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Chronique : Mes chers parents, Breaking Bad, c’était aussi au Cambodge

Le Cambodge est désormais un pays fréquentable, un royaume à peu près comme les autres bien installé dans l’ASEAN. Les expatriés qui vivent ici ressemblent à n’importe quels autres expatriés des pays voisins. Rien, ou presque, ne différencie un patron d’entreprise, un restaurateur, un employé de bureau à Phnom Penh de ses homologues à Bangkok ou à Hô-Chi-Minh-ville. Ce ne fût pas toujours le cas.

Mes chers parents, Breaking Bad, c’était aussi au Cambodge. Illustration de Stephff

Mes chers parents, Breaking Bad, c’était aussi au Cambodge. Illustration de Stephff


Il fût une époque où les étrangers qui vivaient au Cambodge étaient à part, sinon marginaux, du moins originaux. Car il fallait l’être un peu à part pour vivre dans un pays encore en guerre, où le danger se dissimulait à chaque coin de rue sombre. Après Max, l’humanitaire, j’ai rencontré Pascal, un expatrié de la première heure. Pascal ne vit plus au Cambodge. Il est revenu en vacances avec sa fille, à moitié cambodgienne. Cet homme d’une soixantaine d’années était, dans sa jeunesse, plongeur de combat dans les commandos marines ; puis scaphandrier dans une multinationale, employé pour de gros travaux sous-marins. Pascal est arrivé au Cambodge au début des années 1990. Son histoire est étonnante.

Je lui laisse la parole :

« Dans ces années-là, le Cambodge était un véritable Far-West dans tous les sens du terme. Le pays était en reconstruction, la plupart des provinces encore sous contrôle de bandes armées, et les étrangers jouaient les cow-boys : beaucoup étaient armés. D’ailleurs, lorsqu’on entrait dans un bar comme le Sharky’s ou le célèbre Martini, il y avait des casiers en bois à l’accueil pour poser nos armes. Le portier donnait un numéro et en accrochait un autre au pistolet ou au revolver qu’il rangeait à côté des autres.

Un fonctionnaire ne se déplaçait jamais sans son Magnum 357, le flingue de l’Inspecteur Harry pour ceux qui connaissent. Il en était très fier ! Il n’était pas le seul : un autre était un grand collectionneur d’armes de guerre. Il avait même des grenades chez lui. Tout cela se vendait librement et pas très cher sur un marché à la sortie de Phnom Penh, route de Pochentong. Les gardes de ces bars de nuit étaient de véritables durs, souvent des militaires. Ce sont eux qui approvisionnaient les étrangers en munitions. Cela évitait de revenir au marché… Ils vendaient tout ce qu’on voulait d’ailleurs. Tout était à vendre ! C’était vraiment un monde à part, le Cambodge de cette époque. Il ne se passait pas un soir sans que des étrangers se fassent braquer en rentrant chez eux.

Mes chers parents, Breaking Bad, c’était aussi au Cambodge. Illustration de Stephff

Mes chers parents, Breaking Bad, c’était aussi au Cambodge. Illustration de Stephff


Breaking Bad

Nous n’étions pas nombreux les plongeurs professionnels ici, et nous étions très sollicités pour des boulots légaux et d’autres beaucoup moins. En ce temps là, la méthamphétamine était une drogue très consommée en Thaïlande. Or elle était fabriquée, cuisinée on dit – ceux qui ont vu la série Breaking Bad comprendront – sur des bateaux de pêche au large des côtes de Sihanoukville.

La technique était au point. Les bateaux partaient à vide avec à leur bord les chimistes et un plongeur, moi en l’occurrence. Arrivés en haute mer, ils repéraient un point GPS (c’était le tout début de ces engins) et je plongeais avec un paquet de bouteilles. Mon rôle était de remonter des caissons étanches qui contenaient le matériel du petit chimiste. Ces caissons avaient été attachés à des corps morts préalablement coulés sur des hauts fonds, en pleine mer. Pour cela on se servait de parachutes, des baudruches que l’on gonflait en envoyant l’air des bouteilles. Les caisses remontaient seules. Une fois le matériel à bord, on partait vers une autre destination, encore plus au large où se trouvaient d’autres bateaux venant de Thaïlande.

Vers la Thaïlande

Ces navires transportaient, quant-à-eux, les produits de base servant à la cuisine. Je pense qu’ils les sortaient également de l’eau car ils avaient aussi des plongeurs à bord. Les bateaux se mettaient à couple. Ils faisaient leurs affaires. Nous, on buvait des bières et on pêchait. Une fois leur travail terminé, on retournait de là où on venait et on remettait le tout sous l’eau, solidement amarré. Et les bateaux rentraient au port, vides. Sauf ceux qui partaient vers la Thaïlande. Mais je pense qu’ils mettaient également sous l’eau, quelque part, le plus gros de leur marchandise. Bref, c’était un travail simple et très bien payé.

Pillages

Mais ce n’est pas tout. A cette époque, les temples isolés du complexe d’Angkor étaient fréquemment pillés. Les trafiquants savaient très bien s’organiser et ils faisaient sortir leurs statues ou autres sculptures par la mer également. Ils les mettaient dans des filets de fer qu’ils immergeaient et traînaient sous l’eau à l’arrière de bateaux. Une fois, le filin a cassé et leur cargaison a coulé à pic.

Ces bateaux en direction de la Thaïlande également, ne s’éloignaient jamais trop de la côte, donc il n’y avait pas trop de courants ni de fonds. J’ai ainsi passé une semaine à plonger pour tenter de retrouver leur trésor perdu car ils n’avaient pas immédiatement réagi lorsque le câble avait lâché. Finalement on a mis la main dessus. Et ils sont repartis avec. C’était assez malin en fait, car personne ne surveillait ces bateaux de pêche qui partaient chaque nuit du port de Sihanoukville. Rien de tout cela n’était très moral bien entendu. Mais si je ne l’avais pas fait, un autre aurait pris ma place. C’était une autre époque. Une époque où la réalité dépassait chaque jour un peu plus la fiction ».

Kingkou

Pascal, surnommé Kingkou (la grenouille en Khmer) a vécu d’innombrables autres aventures tout aussi étonnantes, comme celle qui se déroule à bord d’un énorme hélicoptère soviétique, un MI16, en compagnie d’Igor, un drôle de pilote venu d’un pays qui n’existait plus… Mais ça, c’est une autre histoire.

A bientôt, Frédéric

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