À l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, retour sur un document relatant l’histoire de Gilles Caron, disparu brutalement au Cambodge en 1970 alors qu’il était au sommet d’une carrière de photojournaliste fulgurante.
En 1970, le journaliste a tout juste 30 ans. En janvier 2020, le public français a pu découvrir en salles le documentaire de Mariana Otero qui lui rendait un bel hommage à l’occasion du cinquantenaire de sa disparition.
En l’espace de six ans, il a été l’un des témoins majeurs de son époque, couvrant pour les plus grands magazines la guerre des Six Jours, mai 68, le conflit nord-irlandais ou encore la guerre du Vietnam.
Lorsque la réalisatrice Mariana Otero découvre le travail de Gilles Caron, une photographie attire son attention qui fait écho avec sa propre histoire, la disparition d’un être cher qui ne laisse derrière lui que des images à déchiffrer. Elle se plonge alors dans les 100 000 clichés du photo-reporter pour lui redonner une présence et raconter l’histoire de son regard si singulier.
Origine du film par Mariana Otero
« Un jour, alors que je finissais le montage de mon film « À ciel ouvert » (2013), le scénariste Jérôme Tonnerre m’a fait parvenir un livre,la biographie d’un photographe. En le feuilletant, j’ai découvert de magnifiques photographies dont quelques unes m’étaient familières mais, étrangement, je ne connaissais pas le nom de celui qui les avait faites : Gilles Caron.
Et puis je suis tombée sur les dernières pages du livre. Elles relatent la disparition soudaine de Gilles Caron au Cambodge en 1970. On y voit son dernier rouleau de photos, des adolescents cambodgiens, sourire aux lèvres, revêtant l’uniforme pour aller à la guerre. Entremêlées à ces images de reportage,deux petites filles en bonnet dans un jardin en hiver, ses deux filles Marjolaine et Clémentine. J’étais saisie. Je retrouvais comme en miroir, les dessins que ma mère peintre, Clotilde Vautier, avait faits de ma sœur et de moi-même enfants, peu avant sa mort en 1968 alors qu’elle aussi avait à peine trente ans. Ces photos et cet écho étaient comme un appel, une invitation à faire un film.»
« J’ai alors voulu rencontrer la femme et les filles de Gilles Caron pour savoir comment elles avaient vécu cette disparition et si des recherche savaient été entreprises et avaient ouvert des pistes. Suite à nos longues discussions, j’ai compris qu’il serait inutile de vouloir enquêter une fois encore au Cambodge et que ce n’était pas de ce côté que le film pourrait aller.
Ces photos et cet écho étaient comme un appel, une invitation à faire un film
Et puis, très vite la famille a accepté de mettre à ma disposition sous leur forme numérique les 100000 photos prises par Caron au cours de sa fulgurante carrière. Face à cette quantité gigantesque d'images, j’ai commencé par m’intéresser au reportage d’où est issue la célèbre photo représentant Cohn-Bendit face à un policier en 1968. Je voulais comprendre et reconstituer le trajet de Caron dans les quelques mètres carrés qu’il avait arpentés ce jour-là. C’est à ce moment-là, pendant le temps de cette recherche, alors que j’avais l’impression d’accompagner le photographe derrière son épaule que le désir du film est devenu évident, impérieux.»
« Déchiffrer des images pour révéler au travers d’elles la présence de celui ou de celle qui les avait faites, était une démarche que j’avais déjà explorée dans le film sur ma mère Histoire d’un secret (2003). Ce nouveau film Histoire d’un regard est né de ce même désir : faire revivre un artiste à partir des images qu’il laisse et exclusivement à partir d’elles.»
L'écriture
Pour structurer le film et dégager les moments charnières dans le travail et la réflexion de Gilles Caron, j’ai dû évidemment prendre de la distance avec les 100000 photographies observées et les centaines d’informations, d’analyses, d’anecdotes, que j’avais accumulées pendant mes six mois de recherche. Ce qui nous a en permanence guidé dans l’écriture, mon co-scénariste Jérôme Tonnerre et moi-même,c’était mon désir de rendre sensible la trajectoire du photographe : trajectoire d’abord physique comme dans le cas de la séquence autour de la célèbre photo de Cohn-Bendit mais aussi trajectoire mentale, intérieure. Caron n’a pas étudié la photographie mais malgré cela, il est devenu rapidement un très grand photographe.
Caron fait des photos chargées de présences extrêmement fortes et remarquables
C’est sa culture générale, artistique et politique, ses qualités physiques, ses 22 mois en tant qu’appelé pendant la guerre d’Algérie, qui ont permis à Gilles Caron de photographier les situations de conflit avec une telle acuité et un tel talent. Mais ce qui, à mon sens, a fait son génie, c’est sa manière de saisir les individus, de mettre en évidence leur singularité bien au-delà des événements dont ils sont les protagonistes. Dans ses photos, il y a toujours «quelqu’un», même dans la plus dramatique des situations,«quelqu’un» avec un corps, un visage,une histoire, qui ne se résume pas au désastre ou à la situation dont il est le protagoniste, le représentant.
Dès son premier grand reportage pendant la guerre des Six Jours, Caron fait des photos chargées de présences extrêmement fortes et remarquables. Elles sont immédiatement publiées dans les plus grands magazines du monde entier. Du fait de son succès, Caron est rapidement envoyé dans les lieux de conflit les plus importants du moment et c’est donc sur le terrain qu’il va être confronté à toutes les grandes questions que la pratique du photo-reportage peut susciter.
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