L'Empire Prince : Sur les zones d'ombre du « mécène » du Cambodge
- La Rédaction

- 19 oct.
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Dans les couloirs feutrés d'un grand hôtel de Phnom Penh Hotel, appartenant au conglomérat Prince Groupe, les hommes d'affaires étrangers négociaient récemment encore des contrats de plusieurs millions de dollars. Pourtant, à quelques kilomètres de là, dans les bureaux du U.S. Treasury's Office of Foreign Assets Control (OFAC), le nom de Chen Zhi figure désormais sur une liste noire qui fait trembler les capitales asiatiques.

Depuis 2010, cet homme de 52 ans, né dans la province chinoise du Fujian, a construit l'un des empires les plus opaques d'Asie du Sud-Est. Naturalisé cambodgien en 2014 et décoré du titre honorifique de Neak Oknha, Chen Zhi contrôle aujourd'hui plus de 40 entreprises réparties dans l'immobilier, la banque, l'aviation et le tourisme — un portefeuille estimé à plus de 8 milliards de dollars selon les analystes de Fitch Solutions.
Un mécénat qui masque les interrogations
La façade philanthropique impressionne : bourses universitaires, dons massifs lors des catastrophes naturelles, construction d'écoles rurales. Le projet Ream City, annoncé à grand renfort de publicité comme le "nouveau Singapour" du Cambodge, devait transformer 836 hectares de Sihanoukville en métropole futuriste. Coût affiché : 16 milliards de dollars, soit près de 60% du PIB cambodgien.
Mais d'où vient cet argent ? Cette question hante les enquêteurs internationaux depuis 2022. Selon un rapport confidentiel de Financial Intelligence Unit Singapore, consulté par les journalistes du Wall Street Journal, d'énormes transferts financiers — parfois supérieurs à 500 millions de dollars par mois — transitent par des sociétés-écrans basées aux îles Marshall, à Hong Kong et dans les îles Vierges britanniques.
Golden Fortune : La face cachée du miracle économique
L'enquête bascule en août 2024 lorsque des témoignages accablants émergent du Golden Fortune Tech Park, complexe industriel de 50 hectares géré par une filiale de Prince Groupe. Des travailleurs vietnamiens et malaisiens, interrogés par Radio Free Asia et l'ONG International Justice Mission, décrivent un système d'esclavage moderne : confiscation de passeports, journées de travail de 16 heures, coups et privations alimentaires pour ceux qui refusent de participer à des arnaques en ligne.
Les témoignages convergent : des "pig butchering scams" ciblant des victimes occidentales, des faux sites de trading cryptographique, des campagnes de phishing sophistiquées. Le montant des préjudices ? Plus de 3 milliards de dollars selon une estimation du FBI's Internet Crime Complaint Center, publiée en janvier 2025.
Sanctions en cascade
La réaction internationale ne se fait pas attendre. En mars 2025, l'OFAC gèle 15,2 milliards de dollars d'actifs en Bitcoin et Ethereum liés à Chen Zhi. Londres saisit simultanément un portefeuille immobilier de 800 millions de livres sterling dans les quartiers de Mayfair et Knightsbridge. L'Union européenne emboîte le pas avec des sanctions ciblées contre 12 dirigeants du groupe.
« Ces mesures visent à démanteler l'un des réseaux de blanchiment les plus sophistiqués que nous ayons jamais identifiés », déclare Brian Nelson, sous-secrétaire américain au Trésor, lors d'une conférence de presse à Washington en avril 2025.
Une réputation internationale en jeu
L'onde de choc dépasse largement les frontières cambodgiennes. Singapore Exchange a suspendu les cotations de trois entreprises liées au groupe. HSBC et Standard Chartered ont fermé les comptes de plusieurs filiales. Même la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB), pourtant réputée moins regardante, a gelé un prêt de 2 milliards de dollars destiné au projet Ream City.
« Le Cambodge risque de rejoindre le cercle restreint des États considérés comme des paradis du blanchiment », avertit Matthew Smith, chercheur à Transparency International, dans un rapport publié en septembre 2025.
Aujourd'hui, alors que Chen Zhi demeure introuvable — officiellement en "voyage d'affaires prolongé" selon ses avocats —, le Prince Groupe continue ses opérations sous surveillance internationale. L'empire bâti en quinze ans résistera-t-il aux tempêtes judiciaires ? La réponse déterminera non seulement l'avenir d'un homme, mais peut-être celui d'un pays tout entier.
Ruée vers les retraits chez les utilisateurs de Huione Wallet face à la décision américaine
Vendredi dernier, le centre-ville de Phnom Penh, autour de la Banque Innom située sur le boulevard Norodom, a été le théâtre d’une agitation sans précédent. Des centaines d’utilisateurs du portefeuille électronique Huione, majoritairement des ressortissants chinois accompagnés d’individus originaires du Pakistan, du Népal et du Cambodge, se sont pressés en masse aux guichets automatiques et aux comptoirs de service de Huione pour retirer leurs fonds.
Cette ruée soudaine, qui a provoqué d’importants embouteillages et nécessité l’intervention de la police de la circulation, s’explique par l’annonce récente de l’administration américaine visant à couper l’accès du groupe Huione au système financier américain, créant une onde de choc parmi les usagers inquiets.
Le gouvernement cambodgien adopte une position empreinte de coopération concernant le Prince Group, malgré les graves accusations internationales portées contre ce conglomérat.
Le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Touch Sokhak, a souligné que le Prince Group, dirigé par Chen Zhi, a été traité comme toute autre grande entreprise investissant au Cambodge. Il a aussi précisé que la nationalité cambodgienne accordée à Chen Zhi avait été donnée conformément à la loi. Le gouvernement cambodgien ne porte pas lui-même d'accusations contre Chen Zhi ni contre le groupe, mais reste ouvert à la coopération internationale.
Impact
Prince Group est reconnu comme l'un des piliers économiques du Cambodge, avec des investissements massifs dans l'immobilier, la finance, la banque et les services de consommation. Sa filiale Prince Real Estate a marqué durablement le paysage urbain de Phnom Penh, notamment avec le Prince Plaza. Le groupe est aussi un acteur clé dans l'intégration du Cambodge aux marchés régionaux, avec des liens dans la logistique, la technologie et autres secteurs en croissance.
L'affaire Prince Group illustre les défis auxquels fait face le Cambodge, pris entre son désir de modernisation économique rapide et la nécessité de répondre à des accusations internationales embarrassantes.
Le gouvernement cherche à préserver l'image du pays en tant que destination d'investissement sérieuse, tout en gérant la pression diplomatique et judiciaire qui pèse sur l'un de ses plus puissants conglomérats. En attendant, la coopération avec les enquêtes étrangères sera un élément clé pour l'évolution de ce dossier complexe, qui mêle politique, économies formelles et informelles, et droit international.







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