J’ai croisé un ministre. Au marché de Siem Reap. Un ministre de chez nous, en vacance au Cambodge. Je ne me rappelle plus de son nom mais je crois que je l’ai toujours vu ministre depuis que je suis tout petit.
Pas d’autographe
En tout cas, maman, tu l’aimais bien je sais. Alors je lui ai demandé un autographe pour toi et j’ai tenté de parler un peu. Il n’a pas eu l’air de s’intéresser à mes questions et il m’a dit qu’il était pressé. Je n’ai même pas pu faire un Selfie ! Bref, j’en ai parlé à des amis d’ici et l’un d’eux m’a expliqué pourquoi il était pressé. Le ministre partait avec son épouse dans un temple isolé loué pour l’occasion afin de déguster un repas gastronomique avec sommelier et violoncelliste ! Oui, au Cambodge, on peut faire des tas de choses originales comme louer un temple, le faire illuminer de centaines de bougies et de torches et se faire servir au son du violon un repas qui coûte un « pognon de dingue » ! Tout est possible. Même des choses auxquelles personne ne pense comme se faire accompagner durant son séjour par des policiers à moto qui ouvrent la route. Les Chinois adorent ça. On peut faire plus simple aussi comme se balader dans des voitures anciennes ou en Jeep de la dernière guerre.
Mes chers parents, j’ai croisé un ministre français à Siem Reap. Illustration de Rimo
Coquetteries
Mon ami organise ce genre de coquetteries. Dernièrement, il a déposé des Russes en hélicoptère dans un temple lointain au cœur duquel il avait dressé un campement à la manière des chasseurs de tigres d’antan. Avec tentes et un feu de camps. Le repas « tout à la Vodka » était cuisiné devant eux par un chef français sorti pour l’occasion de son hôtel de luxe. Douches et toilettes avaient bien entendu été aménagées pour la soirée
Le matin, des quads attendaient ces aventuriers des bacs à sable, et ils ont pu visiter les environs sur quatre roues avant de remonter dans l’hélicoptère. Cela coûte cher, très cher, mais les millionnaires ne sont pas à un rouble près pour éviter de rouler sur les sécurisantes autoroutes surpeuplées du conformisme.
Déjà en 1990
Remarquez riches comme moins riches n’ont pas attendu que le Cambodge soit pacifié pour venir y assouvir leurs fantasmes dans des escapades originales.
Le Cambodge des années 1990 était cette destination pour une poignée de touristes casse-cou. Certains ne l’ont jamais quitté et ont fini leur séjour dans le four crématoire d’une pagode locale. Les trois otages, dont un Français, enlevés en 1994 dans le train entre Phnom Penh et Kampot puis assassinés en détention, étaient de ceux-là. Ils connaissaient le risque. Le train était alors attaqué une fois sur deux et il était absolument interdit aux étrangers. Insouciance et volonté de vivre une expérience hors du commun les ont menés à la mort.
Casse-cou
D’autres ont été plus chanceux et n’ont laissé, durant le séjour, qu’une partie de leur anatomie. Comme ce couple, en 1996, parti de nuit vers Battambang, alors que les consignes de sécurité spécifiaient bien toute la folie que revêtait une telle entreprise. Le chauffeur, fatigué de payer les innombrables péages sauvages qui parsemaient la route, tenta de forcer un barrage. Mal lui en a pris. Pour une fois, le « militaire moitié khmer rouge moitié bandit de grand chemin », savait viser. La voiture prit la roquette de l’antique soviétique RPG 2 ou de son plus récent équivalent viêtnamien B40, en plein coffre. La jeune fille fût sévèrement brûlée et son fiancé perdit une jambe.
Touristes intrépides
Sur « Youtube », on trouve quelques vidéos postées par ces intrépides touristes de l’impossible, qui quelque part sur un bout de rizière khmère, en short, en Tongues et armés dudit lance-roquettes, tentent avec plus ou moins de bonheur de désintégrer une vache.
Donc, dans ces années pas très éloignées où le Cambodge n’avait que peu de foi et pas trop de lois, un Singapourien propriétaire d’une des premières discothèques huppées de Phnom Penh, s’était spécialisé dans une sous-section de ce tourisme. Ses clients étaient quasiment tous des Asiatiques, mais ils n’étaient pas réellement intrépides. Ils désiraient seulement prendre du bon temps mais pas trop de risques.
James Bond certificate
Ainsi fut créé le « James Bond certificate ». Pour une somme folle, les clients passaient une semaine à jouer les 007. L’aventure démarrait à Pochentong. Dès leur descente d’avion, les apprentis espions étaient couverts des « Bons baisers » du Cambodge. Les jeunes et jolies James Bond girls de luxe leur offraient ensuite un Martini Dry dans la limousine blanche en route vers la chambre d’hôtel. L’aventure se poursuivait à Sihanoukville où l’espion recevait son permis de tuer après un baptême du feu. Déposé sur une île déserte en hélicoptère pour une « opération tonnerre », sa mission consistait à abattre un quadrupède à la grenade, au lance-roquette ou à l’aide d’autres ustensiles tout aussi redoutables. Avant son départ, l’agent pas très secret devait dépenser une petite fortune au casino dans un remake de « Espions, faites vos jeux ». Là, il séduisait, souvent malgré lui, une charmante créature aux yeux d’or, qui lui offrirait pour sa dernière nuit la preuve que « demain ne meurt jamais ».
D’autres originaux
Ce Singapourien n’était pas le seul à proposer aux détraqués de la planète d’assouvir leurs fantasmes. D’autres originaux ont également trempé dans ce drôle de commerce qui rapportait énormément. C’est le cas d’un Italien basé dans une autre cité balnéaire du Cambodge. Il accueillait alors les Golden boys de New York ou de Londres et, contre fortune, transformait leurs rêves en réalités. Et les chimères de ces gens-là étaient, bien entendu, toujours contre morale : des filles ou des garçons, des armes et de la drogue. Ainsi, à deux Américains qui rêvaient, entre autres delirium tremens de chasse au tigre, le gentil organisateur avait loué pour l’occasion le famélique et sans âge tigre du zoo de Phnom Tamao. Avec l’aide d’un complice Cambodgien, il avait amené le gros chat inoffensif dans un coin de forêt. Et après une épuisante randonnée à faire tourner en rond ses clients, le complice, prévenu discrètement par radio, avait lâché le tigre. Les balles étaient à blanc et les clients passablement éméchés. Prétextant un risque de charge du tigre blessé, le guide fit détaler les deux Tartarins qui ne demandèrent jamais la peau de la bête. Ils avaient eu leur exceptionnelle chasse, leurs filles dociles et leur pauvre vache. Pour faire plus vrai, le gentil organisateur avait même demandé à ses amis – d’anciens khmers rouges reconvertis – de participer en uniformes aux cérémonies de mise à mort de la génisse accrochée comme un condamné à son piquet.
C’était un temps où on savait encore rire, dirait non sans un certain sens de l’humour, ce « sympathique » guide de voyages pas comme les autres, qui coule encore aujourd’hui des jours heureux dans ce Cambodge qui n’est plus vraiment le même.
Aujourd’hui, on se contente de violons dans des temples éclairés de bougies…
A bientôt, Frédéric Amat
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