L'artiste Kok a toujours baigné dans les eaux enivrantes et mystiques de l’art. Bercé par une musique omniprésente et par les odeurs de térébenthine des peintures impressionnistes de son père, à 16 ans, il rejoint les Beaux-arts de Bordeaux. Plus tard, il intégrera l’École des Arts appliqués de la Gironde où il perfectionnera sa technique.
La peinture et le dessin ne sont pas les seules cordes à son arc, il est aussi photographe et musicien. Guitariste et compositeur du groupe bordelais Wet Furs et plus récemment, membre emblématique du groupe Mush, ex Camera Silens, Kok s’exprime à travers différents médiums et exploite son art toujours à la recherche d’innovations. Cet ovni à la répartie détonante est maintenant installé à Phnom Penh où il travaille sur différents projets. Parcours :
Du vinyle à la BD
Qui ne s’est jamais arrêté sur la pochette d’un disque, d’un CD ou encore d’une illustration MP3 pour les plus jeunes ? Kok en a dévoré : « J’ai été contaminé par le virus grâce aux amis de mes frères, très branchés BD et Rock. J’ai en tête la version européenne d’un album d’Hendrix de chez Barclay dessiné par Moebius, celle de Sabbath Bloody Sabbath de Black Sabbath ou encore Aladdin Sane de David Bowie. Mes parents possédaient ce genre de vinyle ; difficile de retrouver de bonnes copies de nos jours ».
« Je me sentais lié au rock, puis au punk. Je suis un fan des Sex Pistols, des Clash, des Damned, des Saints et des Ramones pour qui j’ai fait la première partie du concert de Bordeaux à Barbey en 92. Ils avaient cette aisance à ingurgiter le chaos et le recracher de manière brutale ; des génies. La pochette de l’album Nevermind The Bollocks, d’un jaune primaire et magenta était un véritable coup de poing. On sortait d’une période disco très doucereuse. Les acteurs du mouvement punk avaient anticipé la faillite du système de l’époque de Thatcher, Reagan et de l’ultra libéralisme ».
Concernant la bandes dessinée, Kok ne manque pas de références : « J’aimais le style héroïque fantasy de par son dessin, sans oublier l’artiste Liberatore avec Ranxerox à la fin des années 70. Beaucoup de revues de l’époque m’ont marqué ; L’écho des savanes, un très bon magazine français avec les dessins d’Alex Varenne, Hugo Pratt et Milo Manara ».
« Tout le monde lisait de la bd à l’époque, même si ce mouvement était considéré comme une sous-sous-culture »
« Jean “Moebius” Giraud, le dessinateur de Blueberry fait également partie de mes artistes phare. Il a tellement travaillé qu’il est devenu excellent, l’un des plus grands dessinateurs de BD à mon sens. Surtout lorsqu’il était sous la direction du scénariste Jean Michel Charlier, lorsque l’excellence était la règle d’or. Il a aussi participé au projet du film Dune de Jodorowsky et il était membre du collectif ayant dessiné le premier Alien avec Giger. N’oublions pas d’évoquer Métal Hurlant avec Caza, fabuleux, ainsi que Joost Swart et son style Hergéen sous acide qui m’a aussi inspiré ».
« Si tu veux du littéraire, tu prends un livre. La bd, à mon sens, doit être graphique »
Des débuts sonores à la déflagration de Mush
Concernant la musique, Kok confie : « Je suis musicien depuis mon enfance. Mes frères et moi avons eu la chance d’être baignés dans cet univers très tôt. Mes parents écoutaient tout le temps de la musique et mon père nous faisait très souvent des quizz musicaux. C’était très formateur ; je savais dès lors différencier les instruments lors d’une écoute, appréhender les styles et comprendre les structures musicales. Éclectique, oui bien sûr, mais je penche plus vers le rock et le punk, une musique populaire ».
Aimer ou détester
Au sujet des raisons qui l’ont poussé à s’expatrier vers d’autres horizons,Kok raconte : « J’ai acheté un billet pour un mois et demi, direction la Thaïlande. Il n’y a pas de raisons précises, mis à part les conseils avisés d’un ami à propos de Koh Phangan. Une fois là-bas, mes yeux n’en revenaient pas ; j’ai trouvé des endroits somptueux incroyablement inspirants. J’étais dans un resort, en haut d’une falaise avec des varans qui passaient sous mes pieds, les oiseaux lyres dans les frondaisons et face à moi, toutes sortes de plages hallucinantes sorties tout droit d’un rêve ; j’étais conquis, une véritable merveille. J’ai très vite compris qu’il fallait aller à l’opposé des touristes.
Plus tard, je voguais vers Koh Chang ; lorsqu’on a l’œil, c’est aussi un paradis. J’étais étonné d’être sur des routes désertes avec des singes, des rapaces, de la brume, perdu dans la mangrove ; un contexte hallucinant de beauté. Ayant habité sur le bassin d’Arcachon, j’étais ébahi de retrouver un paysage assez similaire avec ces microclimats, ces maisons sur pilotis et ces acacias. Plus tard, étant à Bangkok avec des amis, j’hésitais à rentrer et lors de mon départ, je suis arrivé en retard et j’ai manqué mon vol. Il y avait deux gamins avec moi qui étaient perdus dans la même situation. Ils m’ont demandé ce que j’allais faire, je leur ai dit que j’allais rentrer à mon hôtel et continuer mon trip en Asie. Avant de venir ici, une très bonne amie à moi m’a dit : “le Cambodge, tu vas aimer ou détester”. Pour ma part, j’ai tout de suite adoré », conclut-il.
Art en Asie
Parlant d’art, l’artiste tconfie : « le marché de l’art est à Singapour et à Hong Kong sans oublier le Japon et la Chine. Après, arrivent des villes émergentes comme Bangkok où on y observe un très bon niveau de peinture. Ho Chi Minh aussi est en très forte expansion ».
Égalité des sexes
Sur le sujet de la cause féministe, Kok parle de son expérience : « Quiconque a une mère, des filles et une femme se doit d’être féministe ; c’est un travail que tous les hommes ont à faire. Le patriarcat omniprésent met toutes les femmes dans le monde sous pressions, qu’importe le statut et le milieu ».
« Le patriarcat est très pratique pour les hommes »
Le peintre ajoute : « Nous avons les mêmes droits, mais le jugement ne sera pas le même. Il y a deux poids deux mesures sur l’érotisation ; ce qui est encouragé pour l’un sera proscrit pour l’autre. J’avais interviewé des femmes de tout âge sur ce sujet pour un projet d’exposition nommé double face. Nous avons collaboré avec mon ami photographe, lui s’occupait des photos et moi du dessin à partir des clichés ».
« C’était juste avant Me Too en France : nous étions hallucinés de ce que ces femmes nous racontaient ; des histoires de sortie de bar, de club où elles se retrouvaient confrontées à des hommes plus qu’abusifs. Je me rappelle de l’une d’elles, entre autres, me précisant qu’elle mettait un casque dans la rue pour ne pas avoir à entendre les réflexions sexistes, mieux se protéger et ne pas avoir à répondre », affirme-t-il.
À propos de l’environnement
Très sensible à la cause environnementale, Kok témoigne : « Maintenant plus que jamais, c’est une question vitale, cruciale ! Incontournable ! Que les gouvernements de la majeure partie des pays continuent à ignorer… voire mépriser. Ça ne colle pas avec leurs rêves de croissance. Pourtant c’est une solution, la bonne, celle qu’il faut envisager. Par exemple, dans les grandes villes où les immeubles poussent comme des champignons après la pluie, les murs en béton agissent comme une pompe à chaleur, pareil pour les routes et trottoirs, et font grimper le thermomètre de façon exponentielle ».
« Le mot végétaliser ne vient pas à l’esprit des investisseurs, pourtant il le faudrait, urgemment »
« Les prévisions scientifiques concernant le réchauffement climatique avéré et les rapports des scientifiques prouvent qu’il faut agir dans ce sens pour la population. Ça n’en prend pas le chemin, il y a de l’ignorance et de la méfiance à l’égard de tout ce qui est environnemental dû en partie au green washing et aux discours bien relayés des climato-sceptiques. Il faut au contraire parler et argumenter face à la crise du Covid-19 qui poussent les gens vers l’essentiel, vers ce qu’ils leur restent… et justement ne serait-ce pas leur environnement ? », conclut Kok.
Le secret de l’ennui
Le processus de création est, semble-t-il, étroitement lié à l’ennui. Kok confie son impression : « Les artistes sommes des machines à fabriquer du fantasme, de la fantaisie. Je suis toujours en train de penser. On devrait s’ennuyer, car il n’y a pas plus créatif que l’ennui. Quand j’étais gamin, malgré la présence de mes 4 frères, je m’ennuyais. C’était génial ! Il y avait très peu de télé ».
« Les gens n’ont de nos jours pas le temps de s’ennuyer. Ils ont le cerveau complètement occupé, constamment en action et en réception d’information »
Il complète son argumentation par : « Il faut commencer par s’ennuyer, un artiste c’est quelqu’un qui maîtrise sa connaissance d’artisan, il sait comment utiliser son médium. Les Grecs appelaient du même nom, tekhnitès, l’artisan ainsi que l’artiste. Il s’échappe, rêve et sait comment montrer son environnement. Un artiste, maintenant, doit faire quelque chose qui ne s’est jamais vu, ce qui est très dur et peut paraître absurde. La compétition pourrait être l’ennemi de l’art mais elle est obligatoire pour éviter de rester sur ces acquis et créer ».
Le travail de Kok
Lors d’une exposition à l’alliance française de Bangkok, l’artiste à créer pour l’occasion, une fresque de 3m50 sur 2 min 20 s, basé sur le principe de couleurs non mixées et noir et blanc.
« L’idée qui prévaut, c’est de prendre du recul pour appréhender le sujet »
À propos de sa dernière exposition Make a point, l’artiste déclare : « Sra Art a réalisé un bon travail de communication lors de ma dernière exposition, c’est un honneur pour moi que des personnalités cambodgiennes se soient déplacées à cette occasion.
Concernant les projets
Malgré l’incertitude liée au contexte sanitaire actuel, Kok est optimiste : « J’ai contacté une jeune chanteuse, Nisey Heng, sur Facebook. Elle a eu confiance en moi et m'a fait part de ses aspirations : « Il y a un concours de chant dans très peu de temps, penses-tu que l’on peut monter le projet en moins de deux semaines ? » Je lui ai dit oui et nous avons enregistré ensemble ; ce fut un super plan. Elle vient de remporter un prix pour la chanson que nous avons réalisée ».
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