Les œuvres de Lim Muy Theam seront disponibles le jeudi 31 mars 2022 dans les locaux d'un autre artiste talentueux, The Gallerist. L'occasion de (re)découvrir le parcours d'un personnage incontournable de la scène des arts dans le royaume.
Theam’s Gallery – La Galerie de Theam est devenue au fil des années une authentique référence en termes d’arts et de créativité dans la cité des temples. Son créateur, Lim Muy Theam, n’avait que neuf ans lorsque la famille a fui le Cambodge pour se réfugier en France.
Revenu en 1994, il n’a cessé alors de s’impliquer dans le renouveau du secteur artisanal à Siem Reap. Artiste prolifique et passionné, Lim Muy Theam se révèle aussi un personnage discret, humble, heureux de pouvoir aujourd’hui vivre de sa passion, et aussi de la transmettre aux plus jeunes. M. Theam se raconte :
Parcours
En entrant dans la salle d’accueil des visiteurs de la galerie, l’artiste revient en quelques mots sur son parcours : « C’est ici que nous accueillons les visiteurs, pour présenter mon travail et ma démarche. Laissez-moi brièvement vous expliquer mon parcours, en tant qu’enfant réfugié en France, mes études aux Beaux-Arts, et mon retour au pays pour participer à sa reconstruction.
Je suis à la base un artiste peintre qui a donc suivi les Beaux-arts à Paris, mais aussi des cours d’architecture intérieure à l’école Boulle. Ce sont mes deux grandes passions, et je n’aurais pas pensé pouvoir en vivre ici au Cambodge », explique-t-il en présentant les premiers échantillons de son travail. Ce sont des recherches plastiques à partir de photographies, constituant des « reproductions », ou plutôt des « impressions ». La technique de la polychromie, avec une finition laquée, lui permet de « retravailler et de réajuster ses œuvres à volonté ».
Exil et retour
Lim Muy Theam n’avait que neuf ans, en 1980, lorsqu’il est parti du Cambodge avec toute sa famille. Et, de cette époque, il ne conserve que des bribes de souvenirs, des moments d’enfance, des instants innocents, de chants, de jeux… « Arrivé en France, j’avais aussi des difficultés de communication, et je conservais une attitude extrêmement fermée.
Mes maîtres et maîtresses d’école l’ont remarqué et se sont inquiétés de mon état. J’ai été pris en charge par une psychologue, qui m’a aidé à mieux m’exprimer », confie le maître des lieux.
« Je suis arrivé ici en 1994, après avoir travaillé six mois à Paris. C’était horrible ! J’ai décidé de rentrer pour la première fois au Cambodge, et ce fut également horrible, j’ai été malade à deux reprises… », poursuit-il. « Puis, un cousin, qui travaillait à Hong-kong, m’a signalé qu’un décorateur avec un profil francophone était recherché.
« Certains objets sont des œuvres très esthétiques, réalisées par des gens “ordinaires”, qui n’étaient ni des sculpteurs ni des gens ayant suivi les Beaux-arts »
J’y suis allé, et c’était, encore une fois, horrible. Je suis revenu au Cambodge en 1995 pour visiter Angkor Wat et là, ça a été le coup de foudre. J’ai quitté mon boulot et me suis installé ici. J’ai pu survivre en vendant quelques aquarelles dans les temples. Les touristes achetaient mes peintures et esquisses 40 ou 50 dollars US. J’y ai croisé des responsables des chantiers-écoles, qui m’ont associé en 1997 à un projet qui allait devenir Artisans d’Angkor.
J’y suis resté jusqu’en 2010 avant de me décider à partir. À un moment donné, on ressent le besoin de s’exprimer plus, de travailler sans cahier des charges et de s’amuser un petit peu. D’autres artistes ayant travaillé à Artisans ont éprouvé le même besoin, comme Éric Raisina ou Éric Stocker. Tout en aimant passionnément Artisans d’Angkor. Nous avions juste besoin de nous amuser un peu. »
Objets rares
Dans le Pavillon où trônent de nombreux objets anciens, l’artiste explique que ces pièces exposées résument sa vie et ses voyages à travers différents pays, mais en particulier au Cambodge. Plutôt que de les laisser dans un placard, il a décidé, il y a quatre ans, de permettre au public de les découvrir. Ce sont de vieux objets provenant de villages, de pagodes, qui auraient pu être jetés et que M. Theam a récupérés alors qu’il travaillait pour Artisans d’Angkor.
« J’essaie de reconstituer une époque passée. N’avoir aucun souvenir de cette époque étonne mes parents. Je tente d’imaginer ce qui s’est passé, comme lorsque l’on regarde un film sans être réellement dedans, et pourtant, on y est bien… »
Des objets rares, qui ont aujourd’hui quasiment disparu de la vie quotidienne. Et pourtant : « Ce sont des œuvres très esthétiques, réalisées par des gens “ordinaires”, qui n’étaient ni des sculpteurs ni des gens ayant suivi les Beaux-arts. Des villageois ont effectué un travail remarquable », raconte le passionné. Tout est mélangé, aucun objet n’est classé. « Seul l’aspect esthétique compte. Ces objets m’ont aidé dans mon travail de designer, ils m’ont inspiré, par leurs proportions, leurs volumes, leurs motifs… C’est surtout cela qui m’intéresse », explique-t-il.
Mieux que les mots
Et, ces objets rares ne sont plus à vendre. L’artiste souhaite les conserver, pour les montrer, mais également pour illustrer ses ateliers avec ses apprentis : « Ces objets permet parlent bien mieux que les mots. C’est donc devenu un outil de communication à destination des élèves », dit-il. Ces élèves sont aujourd’hui une cinquantaine. Ils étaient une soixantaine au début, certains se sont mis à leur propre compte, d’autres sont restés.
À propos de sculpture
« Je suis peintre avant tout, même si j’ai été formé aussi à la sculpture. Je m’estime à la fois peintre et designer, car je manipule plusieurs supports. Il y a par exemple ces sculptures en bronze, qui sont des prototypes, dont j’ai réalisé les dessins et que j’ai donné à faire. On les trouve maintenant dans les hôtels et sur les marchés. C’est l’un des aspects de mon travail », raconte M. Theam alors qu’il nous conduit vers la salle des statues. Toutes ont été imaginées le peintre, qui en a conçu les prototypes. Les bronziers se sont ensuite chargés de les réaliser. « Nous avons pris des photos venant des musées du monde entier. Puis nous avons réalisé les prototypes en argile ou en bois. C’est le résultat d’un grand travail de recherche », explique-t-il.
Design et influence
Concernant le design de son atelier, M.Theam indique se trouver influencé par ses découvertes, mais aussi par la sensibilité khmère qu’il souhaite mieux percevoir et partager avec ses visiteurs. « Mais, je vais encore remodeler, car j’ai visité la semaine dernière le Palais royal à Phnom Penh. La fresque a été à moitié restaurée et je la trouve magnifique. Les apprentis sont enchantés, car c’était la première fois qu’ils la voyaient. Certains aspects ne m’ont pas enthousiasmé, mais, j’ai trouvé la partie située vers la Pagode d’argent tout-à-fait admirable » dit-il, ajoutant que : « Il y a une sorte d’îlot sur lequel on peut monter, et de là, le paysage est très joli, touchant. Il y a un côté très khmer, très pittoresque, avec ces forêts, ces histoires, ces mythologies et ces contes. Je trouve cela très intéressant. Je vais essayer de montrer cet attachement des Cambodgiens à ce monde mystérieux des montagnes. »
Vers le passé
Visite ensuite de son atelier, un endroit où l’artiste exprime ses propres idées, ses visions, et sa perception d’un passé ambigu. « J’essaie de reconstituer une époque passée, même si j’ai perdu le souvenir de la période où j’avais 8 ou 9 ans. N’avoir aucun souvenir de cette époque étonne mes parents. Je tente d’imaginer ce qui s’est passé, comme lorsque l’on regarde un film sans être réellement dedans, et pourtant, on y est bien… », explique-t-il. Vient ensuite la visite de la petite reconstitution d’une cuisine traditionnelle pour laquelle M. Theam déclare ne rechercher ni authenticité, ni traditions ou coutumes, mais surtout une ambiance où tout est fonctionnel et à portée de main.
« je ne cesserai jamais de tenter de retrouver les émotions de mon enfance oubliée »
Musique
Quelques pas plus loin, une autre partie de la galerie consacrée aux instruments anciens. Une initiative destinée à mettre en valeur le travail du musicologue Patrick Kersalé, qui élabore des instruments anciens à partir des bas-reliefs angkoriens. Ces instruments ne figurent pas dans les orchestres khmers contemporains. C’est le fruit de 20 ans de travail et de recherche, en Inde, au Népal, en Thaïlande, où des formes similaires sont toujours vivantes. « Son travail est utilisé au profit de l’association Cambodian Living Arts, pour laquelle il forme les apprentis à l’utilisation de ces instruments de musique. C’est une œuvre extraordinaire, mais pas assez mise en valeur », indique M. Theam.
Pas d’ennui
Concernant son rythme de travail entre ses créations personnelles, son travail de décorateur et l’encadrement de ses élèves, le peintre déclare : « Je fais à peu près une dizaine de toiles par mois. J’ai le rythme d’un ouvrier, très régulier. Je ne compte pas sur l’inspiration, pour moi, c’est dépassé. L’heure c’est l’heure, et au travail ! Lorsque la peinture m’ennuie trop, je passe aux sculptures. J’ai donc mes journées de 12 heures, 7 jours sur 7, et c’est très bien !
Cela épate toujours mes amis de France : “tu dois t’ennuyer, qu’est-ce que tu es allé faire là-bas ?”. Eh bien venez voir, suivez mon rythme et vous verrez qu’on ne s’ennuie pas ! Quand les peintures m’ennuient, quand les sculptures m’ennuient, je fais de la décoration ! Je suis toujours en activité, et je trouve cela extraordinaire. C’est passionnant et très productif. J’aimerais que tout le monde adopte le même rythme ! ».
La galerie accueille cinq à six groupes de touristes par jour en moyenne en n’acceptant que ceux en dessous de 30 personnes. Ces groupes sont pris en charge par les vendeurs ou par la sœur de l’artiste. Lui ne se montre guère : « Je ne me montre pas, je reste invisible, caché dans mon atelier. Les visiteurs nous soutiennent, apprécient la qualité des œuvres, et achètent souvent quelque chose. Le marché du tourisme est compliqué, et la meilleure manière pour moi de l’aborder est de travailler comme j’aime, sans pression ni contrainte.
Ma sœur Maddy m’aide beaucoup car elle s’occupe des visites et de l’aspect commercial… Et, par chance, elle aime cet aspect du métier », conclut M.Theam avant de faire quelques pas dans le jardin, bel endroit également imprégné du talent de l’artiste : « Nous avons fêté nos neuf ans d’ouverture. La maison a été construite en 1998, à partir de rien. J’ai acheté un terrain vierge, construit la maison et fait planter ces grands arbres », raconte-t-il avant de confier qu’il ne cessera jamais de « tenter de retrouver les émotion de son enfance oubliée ».
Par Christophe Gargiulo avec Rémi Abad et Emma Dubois
Pour consulter la totalité des photographies, cliquer ici
Site internet de la galerie : https://theamsgallery.com/
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