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Parcours : Jean Lestienne, le goût des autres

Rencontre avec une figure de Siem Reap Jean Lestienne, un « self-made man » devenu à la fois cadre, syndicaliste et grand voyageur, curieux de tout et toujours prêt à s’engager pour les causes qui lui tiennent à cœur. Conseiller consulaire sortant, Jean Lestienne se présentera à nouveau aux prochaines élections qui étaient programmées en mai 2020. Pour cause de Coronavirus, ces dernières ont été reportées à une date ultérieure. Toutefois, l'homme de Siem Reap reste attentif aux difficultés actuelles qui affectent durement la communauté d'entrepreneurs de Siem Reap.

Jean Lestienne, le goût des autres
Jean Lestienne, le goût des autres

CM : Pourriez-vous nous décrire votre parcours avant d’arriver au Cambodge ?

Je m’appelle donc Jean Lestienne, j’ai 69 ans. Je suis né à Menton, mais ai grandi dans le nord de la France, dans une ville à la fois proche de Lille et de la frontière belge. J’y suis resté jusqu’à l’âge de 20 ans. J’ai commencé à travailler très tôt, dès 15 ans, n’ayant pas eu la chance de continuer des études. J’ai débuté comme simple ouvrier dans une usine fabricant du matériel sportif. J’étais chargé de peindre les poids utilisés pour les compétitions du lancer… On dit qu’il n’y a pas de sot métier, mais celui-ci l’était un peu tout de même ! Maintenant, ce genre de tâche est automatisée… Bref, très vite, j’ai décidé de « monter à la capitale » pour y trouver un métier un peu plus intéressant.

Dans le même temps, le nord, dont les activités étaient principalement basées sur la production de charbon et de textile, commençait à subir une crise dont il aura beaucoup de mal à se relever. Rejoindre Paris était donc pour moi la seule alternative crédible. Une place d’ouvrier intérimaire était disponible dans une usine, j’ai donc sauté sur l’occasion.

CM : L’époque devait être pour le moins fascinante…

Oui, puisque je suis arrivé à Paris en 1967 et que j’avais alors 17 ans. J’ai vécu de l’intérieur le mouvement de mai 68, qui m’a ouvert les yeux sur le syndicalisme. Le but était clairement de « faire avancer le monde ». J’étais de toutes les manifestations, j'ai dormi dans l’usine occupée… C’était une période incroyable, où prédominait un état d’esprit bien différent de celui d’aujourd’hui. Et puis, vivre ça quand on sort à peine de l’adolescence, ça vous marque à vie ! En 1970, une place s’est libérée chez Facom, le fameux fabricant d’outillage, chez qui je suis resté jusqu’à la fin de ma carrière. Je n’avais au début aucune formation, je chargeais les camions, pour terminer ma carrière en tant que responsable export pour l’Amérique latine. Tout s’est effectué par le biais de promotions internes, en gravissant les échelons dans l’entreprise. Il n’y a pas de eu chance particulière, seulement de belles opportunités que j’ai pu saisir.

CM : L'Amérique latine semble avoir joué un grand rôle dans votre vie...

Un rôle énorme ! Après quelque temps passé à la manutention, puis au sein du magasin de l’entreprise, j’ai décidé de consacrer une année sabbatique aux études : j’avais bien conscience que si je voulais progresser dans ma carrière, rien ne serait possible sans consolider quelques bases… Je me suis inscrit à Jussieu pour présenter un UV d’anglais et un autre d’économie politique. J’avais besoin de me mettre dans le bain des études, de côtoyer un monde que je ne connaissais pas. J’avais soif d’apprendre ! C’est pour cela que j’ai ensuite décidé de prolonger cette année sabbatique par un congé sans solde. J’en ai profité pour effectuer des voyages en Espagne et en Amérique latine pour y pratiquer l’espagnol, une langue qui m’a toujours profondément intéressé. Nous nourrissions aussi, ma femme et moi, l’espoir de nous installer à l’étranger, déjà ! Nous voilà donc sur la route, brandissant le pouce pour un New-York/Lima effectué en auto-stop, une sacrée aventure. Arrivés à destination, il fallait prendre une décision : tenter l’aventure là-bas, ou réintégrer mon entreprise, puisque le congé sans solde touchait à sa fin. Mais en plus de superbes souvenirs, ces voyages n’auront pas été vains. Le DRH de l’époque, qui eut connaissance de mon aventure, m’a un jour convoqué dans son bureau, me disant que ma place dans la boite était ailleurs qu’au magasin. Il m’a incité à poursuivre les études en cours du soir, afin que je puisse accéder à un nouveau poste. Après cela, j’ai réussi un concours pour devenir représentant, ce qui a réellement changé ma vie. Je me suis installé dans le Sud-Ouest, j’ai eu l’opportunité de gagner ma vie correctement et de pratiquer un métier que j’aimais.

CM : Nous sommes bien loin de l’Amérique latine et du Cambodge !

Après quatre années passées dans le Sud-Ouest, on m’a chargé de représenter la marque sur des salons, en Espagne et au Chili. Tout s’est très bien passé, et c’est alors que l’on m’a muté en Amérique du Sud. J’ai vécu, avec ma femme et mes deux enfants, la vie d’expatrié au Venezuela et au Pérou. Tout en enchaînant des missions ponctuelles en Grèce, Turquie, Espagne, ainsi que sur le continent africain. En parallèle, je ressentais toujours une attirance pour le syndicalisme, dans lequel je me suis de plus en plus impliqué au fil des années. J’ai toujours considéré que même en tant que cadre, on est avant tout un employé comme un autre, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres salariés. En parallèle, l’entreprise connaissait à cette période, dans les années 1990, plusieurs difficultés, offres de rachat et plans sociaux, trois en deux ans ! J’ai été responsable syndical et délégué européen, très investi dans la défense des salariés, tâchant de gérer du mieux possible toutes les difficultés qui se présentaient. En 2010, l’un des salariés est venu me trouver : il désirait retourner au Cambodge, un pays dans lequel il avait déjà vécu. Problème : il ne faisait pas partie du dernier plan social ! Il a donc fallu négocier son départ avec la direction, ce qui a permis à une jeune femme de conserver son poste. Quelques mois plus tard, cet ancien salarié me contacte et insiste pour que je vienne lui rendre visite. J’avais alors déjà visité plus de 100 pays, mais n’étais encore jamais venu en Asie. Tout est ensuite allé très vite : le pays m’a énormément plu, et j’ai en plus trouvé l’occasion de m’associer, avec deux autres personnes, dans l’aventure hôtelière, participant à l’ouverture de deux établissements à Siem Reap. Voilà comment je me suis retrouvé ici !

CM : Vous y avez aussi fait une encontre particulière, celle du docteur Garen...

Le docteur Jean-Claude Garen était à l’époque le président de l’AEFC, l’Association d’Entraide des Français du Cambodge. Il venait de monter cette structure destinée à venir en aide aux ressortissants français en proie à des situations difficiles : précarité, maladie, problèmes familiaux, accidents de la vie… Du social, avec un grand S. Cette association m’a évidemment tout de suite plu, puisque j’y retrouvais les bases de ce que j’avais fait jusqu’alors en tant que syndicaliste. J’ai été durant quelques années son représentant à Siem Reap. Jusqu’à 2014, date à laquelle ont eu lieu les premières élections de conseiller consulaire. Je me suis présenté sur la liste Français du monde, qui a recueilli deux sièges sur trois. Je n’étais pas tête de liste, mais le système représentatif est simple : lorsque l’on vit à l’étranger, il y a beaucoup de mouvement, les gens sont susceptibles de partir, même en cours de mandat. Et comme ledit mandat dure six ans, lorsqu’un conseiller consulaire s’en va, le deuxième de la liste prend sa place, et ainsi de suite, afin d’assurer une continuité représentative.

CM : Pouvez-vous nous rappeler le rôle d’un conseiller consulaire ?

Un conseiller consulaire est un élu local, et non pas un salarié de l’ambassade, comme j’ai pu l’entendre. On ne fait pas non plus les lois, on ne vote pas à l’assemblée. Nous sommes en contact avec les sénateurs et avec les députés, mais on ne les remplace pas. Nous gérons des dossiers locaux, nous sommes des élus de proximité. Une dizaine de fois par an, nous nous réunissons lors de conseils consulaires.

« À mon sens, le rôle le plus important concerne celui de l’attribution des bourses scolaires »

Environ 200 dossiers sont gérés, pour une somme dépassant le million d’euros. Les décisions sont prises en comité, dans lesquels siègent non seulement les conseillers consulaires, mais aussi les directeurs d’écoles, les associations de parents d’élèves, les syndicats enseignants… Une quinzaine de personnes votent ensemble, il ne faut donc pas imaginer que les conseillers consulaires ont le pouvoir de décider à eux seuls des attributions. Le copinage n’est pas de mise, je tiens à le préciser. Au sein de notre liste, nous défendons l’octroi de bourses en prenant comme critère premier les enfants, et seulement les enfants. D’autres listes voudraient restreindre ces attributions, éliminant de fait les familles à problèmes, mais il ne faut pas perdre de vue que les seules personnes à bénéficier de ces bourses sont, comme je le rappelle, les enfants. Nous nous opposons à une « double peine » qui frapperait les élèves déjà handicapés par un contexte familial difficile. Seul le mérite compte.

CM : En plus de l’attribution des bourses, quelles sont vos autres prérogatives ?

Les conseillers consulaires gèrent aussi l’aide sociale, pour aider les associations venant en aide aux Français, telle que l’AEFC par exemple. Il y a aussi des commissions en faveur des handicapés, enfants comme adultes. Nous pouvons aider à financer un soutien scolaire, une personne accompagnante ou encore une aide au transport. Le STAFE, une autre forme de soutien, consiste à encourager la diffusion du français par le biais de la culture, de l’apprentissage de la langue, la lecture… Pour l’heure, cette mesure n’est destinée qu’aux personnes de nationalité française, ou aux associations telles que l’École française. Mais nous souhaiterions, avec notre liste, élargir cet accès aux Cambodgiens. Nous souhaiterions aussi, en attribuant les aides précédemment citées, favoriser l’écologie. Un exemple simple : une association touche des aides pour la construction de nouveaux bâtiments. Il serait judicieux, dès lors, de conditionner ces aides à un respect de la question écologique, en favorisant des constructions plus respectueuses de l’environnement. Tous les ans, nous avons aussi une commission économique, en relation avec l’ambassade de France et les Chambres de commerce. Emploi, conseils aux entreprises désirant s’installer au Cambodge, état des lieux de l’économie locale et nationale sont autant de sujets qui y sont abordés. Nous nous occupons aussi des commissions électorales, chargées de mettre à jour les listes de votants. Enfin, une ou deux fois par an, une commission sécurité a aussi lieu, commission qui devient plus fréquente en cas de crise.

CM : Vous avez justement assisté récemment à une commission de sécurité, qui avait pour thème la crise du coronavirus

Oui, de nombreux experts et des acteurs très importants étaient réunis autour de Madame l’Ambassadrice : des représentants de l’Institut Pasteur, les patrons des aéroports, des directeurs d’écoles et de lycées, des militaires et des chefs d’îlots. Si les nouvelles se montrent pour lors assez rassurantes au niveau sanitaire, les conséquences économiques risquent d’être en revanche très inquiétantes.

CM : Vous abordiez tout à l’heure le sujet des listes d’électeurs, comment cela fonctionne-t-il ?

Toute personne inscrite sur la liste électorale consulaire peut participer à ce vote. Pour les autres, vous avez jusqu’au 10 avril 2020 pour le faire. L’élection, qui est au scrutin proportionnel et qui ne compte qu’un seul tour, se déroulera en trois étapes : une première durant laquelle il sera possible de voter par internet. En parallèle, une tournée consulaire sera organisée pour récupérer les procurations. Enfin, le vote à l’urne se déroulera dans l’enceinte de l’ambassade. 5 800 Français sont enregistrés auprès de l’ambassade, et 2 500 d’entre eux sur les listes électorales. Il est important de se mobiliser pour ces élections, le rôle des conseillers consulaires étant très utile dans la vie quotidienne des Français vivant à l’étranger. Lors des élections de 2014, seuls 450 votants se sont exprimés.

CM : Qu’est-ce qui vous motive à vous présenter une seconde fois ?

C’est une activité passionnante à plus d’un titre : parler avec les gens, les voir régulièrement, les soutenir, leur donner des conseils… J’y ai pris goût et je veux continuer cette activité pour laquelle j’estime avoir de l’expérience et du temps. Et puis, je ne suis pas mécontent de mon bilan, loin de là.

CM : En parlant de temps, est-ce une activité qui en requiert beaucoup ?

Oui, relativement. Il y a les réunions, les déplacements à Phnom Penh, les réponses aux nombreux messages qui me sont envoyés, et puis beaucoup, beaucoup d’échanges. Si quelqu’un m’envoie un mail en me demandant quelques conseils en vue de s’installer ici, je tâche de le rencontrer et de lui prodiguer le plus de conseils possible. Des questions particulières occupent les résidents, concernant la santé, les assurances, les impôts, l’entrepreneuriat… Nous touchons pour cela une indemnité de 4 000 $ par an, utilisée pour rembourser nos frais de déplacement. Sur la liste Français du monde, nous avions pris l’habitude, avec Yvon Chalm, de mettre de côté les sommes non dépensées pour les reverser à des écoles et des associations. C’est, bien entendu, ce que nous continuerons à faire avec Aider sans frontières, en élargissant le spectre aux établissements enseignant le français à des Khmers.

CM : Parlez-nous justement de votre liste : quels sont ses projets et ses valeurs ?

La liste Aider sans frontière réunit six personnes partageant les mêmes valeurs : Nicole Bernard, Jacques Danger, Audrey Moneyron, Louis Scotti, Josette Gravier et moi-même. Toutes ont un parcours intéressant à plus d’un titre : Nicole Bernard et Jacques Danger sont des artisans lunetiers de grand talent, dont les créations sont reconnues à l’international. Audrey Moneyron est à la fois graphiste, photographe et directrice artistique. Louis Scotti est quant à lui très engagé dans le milieu associatif et Josette Gravier est la fondatrice de l’école française de Siem Reap. Ce panel composé de personnes de tous âges et de tous horizons, aux expériences professionnelles et personnelles variées, nous permet d’aborder au mieux tous les sujets traités par les conseillers consulaires : enseignement, aide et conseils aux associations, création d’entreprise, commerce… Tout le monde est extrêmement motivé et prêt à travailler en équipe, afin que les connaissances et les expériences de chacune et de chacun puissent s’exprimer. Nous avons décidé de baptiser cette liste Aider sans frontière, car nous sommes décidés à soutenir tout le monde, au-delà des clivages politiques, sociaux ou idéologiques.

CM : Quels sont vos plus beaux souvenirs au cours de votre premier mandat ?

Il y a des rencontres que l’on n’oublie pas, notamment dans le secteur associatif. Pour n’en citer que quelques unes : Pour un Sourire d’Enfant (PSE), dont l’action a été immortalisée dans le documentaire « Les pépites ». Ou encore Toutes à l’école, créée par la journaliste Tina Kieffer, qui œuvre pour la scolarisation des filles en situation de grande précarité. Il y a aussi Les yeux du monde, des ophtalmologues bénévoles qui sillonnent le Cambodge à bord d’un bateau aménagé pour effectuer des consultations et des opérations. Lorsque nous rencontrons de telles associations, nous faisons tout pour leur venir en aide. Quand les critères ne sont pas remplis pour qu’elles puissent bénéficier d’une aide financière de notre part, nous feuilletons nos carnets d’adresses pour les mettre en contact avec des personnes en mesure de les soutenir d’une manière ou d’une autre, en fournissant du matériel ou en les sponsorisant par exemple.

CM : Merci pour cet entretien. Auriez-vous une dernière chose à rajouter ?

Oui, en cette période difficile et pleine d’incertitude, je tiens à préciser que les conseillers consulaires restent mobilisés, attentifs et joignables. C’est une chose qui nous paraît très importante à l’heure actuelle.

Propos recueillis par Rémi Abad

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