Depuis la réalisation de ce reportage de 2017, les choses n’ont pas beaucoup changé pour la diva de l’humanitaire et son action auprès des jeunes filles victimes de violences et de trafic sexuel continue et se renforce même. Malgré le choc subi lorsque cette presse tricoteuse de haine l’a torpillée il y a quelques années, elle continue de travailler, de s’investir et de recevoir des financements pour son action.
Nous avons choisi de remettre cet entretien à la une, car Somaly a déclaré ces derniers temps qu’elle ne souhaitait plus donner d’interview et parce que ce personnage reste une authentique humanitaire et un tempérament exceptionnel.
Reportage :
À l’occasion du tournage d’un documentaire sur l’Afesip (Agir pour les Femmes en Situation Précaire), nous avons passé quatre jours aux côtés de Somaly Mam. C’est la première fois depuis 2014 que la passionaria accepte de parler en présence d’un journaliste indépendant. Personnage immensément populaire, encensé par les médias lorsqu’elle parcourait le monde pour alerter l’occident des ravages causés par la prostitution enfantine en Asie du Sud-est, femme bousculée par cette même presse devenue tricoteuse de haine, et qui n’a jamais cherché à comprendre pourquoi, et femme aujourd’hui plus que jamais impliquée dans son combat contre ce fléau qui ravage, encore et toujours, les innocences de ces fillettes d’Asie.
La jeune Cambodgienne, qui avait ému le monde entier lors de sa première émission sur la télévision française en 1998, n’a pas beaucoup changé. Au glamour et à l’élégance qu’elle parvient à déployer en représentation à l’étranger, Somaly sait y ajouter des qualités de simplicité et de naturel… le tutoiement arrive d’office avec cette même spontanéité qui surprenait constamment les gens de télévision lorsqu’elle se préparait pour une interview. La Cambodgienne la plus connue du monde arrivait pieds nus, souriante, et forcément déconcertante. Somaly n’est pas qu’une icône, c’est une vraie beauté khmère, une très belle femme qui aujourd’hui, à cinquante ans passés, continue d’entretenir son élégance, en toutes circonstances, cachant quelques mèches grises derrière une coloration soignée et quelques rares ridules derrière un maquillage discret.
« Viens, je vais te montrer… » Dit-elle avant de nous emmener au siège de l’Afesip, la première ONG créée il y a vingt ans avec son mari Pierre Legros, qui deviendra aussi son éminence grise durant son irrésistible ascension.
Le centre d’accueil est un endroit agréable, parsemé de jardins bien entretenus, avec une immense place centrale autour de laquelle sont érigés des bâtiments, à l’esthétique apparemment bien pensée, mais surtout fonctionnelle : la salle commune, les salles de cours, les ateliers, les dortoirs, les créateurs avaient pensé à tout. Cinq fillettes arrivent, la plus âgée doit avoir sept ou huit ans.
Les gamines se jettent dans les bras de « Maman », c’est ainsi que tout le monde l’appelle ici. Le visage de Somaly s’éclaire. Elle les prend dans ses bras, elle les embrasse, les fillettes sont aux anges, apparemment tellement heureuses que nous nous demandions pourquoi elles sont ici, sauf à imaginer l’impensable. De cet impensable, Somaly nous en donne un extrait en prenant l’une des plus jeunes par la main, Srey Ni (*) :
« Elle a commencé à être vendue et violée dès l’âge de cinq ans. Mais elle a aussi été torturée », explique Somaly en montrant une longue cicatrice sur l’abdomen de la petite. Malaise, nausée, incompréhension de notre part…»
Somaly poursuit ses explications, montrant une enfant qui a du mal à marcher, car elle a dû être recousue suite aux maltraitances répétées de son violeur, résumant ainsi le triste début de vie des 70 fillettes et adolescentes qui ont pu heureusement être secourues par Somaly Mam et l’Afesip, et qui, à présent, bénéficient d’un hébergement, d’un appui à leur scolarité, d’un programme d’éducation physique et également d’un suivi médical et psychologique… sans oublier l’amour de « Maman ».
Somaly Mam aujourd’hui se dit être restée la même, active, et à peine ébranlée par la tornade qui s’est abattue sur elle un jour de 2014. Rappelons qu’à l’époque, Somaly Mam était jetée en pâture aux médias en raison de contradictions dans sa biographie et pour son train de vie. De cet épisode, Somaly ne souhaitera pas en parler, ne lâchant qu’un « maintenant, je suis blindée » sur un ton persuasif.
C’est Adana, sa propre fille, qui dirige aussi ce tournage, qui donnera plus de détails :
« le résultat de cet acharnement médiatique ! l’Afesip a perdu la 50 % de ses financements et donc la moitié de ses pensionnaires. 70 gamines violées sont reparties dans la rue ou chez leurs violeurs », explique Adana. Cela en valait-il la peine ?
Mais les fidèles sont restés fidèles. Somaly bénéficie aujourd’hui de l’aide de sponsors privés, de l’appui de la fondation Solyna et de l’amitié indéfectible et généreuse de quelques stars de Hollywood dont Susan Sarandon et AnnaLynne McCord que les fans de Prison Break sauront situer… autant de précieuses cartes que l’indestructible diva a su mettre à profit pour poursuivre avec l’Afesip, et veiller ainsi sur celles qu’elle appelle tendrement « ses enfants ».
Pour le deuxième jour, Somaly prépare un événement spécial. Srey Nak (*), une victime de 14 ans, doit retourner voir ses parents dans son village, dans la maison familiale, tout près de la demeure d’un monstre qui, un soir de novembre 2016, s’est acharné sur elle : Alors qu’il l’entend prendre sa douche, le voisin de Srey Nak, marié et père de famille, profite de l’absence de la mère de la jeune fille pour s’introduire dans la propriété, se jeter sur elle, l’assommer avec une pierre et la violer avant de la jeter dans l’étang.
Srey Nak, dans un état de semi-conscience, parviendra à s’accrocher à une branche qui surplombe l’étang et à pouvoir respirer en attendant le retour de sa mère.
Cette dernière emmènera sa fille à l’hôpital, préviendra la police qui alertera Somaly Mam. Les réseaux continuent de bien fonctionner et, pour ce type de cas, Somaly est souvent sollicitée. Elle passera quelques jours au chevet de Srey Nak, la prendra ensuite à l’Afesip jusqu’à ce qu’elle soit en état de revoir sa famille. Pleurs, embrassades, remords, sentiments de culpabilité de la mère, les retrouvailles ne pouvaient être qu’émouvantes, mais la jeune fille devra retourner au centre, pas question d’un retour définitif pour le moment.
Au troisième jour, nous découvrons un quartier de Toul Kork où l’ONG vient en aide à des prostituées plus « difficiles ». Ce sont des mères de famille, des jeunes filles embourbées dans le cercle infernal des dettes et de la drogue et qui n’ont qu’une option : survivre et nourrir leur progéniture.
Certaines ont des maladies de peau, d’autres sont alcooliques. Il n’y a plus trop d’espoir de les ramener à une vie normale, mais l’Afesip s’efforce d’intervenir en matière de santé, de prévention et d’aide directe pour leurs enfants. Beaucoup d’interviews, beaucoup de misère, beaucoup de pleurs et surtout le sentiment que c’est « presque trop tard, mais nous sommes quand même là », explique Somaly.
Les jours suivants seront une revue des activités de l’Afesip, une journée de Somaly avec les enfants qui commence vers 5 heures du matin pour s’achever au diner vers 18 heures, avec une Somaly constamment présente, qui cuisine pour ses filles, joue avec elles, rit avec elles, les réconforte, leur lit des histoires.
À cela s’ajouteront des visites plus teintées d’optimisme comme celles des rescapées qui vont aujourd’hui à l’université ou à l’école. Le tournage se terminera par une interview de Somaly réalisée par sa fille Adana. Au-delà des explications sur le fonctionnement de l’Afesip, Somaly n’hésitera pas à parler de ses contradictions, de ses craintes lorsqu’elle était enceinte alors qu’elle ne savait que trop à quoi peuvent être exposés les jeunes filles. Somaly expliquera aussi pourquoi elle n’abandonnera jamais son projet :
« parce que je connais leur souffrance, parce que je l’ai vécue », dira-t-elle.
De Pierre Legros qui l’a accompagnée 15 ans dans sa vie et son projet, et qui sera toujours resté admiratif devant les efforts de son épouse, Somaly n’en soufflera mot si ce n’est de dire combien cela peut être difficile parfois de travailler avec un Français… mais cela, c’était devant la caméra… en voiture, Somaly glissera « Sans lui, ce projet n’aurait jamais vu le jour… ». Il y a des histoires qui ne meurent jamais… hhttp://www.afesip.org/
(*) Noms d’emprunt
Textes et Photographies par Christophe Gargiulo, avec la participation d’Adana Legros
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