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Chronique : Mes chers parents, j’ai refait le Cambodge en cauchemar

Mes chers parents

Je ne sais comment je suis arrivé dans cet hélicoptère qui survole Angkor Wat. Là, assis à côté de moi un type me dit : « voilà, tu as un mois pour changer ce que tu veux dans la gestion des temples. Désormais, c’est toi le patron ». J’aurai dû être étonné. Pas du tout. Une fois redescendu sur le tarmac, je rejoins mon bureau à la tête de la compagnie qui gère Angkor et je me mets au travail.

Nouvelles mesures

Ma première mesure est de rendre gratuit l’accès aux temples pour tous les étrangers mariés avec des Cambodgiens ou Cambodgiennes, et d’aménager différentes catégories de billets d’entrées pour ceux qui travaillent dans le pays. A l’image de ce qui se fait en Thaïlande, au Vietnam, en Indonésie et ailleurs dans la région : un étranger résidant paye les mêmes tarifs que les locaux pour entrer sur la totalité des sites touristiques.

Combien d’expatriés ne peuvent pas accompagner leur épouse et leurs enfants pour une promenade en soirée dans le complexe d’Angkor sans devoir acheter un billet à 37 dollars ? Combien ne peuvent même pas rendre visite à leurs amis ou à leur belle-famille si ceux-ci ou celle-ci habite un village des temples ? Il leur est même interdit de traverser le complexe de part en part.

Musée à ciel ouvert

Le parc d’Angkor est considéré comme un musée à ciel ouvert et à ce titre il est fermé à tout étranger qui ne dispose pas d’un billet d’entrée. Qu’il désire simplement circuler sur la route qui traverse le complexe ou visiter les temples. Cela revient à interdire de passer au pied de la Tour Eiffel ou de marcher sur le parvis de Notre Dame sous prétexte qu’on pourrait profiter de la vue, prendre une photo ou deux de l’extérieur des monuments. Gratuitement !

Aux oubliettes la règle : un étranger égale un billet payant ! Je suis le patron ! Je change tout. Je supprime les billets d’un jour, de trois jours et d’une semaine, beaucoup trop rigides. D’autant que, d’après les statistiques, moins d’un pour cent des visiteurs achète le billet d’une semaine. 70% des touristes ne visitent Angkor qu’une seule journée ! Terminé tout ça. Désormais, les billets peuvent s’acheter en ligne. Ils sont valables pour un mois complet et permettent un nombre illimité d’entrées dans le complexe durant cette période. Les professionnels du tourisme sont donc plus libres d’organiser leurs circuits et les touristes commencent alors à séjourner plus longtemps sur place.

Nouveaux billets

J’émets d’autres types de billets qui donnent, eux, l’accès à chaque temple pour celui qui ne fait que passer et qui désire, par exemple, ne visiter qu’un seul monument. D’ailleurs, cela est déjà en place pour le temple de Beng Mealea qui, curieusement, est exclu de ce musée à ciel ouvert puisque le billet d’entrée à ce monument s’achète uniquement sur place.

Je suis le patron. A ce titre, je fais installer des sons et lumières. J’illumine Angkor et j’organise des visites de nuit. Payantes bien entendu afin de financer l’investissement. J’offre à tous les cambodgiens qui tiennent un stand autour des temples un crédit à taux zéro pour refaire leur boutique dans un style traditionnel, en bois. Je construis des écoles dans le complexe. J’installe l’électricité pour les villageois en enterrant les câbles.

Tourbillon

Je suis pris dans un tourbillon. Me revoilà dans mon hélicoptère à survoler les temples. Le type est encore à côté de moi. Il me félicite. Il me dit que j’ai passé avec succès la première étape du jeu et que je peux maintenant changer ce que je désire sur la totalité du pays. Mon bureau a changé. Il est plus grand. Je me mets au travail. J’interdis les véhicules avec le volant à droite, les tentes de mariages montées sur les routes, les haut-parleurs lors des cérémonies en tous genre. J’interdis les karaokés de salon, les bouteilles et les sacs plastique. Je poste des policiers à la sortie de tous les collèges chargés de distribuer des casques aux jeunes sur leurs motos. Puis je confisque les motos le lendemain s’ils ne portent pas leur casque. J’instaure des formations dans les écoles dès le primaire sur l’environnement et la sécurité routière. J’oblige tous les lycéens à visiter le musée du génocide, le Palais royal, le musée national.

Mes chers parents, j’ai refait le Cambodge en cauchemar

Mes chers parents, j’ai refait le Cambodge en cauchemar. Illustration de Rin Hoeut


Projets

Je vais encore plus loin et je prélève une taxe sur l’achat des voitures dont le prix dépasse cent mille dollars. Avec cet argent, je rénove la totalité des hôpitaux provinciaux. Je demande à tous les chefs des villages du royaume de réunir leurs administrés pour les obliger à nettoyer les papiers plastiques autour de leur maison. Je suis le patron. Je ne m’arrête pas de changer les choses. Je bouleverse tout, modifie tout. Je n’ai pas assez de temps. Je…

Je me réveille en sursaut. La pagode voisine a mis la sono à fond. Il est 3h49 du matin.

Cauchemar

Un cauchemar ! Je viens de vivre le pire cauchemar de mes nuits. Je regarde autour de moi. La maison en bois, ma moustiquaire, je suis bien au Cambodge, ce pays que j’aime et surtout ces habitants qui m’ont accueilli il y a longtemps déjà. Avec leurs défauts et surtout leurs qualités. Quel drôle de cauchemar. Qu’est ce qui a pu l’initier ? Je prends mon téléphone, j’ouvre Facebook. Un chauffard a encore écrasé un gosse sur le bord d’une route. Le nombre de touristes Chinois a encore augmenté à Angkor.

J’écoute la musique qui perce la fraîche nuit de décembre. Je ne sais pourquoi, elle me rassure. Je ferme mon téléphone et mets mes bouchons anti-bruit. Tout va bien. Rien n’a changé. Ce n’était qu’un cauchemar…

A bientôt. Frédéric Amat

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