L’association Enfants Sourds du Cambodge (ESC) effectue actuellement sa 38ème mission à travers le pays, dévouée au diagnostic, à l’appareillage et au suivi d’enfants atteints de surdité profonde. Une visite auprès de ses bénévoles, lors de leur étape à Siem Reap, permet de mesurer l’ampleur de la tâche accomplie. Mais aussi, et surtout, de constater à quel point le quotidien des enfants se trouve bouleversé par l’adaptation d’une prothèse auditive.
En cette journée ensoleillée, une activité fébrile et bien inhabituelle règne dans l’enceinte de la Special Education High School. Une foule d’élèves, dans leurs costumes immaculés, se presse sagement devant les salles qui ont été allouées.
Tous seront examinés et appareillés par l’équipe des 14 bénévoles des ESC venus exprès de France, complétée par les professionnels cambodgiens demeurant sur place. Il n’en faut pas moins pour prendre en charge, en l’espace de deux journées bien remplies, les 150 élèves de cette école dédiée aux enfants atteints de handicap visuel ou auditif.
Une équipe soudée et bien rodée
Sans relâche, les membres de l’association occupent leurs postes respectifs et s’affairent au milieu des rires, entourés de dossiers empilés, d’ordinateurs, d’instruments médicaux et de prothèses aux couleurs variées. L’afflux des enfants venus pour une consultation et un appareillage oblige à une stricte rationalisation des tâches, ce qui ne semble pas gêner le moins du monde une équipe bien rodée par 20 années de pratique.
Effectuant sa dixième mission, Philippe, audioprothésiste narbonnais à la tête d’une douzaine de magasins dans sa région explique, de son accent chantant, comment s’organise la petite troupe.
Dans celle-ci se côtoient retraités et étudiants, audioprothésistes et ORL. Tous ont pris sur leurs vacances et leur budget pour participer à cette tournée de cinq écoles situées aux quatre coins du royaume. Une tournée qui fait parfois figure de marathon tant le travail à accomplir s’avère dense. Véritables chefs d’orchestre de cette incroyable odyssée, Geneviève et Jean-Paul Beraha, cofondateurs de l’association, coordonnent cette mission.
Combler deux années de retard
« La tâche est encore plus ardue que durant les années précédentes, car notre dernière visite remonte à février 2020. Nous organisons d'habitude deux missions par an, mais les restrictions dues au Covid nous ont empêché de revenir depuis. Un retard de deux ans qui n’est pas sans effets sur la prise en charge et le suivi des enfants : certains ont tardé à être diagnostiqués, tandis que d’autres avaient besoin de nouveaux réglages ou d’une révision de leur prothèse.
Sans compter les pannes et les pertes, précise Geneviève Beraha. Pourtant, cette période sans visites de notre part a démontré combien les professeurs et médecins présents sur place ont su gérer leur autonomie. C’est une notion qui nous tient foncièrement à cœur et dans le sens de laquelle nous avons travaillé dur depuis le début. Constater que cet aspect fonctionne correctement est une profonde satisfaction pour nous. »
Lutter pour l'intégration
Assistant à chaque mission depuis la création de l’association en 2001, Geneviève a pu constater les progrès réalisés au bout de 2 décennies. « À l’époque, les enfants atteints de surdité ne pouvaient compter sur quasiment aucun soutien, se souvient-elle. La notion de karma était encore très présente, entraînant une forme de fatalisme et, pire, d’absence de prise en charge.
Il n’était pas rare de voir les gamins déscolarisés, complètement isolés, posés dans un coin et livrés à eux-mêmes. Fort heureusement, les choses ont évolué dans le bon sens, et on peut maintenant compter sur une réelle implication gouvernementale. » Des propos que valide son mari Jean-Paul, audioprothésiste à l’initiative de cette ONG.
Celui que l’on surnomme avec respect “Lauk Ta” (grand-père) s’est momentanément soustrait au flux d’interlocuteurs qui entourent son bureau, officiels, professeurs, bénévoles, enfants et patients. En présentant les deux personnes assises à ses côtés, Jean-Paul Beraha se montre admiratif de la volonté dont ces sourds et malentendants font preuve : « Ty fait partie des anciens élèves. Il travaillait autrefois pour Artisans d'Angkor et il conduit désormais un tuktuk. Sambath est cuisinier à Kratié. Tous deux démontrent à quel point l’usage de prothèses permet d’exercer toutes sortes de métiers, même les plus inattendus ! »
Équipement de pointe et formation
Depuis la fondation d’Enfants Sourds du Cambodge, pas moins de 1.500 enfants ont été pris en charge et se sont vu confier une prothèse adaptée. Geneviève, qui fait office de logisticienne, renseigne minutieusement chaque fiche informatique afin de garantir un suivi continu des élèves, qui s'échelonne parfois sur plus de 15 années. Chaque professionnel trouve sa place au milieu des tâches complexes qui lui sont assignées. Thomas désigne avec fierté l’un des 5 appareils de mesure, dont il explique le fonctionnement au personnel de l’école.
D’un usage particulièrement pointu, ces audiomètres, don d’un partenaire historique d’ESC et qui valent chacun plus de 10.000 euros pièce, équiperont les salles insonorisées et climatisées des écoles. « La climatisation est très importante, car ces instruments se montrent très sensibles à la chaleur.
C’est d’ailleurs aussi malheureusement le cas avec les prothèses, dont la durée de vie est raccourcie par les conditions climatiques propres aux pays tropicaux. » Préparant un Master en audiologie, le jeune homme a anticipé de longue date ce premier voyage, mettant au point avec une startup, son professeur et des étudiants une adaptation en khmer du logiciel utilisé. Il ne s’agissait pas pour eux de simplement traduire l’interface, mais aussi d’adapter tests et diagnostics à chaque particularité de la langue.
Aucun détail n’a été laissé au hasard : phonèmes, diphtongues, accentuation de certaines syllabes propre à la langue cambodgienne ont fait partie des travaux réalisés, qui seront amenés à être complétés au fil du temps par d’autres équipes. Le logiciel sera ensuite utilisé dans chaque école par les orthophonistes cambodgiens formés par l’association. Pour Thomas, cet engagement de longue haleine se trouve néanmoins amplement récompensé : sortant son téléphone, il dévoile une photo sur laquelle on le voit entouré d’élèves affichant le plus beau des sourires : « Pour moi, tous les efforts se trouvent justifiés lors de ces moments-là. »
De Toulon à Phnom Penh
« Donner le sourire aux oreilles des enfants » : cette ambition est née d’une discussion entre Jean-Paul Beraha et Michel Bré, tous deux praticiens à Toulon. La femme de ce dernier, pharmacienne franco-cambodgienne, les sensibilise au problème et les décide à créer l’association Enfants Sourds du Cambodge.
Une autre rencontre, celle avec Benoît Duchateau-Arminjon, s’avère décisive. Fondateur de Krousar Thmey et venant en aide aux réfugiés cambodgiens regagnant leur foyer, il monte dans les années 1990 des écoles à destination d’abord des enfants aveugles, puis sourds.
Des objectifs communs, des compétences éprouvées et une motivation à revendre : la collaboration entre ces talents fonctionne immédiatement. ESC se voit confier la prise en charge des élèves de 5 écoles spécialisées dont 2 se situent à Phnom Penh, les autres à Kampong Cham, Battambang et Siem Reap.
Relève assurée
Au fil du temps, les premiers enfants pris en charge ont grandi, certains rejoignant même l’équipe. Outre leur implication, la présence de ces jeunes adultes rassure des enfants parfois stressés par la série d’examens qu’ils ont à passer au cours de ces journées.
Gérant l’audioplastie, c’est à dire la fabrication des embouts auditifs, Sok Sunhieng tente, entre 2 empreintes de silicone, de calmer une petite tenant nerveusement la main de sa camarade. Quelques signes et un regard suffiront à la détendre, et la jeune élève arborera dans quelques heures une prothèse flambant neuve, dont elle pourra même choisir la couleur.
Tout se déroule dans la journée, auscultation, diagnostic, prescription, appareillage et réglage. « Autrefois, se souvient Jean-Paul, nous effectuions les examens sur place, rentrions en France pour acquérir le matériel, le régler et enfin, lors de notre retour au Cambodge 6 mois plus tard, en équiper les enfants. Réaliser maintenant tout cela en une seule fois marque un net progrès ! »
Inlassables, Geneviève, Jean-Paul et toute l’équipe continuent cette 38ème tournée, la prochaine étant prévue pour janvier 2023. Dans la cour de récréation, des enfants jouent avec le petit cadeau qu’ils ont reçu afin de les récompenser de leur patience. Pour les bénévoles, le cadeau, lui, est tout trouvé : rendre le sourire aux oreilles des enfants.
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