Le pillage des temples du complexe d’Angkor a cessé. Bel et bien. Mais pas depuis si longtemps.
Bien souvent, ce que le touriste prend pour un coup de burin qui aurait arraché le visage d’une statue est en réalité un drame qui n’a rien à voir avec le trafic d’œuvre d’art. Mais qui date de l’époque même d’Angkor. Lors du changement de religion, les rois successifs ont fait bûcher de nombreuses représentations de divinités, plus en phase avec la nouvelle croyance officielle. Mais elles sont pourtant nombreuses, les Apsaras ou les Devatas, à avoir perdu la face sous les coups des pilleurs. Et pas uniquement dans les temples éloignés.
Retour sur un phénomène heureusement devenu un mauvais souvenir…
Ce n’est pas André Malraux qui a donné l’exemple en allant découper 800 kilos de grés rose à Banteay Srey un beau matin de décembre 1923. Les pilleurs, il y en a eu avant lui et surtout, après. Nous sommes en 1866. Cela fait trois ans déjà que la France a intégré le Cambodge dans son Empire, en tant que protectorat : le roi khmer, Norodom Ier, a reprit le flambeau de son père le Roi Ang Duong et a finalement réussi là où son père avait échoué, à savoir, se mettre sous le parapluie de la France.
Louis Delaporte
Louis Delaporte arrive donc à Angkor à cette époque. Siem Reap est une province encore administrée par Bangkok. Il faut en effet attendre 1907 pour que celle ci, avec ses voisines Sisophon et Battambang, redevienne entièrement cambodgienne. La France n’est donc, à Angkor, pas encore totalement chez elle malgré le protectorat. Or, Louis Delaporte, lorsqu’il embarque sur le bateau à vapeur qui relie Saïgon à Siem Reap, a une seule chose en tête : ramener en France des œuvres d’arts angkoriennes. Bien entendu, le Siam était opposé au départ des biens culturels, et les autorités empêchaient toute sortie d’œuvres de leur territoire. C’est uniquement grâce à de somptueux cadeaux offerts en « échanges diplomatiques », que Louis Delaporte réussit à convaincre les autorités locales de le laisser emporter les objets qu’il convoite. Et qui sont aujourd’hui exposés au musée Guimet !
Louis Delaporte
Au final, cet avantage apporté à la France par le statut du protectorat, à une époque de fragilisation de l’empire khmer, a conduit au fait que le gouvernement cambodgien n’a jamais demandé à la France la restitution de ces biens culturels.
Rapatriement
Avec l’arrivée de l’Ecole française d’Extrême-Orient au début du siècle, les « emprunts » cessent. Louis Delaporte aura tout de même effectué pas moins de trois voyages ! En 1971, voyant le royaume sombrer dans la guerre, Bernard-Philippe Groslier, responsable de la restauration d’Angkor, va commencer à rapatrier au musée de Phnom Penh les plus belles pièces transportables. Un an plus tard les transports s’interrompent pour des raisons de sécurité et en avril 1975, les Khmers rouges entrent dans Phnom Penh. A sa chute, en 1979, les pièces déposées au musée seront retrouvées intactes. Or, avec l’occupation viêtnamienne, l’heure n’est pas à la protection des vestiges architecturaux. Et sur le site d’Angkor, les mines antipersonnel représentent le seul obstacle pour les pilleurs.
Expédition Delaporte
Avec la signature des accords de paix de Paris en 1991, l’Unesco et l’EFEO font leur retour à Phnom Penh et constatent les dégâts, causés tant par l’homme que la nature. Paradoxe : malgré la présence de 22 000 soldats des Nations Unies sur le territoire, les pillages augmentent à un rythme affolant, transitant par la Thaïlande et les pays de la région pour le compte de clients nord-américains, européens ou japonais. Le 9 février 1993, le dépôt de sculptures de la Conservation d’Angkor est attaqué en pleine nuit au char d’assaut et un gardien est tué. Une quinzaine de statues est dérobée. Les Khmers rouges sont montrés du doigt mais des rumeurs dénoncent de riches militaires de l’armée.
Pillage à Wat Trach
L’Unesco lance alors un programme de protection repris plus tard par la coopération française. Une police spéciale dite du patrimoine est formée, forte de 500 hommes. Une brochure du Conseil international des musées, « Pillages à Angkor », recense, photos à l’appui, une centaine d’objets recherchés. Une poignée a été tout de même identifiée et une dizaine restituée. Les premiers touristes ont fait s’éloigner les pilleurs vers des temples plus difficiles d’accès et non fréquentés. Et en 2000 la Thaïlande accepte de collaborer et rend un bas-relief provenant du temple de Banteay Chmar ainsi que divers autres objets qui trouveront leur place au musée de Phnom Penh. Depuis d’autres pays suivront ainsi que de nombreux particuliers qui restitueront ainsi des œuvres d’arts cambodgiennes.
Et ce sont encore les touristes, sans même s’en rendre compte, en visitant désormais des sites jadis isolés et éloignés comme Beng Mealea, Sambor Prei Kuk ou encore Phnom Chisor, qui sont devenus les meilleurs remparts contre les pillages. A bientôt,
Frédéric Amat
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