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Ancre 1

Chronique : Mes chers parents, au Cambodge les bonzes envoient du lourd !

4 heures du matin

Tout a commencé vers 4 heures du matin. Un son aigu a d’abord transpercé les planches de ma maison avant de me déchirer les tympans ! Puis des basses. Comme des coups de canons. Des basses sourdes, graves, saturées.

Mes chers parents, au Cambodge les bonzes envoient du lourd !

Mes chers parents, au Cambodge les bonzes envoient du lourd ! Illustration par Hoeut


Une série de souffles lourds d’une amplitude telle que tout s’est mit à vibrer en cadence autour de moi. L’explosion d’une antique mine antipersonnel ? Le démarrage d’un avion à réaction ? C’est au bout de quelques secondes seulement que j’ai compris : ce n’était que de la musique. De la musique entre guillemets. Du vacarme entouré de grésillement. En pleine nuit ; à 4 heures moins 20 minutes exactement !

Pagode bruyante

La pagode voisine sortait l’artillerie. Oui mes chers parents, au Cambodge les bonzes envoient du lourd en pleine nuit. C’est la Tra-di-tion ! Ils distribuent les baffles. Aux quatre coins des rizières ils envoient leur son, éparpillés façon puzzle. Ils dynamitent, dispersent et ventilent… Je me lève d’un coup. Saute au pied de mon lit et dévale les escaliers, bien décidé à en découdre avec le furieux qui organise une rave party en plein milieu de la campagne. Moi les dingues, je les soigne. Je m’en vais lui faire une ordonnance, et une sévère, je vais lui montrer qui est son voisin.

Rien ! Ni personne d’ailleurs. Il n’y a absolument personne dans l’herbe ; la pagode est déserte. Seul, torse nu et en caleçon à fleurs je déambule et fait hurler la poignée de chiens errants (ceux qui voient passer les fantômes). Personne dans les environs ne semble troublé par ce vacarme. Un tel désastre pour les oreilles doit pourtant être entendu à des kilomètres à la ronde, surtout par temps clair, une nuit de pleine lune.

Toute la nuit

Là, contre la sala de la pagode, le lieux où se retrouvent les bonzes en journée, un mur entier a été constitué d’énormes et antiques haut-parleurs posés les uns sur les autres. Derrière, s’élèvent deux longues tiges de bambou en bout desquelles sont accrochés des cônes de laiton. Le tout est branché à une poignée de vieux amplis empilés sur une caisse en fer.

Le préposé au bouton marche-arrêt a allumé l’incendie sonore et est parti se recoucher. Comment peut-on dormir sous un tel déluge de si mauvais décibels ? Les chansons se succèdent mais semblent toutes absolument identiques.

Le bruit dure toute la fin de la nuit, puis continue le matin sans une seule minute d’interruption.

Vers 10 heures viennent les psalmodies des bonzes qui alternent avec les discours fleuves de l’achâr (le maître des cérémonies attaché à la pagode). Le tout se calme vers midi. Pas pour longtemps. Car ensuite, c’est reparti pour la journée et en soirée, c’est carrément la fête à la pagode. Le volume est encore augmenté. Je ne croyais pas ça possible ! Un DJ fait son apparition. Il se lâche en ne programmant que de la musique techno. Il faut le voir pour le croire. Une techno parade à la pagode !

Un « bôn »

En fait, le temple organise un « bôn », une cérémonie. En l’occurrence il s’agit de collecter des fonds. Le but principal de tout ce tintamarre est la récolte d’argent. Le « bôn » n’a d’autre raison que l’appel à la charité, la cueillette des billets verts, la vendange des riels. Cet argent est le nerf de la vie des pagodes. Il sert en général au quotidien des bonzes et, ici en particulier, à terminer la nouvelle pagode construite juste à côté de l’ancienne, abandonnée en ruine.

Trop de pagodes

Ces 15 dernières années, le nombre de Wat a littéralement explosé. On en trouve parfois plusieurs par village alors que les habitants desdits villages vivent dans le dénuement le plus total. Souvent, c’est un Khmer de l’étranger, qui, de retour au pays, a tenu à financer la construction d’une nouvelle pagode dans son village natal. Parfois c’est une personnalité importante de Phnom Penh qui se présente dans la circonscription locale et qui, ce faisant, s’attire les voies des administrés.

Ce sont souvent ces personnages qui sont à l’origine de ces nombreuses fêtes. Ce sont eux qui verseront la plus grosse somme durant les quelques jours que vont durer le « bôn ». Mais cette cérémonie est également le moment où la communauté se retrouve autour d’un évènement festif, de nombreux repas, des boissons. Les enfants jouent ; on danse, on discute. Tout le village est là, ainsi que ceux alentours. Tous oublient pour un temps leurs soucis quotidiens.

Tout change

Certains sages cambodgiens n’hésitent pas à parler du « business des pagodes » et regardent ce tapage publicitaire avec dédain. Mon vieil ami Ta Sât est de ceux là. Pour lui, « le bouddhisme ne doit pas faire de prosélytisme ni de publicité. On ne doit pas faire de bruit non plus. L’apparition des haut-parleurs dans les pagodes est une honte. C’est un endroit de méditation ; pas un lieu pour le bal populaire. Les fidèles font des dons s’ils le veulent et s’ils le peuvent. Le tapage destiné à récupérer de l’argent est tout sauf un principe bouddhiste ».

Tout change, lui dis-je en souriant. Puis, discrètement, je remets mes boules Quiès dans les oreilles et tout redevient à peu près silencieux… A bientôt, Frédéric Amat

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