDG de Meas Development et EM FOOD SERVICES
‘’…Vous avez une heure, pas plus…’’ lance Eloi avant de s’asseoir à l’une des tables du restaurant La Terraza pour un entretien au cours duquel le quadragénaire élégant et pressé raconte un parcours pas si classique que cela…
CM : Parlez-nous de vos premières années, de votre formation
Je suis né en province, j’ai ensuite grandi à Rouen et je suis parti à Paris alors que j’étais en sixième et j’y ai suivi toute ma scolarité. J’étais dans une fratrie de quatre enfants, j’étais le troisième. Il y avait un vrai esprit de famille. Nous avions des parents qui nous ont donné envie d’entreprendre. J’ai grandi en France, sans avoir forcément les moyens de voyager à travers le monde. Mais, dès mes 18 ans, je me suis dit que le monde était ouvert et que tout était possible. J’ai d’abord suivi un cursus en Economie et finances à l’Université Paris Nanterre. En 1997, je suis parti aux USA préparer un Master en management à la Stony Brook University de New York. C’est là où j’ai rencontré mon épouse d’origine cambodgienne, Anne Sarinn. Nous sommes revenus en France tous les deux et j’ai ensuite préparé un Master en marketing, étude et stratégie à Sciences Po Paris de 1955 à 1997. Après mon séjour américain, je n’avais qu’un Master en fait, l’expérience américaine n’était pas vraiment reconnue en France. Cela m’intéressait de prolonger avec une institution comme Sciences Po, mais avec une orientation marketing et stratégie.
CM : Pourquoi les USA ?
J’ai rapidement eu envie d’étudier à l’étranger, de faire des stages, de travailler ensuite à l’étranger. J’avais toujours envie d’aller plus loin que la porte d’à côté. Ce qui m’a animé dans ma vie et ma jeunesse, c’était de me dire : ok, j’entreprends ! En 2006, alors que j’étais chez Disney, j’ai choisi de préparer un autre diplôme en business et management : un MBA à L’IMD Business School de Lausanne.
CM : Pourquoi avoir choisi ce type de formation ?
J’ai préféré me forger moi-même un parcours, plutôt que d’avoir un chemin plus traditionnel. En fait, quand j’ai passé mon bac, je souhaitais plutôt entamer un parcours peut-être plus laborieux mais plus autonome, plus autodidacte si je puis dire. Cela a été un peu le même type de cheminement dans ma carrière professionnelle. Dans ma vie, je fais des rencontres, je fais également des choix qui me permettent d’avancer dans la vie. Par exemple, aux USA, la rencontre avec mon épouse en 1995 a été déterminante.
CM : Parlez-nous de votre carrière professionnelle justement…
En 1997, je suis rentré chez l’Oréal en Espagne, c’était mon premier job. Ensuite, je suis rentré en France pour travailler chez Disney. J’étais basé à Paris mais je voulais travailler à l’international. J’avais la responsabilité de budgets au niveau européen. La France ne représentait que 45% du budget. Disneyland Paris a été une vraie école de la vie. A la fois parce que ma vie changeait, je me suis marié, nous commencions à avoir des enfants, et aussi parce que c’était un univers assez magique. Je suis resté chez Disney pendant quinze ans. Ensuite, j’ai eu envie de comprendre mieux le coté opérationnel de l’entreprise, c’est pour cela que j’ai préparé un MBA. Quand je suis revenu, j’ai pris la direction d’une petite Business unit qui s’occupait de l’activité évènementielle et des grands séminaires de Disney. Nous faisions 1000 évènements par an, avec de 20 à 25000 personnes, dans les parcs, dans les hôtels…etc. C’était en 2006, j’avais 35 ans. J’avais 150 personnes sous ma responsabilité. Ce fut une expérience intense, avec parfois des grands moments de solitude face à la pression.
CM : Comment affronte-t-on cette pression ?
Avec la quête d’une vie équilibrée, j’ai la chance d’avoir une famille, avec trois enfants qui grandissent bien. On s’entraide beaucoup, on s’aime beaucoup. Cela a été un bon moyen pour moi de compenser la charge de travail. Je n’étais pas seul non plus, il y avait une bonne équipe chez Disney.
CM : Disney n’est pas trop américain pour un cadre français ?
C’était très américain, mais géré par des européens. C’était une vraie ouverture culturelle. Je travaillais avec beaucoup de nationalités différentes. A l’ouverture, le modèle était importé des USA. Moi, je suis arrivé dans la deuxième génération beaucoup plus franco-européenne. La maison-mère avait décidé de laisser la main aux Européens. Et nous avions des patrons français. Nous avons pu développer des produits, des animations des événements plus en phase avec les demandes du public européen.
CM : Comment êtes-vous arrivé au Cambodge ?
J’avais une carrière satisfaisante chez Disney. Puis, mon beau-père est décédé à 69 ans en 2013. Les 7-8 années avant sa mort, il avait énormément entrepris au Cambodge, principalement dans la restauration. Tous ces projets se sont alors retrouvés sans leader. Mon épouse et moi-même avons pris la décision de venir reprendre l’entreprise familiale. C’était un petit empire mais il y avait un travail de consolidation et d’intégration à faire. Nous sommes arrivés en août 2014.
CM : Étiez-vous préparé ?
Nous avions imaginé venir au Cambodge plusieurs fois car, nos enfants étant métis cambodgiens, leurs origines étaient aussi là-bas. La vie confortable parisienne avait du bon, mais c’était bien de voir autre chose. L’occasion de venir s’installer ne s’étaient jamais vraiment présentée. C’était un moment plein de tristesse et d’incertitude mais, en concertation avec mon épouse et les membres de ma belle-famille, nous avons décidé de continuer le projet de mon beau-père. Il avait déjà mille employés et nous nous sommes dit qu’il ne fallait pas laisser tomber. Malgré la complexité de devoir travailler en famille, nous avons finalement décidé de venir nous installer.
CM : Connaissiez-vous le Cambodge auparavant ?
Depuis 1999, nous venions souvent en vacances mais je ne connaissais pas vraiment bien le pays. Nous avions plaisir à venir, à amener nos enfants. Nous étions attachés à ce pays. Vivre avec quelqu’un d’origine cambodgienne m’avait un peu aidé à comprendre les comportements, les coutumes et la culture.
CM : Comment votre décision a-t-elle été perçue ?
Les partenaires du groupe, dans leur ensemble, ont apprécié notre arrivée. Les équipes de Cambodgiens se sont sentis rassurés. Ils se sont tous rapidement sentis intégrés dans ce projet familial. Nous avons décidé avec mon épouse que l’entreprise devait rester familiale. Nous avons eu des moments difficiles, mais il y a eu beaucoup de victoires. Il était important de consolider l’équipe existante. Finalement, cela s’est très vite bien passé.
CM : Quelles étaient et quelles sont les activités du groupe ?
Le groupe opérait dans plusieurs domaines. Le cœur de l’activité était dans la restauration. Nous nous sommes recentrés sur cette activité. Notre particularité est que nous ne sommes pas uniquement des restaurateurs en ville, nous sommes multi-secteurs. Nous avons une production importante en termes de viennoiseries, de pain, de glaces. Nous avons deux centrales de production ici au Cambodge. Nous faisons également de la restauration collective, dans les usines, dans les entreprises, dans les écoles, dans les hôtels. Avec une trentaine de clients, nous faisons plus de vingt mille repas par jour.
Troisième axe de restauration, nous exploitons à présent des concessions, principalement avec les aéroports. Nous sommes concessionnaires principaux de Cambodia Airports. D’une offre très limitée au départ, nous sommes aussi devenus un groupe gestionnaire de marques et de concepts de restauration.
Pour la restauration en ville, nous avons lancé les restaurants chinois, puis les restaurants italiens. Le groupe a racheté en 2009 le concept Blue Pumpkin. Nous avons aussi investi dans deux licences internationales, Hard Rock Café et Yoshinoya, une marque japonaise. Aujourd’hui, nous avons regroupé les activités par pôle. Nous travaillons sur le développement à l’international, nous sommes à Mandala Airport au Myanmar et nous souhaitons étendre notre présence dans les autres aéroports en Asie. Nous sommes aussi présents en Malaisie. Il y a beaucoup d’axes de développement auxquels nous réfléchissons aujourd’hui.
CM : Et aujourd’hui, comment se passe une journée chez Meas Development ?
Nous nous sommes rendu compte que, tout compris nous avions plus de 70 établissements. Il y en a qui marchent très bien, d’autres moins. C’est un travail quotidien que de garder une vision sur le long terme. Vers l’interne, il y a un travail d’équipe important. Nos équipes se sentent missionnées, responsables et il est important et rassurant d’avoir ce pouvoir de déléguer pour qu’ils puissent entreprendre. A l’externe, il faut toujours être à l’écoute de ce qui passe dans notre secteur, de nos concurrents, de nos clients. La réorganisation – consolidation fonctionne bien. Nos sociétés sont en règle. Nous sommes aujourd’hui vraiment fiers de notre business. Oui, je vais beaucoup sur le terrain, à Phnom Penh bien sûr, à Siem Reap et un peu plus maintenant à Sihanoukville. Le terrain, c’est aussi la chaine de production, les restaurants, les clients de la restauration collective, les aéroports.
CM : Qu’est-ce qui vous plait au Cambodge ?
J’aime la liberté et la capacité d’entreprendre. J’aime la possibilité d’aider et de se sentir utile. Notre civilisation européenne a un peu perdu le sens de l’entraide. Nous demandons à nos équipes de s’épanouir, de réussir leur propre vie. J’ai aussi, à titre personnel, la possibilité de découvrir l’Asie et je la connaissais peu auparavant. Nous faisons beaucoup de voyages en famille. Il est intéressant aussi de voir que le pays se développe. Globalement, le Cambodge est tout de même tiré vers le haut. Il faut voir le côté positif de ce qui se passe. Toutefois, il faut rester prêt à s’adapter, le pays va encore évoluer et nous ne sommes pas maîtres de cette évolution.
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