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Photo du rédacteurChristophe Gargiulo

Photographie & Chronique : C'est peut-être beau Phnom Penh la nuit

Les heures d'embouteillage dans la capitale en soirée peuvent être « martelantes », insupportables mais parfois, presque poétiques. En clair, à bord d'un tuktuk, on peut détester mais aussi presque aimer en faisant travailler son imagination.

Phnom Penh, un soir de circulation sur la Nationale 1
Phnom Penh, un soir de circulation sur la Nationale 1

Retour du travail, livraison, balade, sortie dans la capitale, va savoir. Entre 17 h et 20 h, les grands boulevards de la capitale sont bondés, gonflés de bruit, de lumière et de mouvements imprévisibles.

Des dizaines, des centaines de milliers de voitures, tuktuk, motos et camions envahissent la chaussée dans un mouvement unique, chaotique, harmonieux, cambodgien.

C’est une heure que l’on peut détester sans trop de difficulté. Oui, c’est cette heure où chaque tuktuk va se faufiler entre les files, parfois franchir cette démarcation de béton jeune et grise, pour gagner à peine quelques secondes, se trouvant parfois — ironie de cette vaine recherche de gain de temps — bloqué de l’autre coté de la voie qu’il souhaitait emprunter.

Oui, c’est l’heure où l’on maudit le chauffeur du tuktuk de ne pas entretenir sa carriole alors que les amortisseurs pas ou peu huilés te proposent un gymkhana miniature à chaque nid-de-poule. Les vertèbres n’aiment pas.

C’est aussi le moment où les téléphonent s’allument à l’arrêt, parfois en conduisant. Hurlement ou protestation soft… il le fermera en une nano-seconde sachant que son score étoilé de Grab pourrait en souffrir… et que les vigiles de l’application lui rappelleront les saints sacrements qu’il oublie régulièrement : « tu ne regarderas pas You Tube et ne discutera pas avec ton épouse ou ta petite amie sur Messenger pendant que tu conduis ! ».

Oui, c’est l’heure où la ville se montre étouffante et noyée de lumières en haut, à droite à gauche, au centre et en sillons. Mais, c’est presque beau.

On pourra toutefois maudire ou s'interroger sur cette technologie GPS qui envoie ton chauffeur sur le boulevard Norodom pour franchir le pont Monivong, c’est-à-dire effectuer un détour, un demi-tour (malgré l’interdiction bien signalée) avec une petite pause sur un rond-point non officiel et improvisé, généralement encombré de camions qui te feront généreusement profiter des volutes — pas très bleues — de leurs pots encalminés et se rapprocheront parfois un peu trop près de ton frêle véhicule à trois roues, à presque loucher sur les boulons des roues de ces mastodontes souvent bricolés et infiniment bruyants.

Remarque, petite protestation polie rappelant que Monivong va vers Monivong. Non, le chauffeur te montrera avec aplomb, sérieux et détermination que l’application te donne un plan routier sans logique à suivre religieusement.

C’est l’heure parfois pleine d’humour, à voir pester le conducteur et même, plus rarement, klaxonner après un vieux tuktuk outrageusement chargé débarquant ses tables et tabourets de plastique rouge, bidons, systèmes électriques bricolés et autres pour installer son modeste restaurant de rue.

Vrai qu’il se gare un peu de trop loin de son trottoir-aire de débarquement et qu’il encombre. Amusant de le voir se faire huer par ceux qui ont du passer la ligne blanche, griller quelques feux rouges et sillonner les deux vois transformées en quatre, à de maintes reprises.

Alors, ce trop plein de bruit de lumières, de fumées et de non sens civiques peut s'avérer difficile. Alors, on peut tenter d'en faire demi-abstraction et de réfléchir en captant cette fourmilière de petits destins qui envahit la chaussée. Ces lumières et mouvements peuvent devenir incroyablement photogéniques, insolites et pleins d'interrogations.

Questions, où va cette famille de quatre cahotant sur une Dailim qui tient par miracle ? Où se rend cette jeune femme trop bien habillée et assise en amazone sur le siège arrière d'une moto trop neuve et tenant avec nonchalance la taille de son conducteur d'une main et tentant de maîtriser sa splendide coiffure de l'autre ?

Où se rend cette remorque tirée par une autre Dailim pourrie, chargée de cartons sur une hauteur de deux mètres, conduite par un Cambodgien déjà ridé et fixant la chaussée à travers des lunettes de soleil bon marché malgré l'heure bien avancée ?

Où se rend cette ado qui a posé ses deux chiens à cheval sur le guidon de sa moto électrique et nous fait penser immanquablement à cette scène - moins chaotique tout de même - d'Edgar dans les Aristochats ?

Et il y en a tellement d'autres...

Cette tranche de vie trop bruyante, trop lumineuse et excessivement hétéroclite peut devenir une, deux ou des milliers d'histoires. Cette portion de route était encore il y a quelques années un gigantesque chantier boueux qui n'en finissait pas et conduisant vers une nouvelle ville appelée Borey.

Elle est peut-être aujourd'hui à l'image du Cambodge, pleine d’excès, de contrastes et de vie. alors, il est permis de pester, mais peut-être plus sage de rêver ou laisser vagabonder son imagination à la vue de ces images, bruyantes et enfumées certes, mais qui renferment tant de secrets.



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