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Chronique & Hommage : Aline de Christophe, une mélopée bien cambodgienne

Le chanteur français Christophe, interprète de l’inoubliable Aline est décédé jeudi soir. Icône des années yéyé, l’artiste connaîtra un succès phénoménal avant de suivre des chemins plus créatifs et personnels. Amoureux de voitures, de cinéma, de « chaque seconde de la vie », le personnage discret et touchant qui ne vivait que la nuit ne savait certainement pas que le Cambodge avait porté la mélodie sirupeuse d’Aline au rang de méga tube. Emmanuel Pezard l’a découvert un soir de 2008. Chronique :

Phnom Penh, novembre 2008

Il a plu hier et les rues encore bien défoncées font s’ébranler le tuktuk de Sopheak qui nous conduit vers un KTV de la rue 51. Il y a des poules dans les nids de poule et s’il n’y a pas d’ânes sur les dos-d’âne, c’est qu’il n’y a ni les uns ni les autres dans la capitale ! Nous sommes entassés à cinq dedans et buvons des bières, dont les cadavres de canettes vides s’entassent sur le plancher en bois. Les lumières des nouveaux lampadaires vacillent et clignotent, l’électricité dans la ville va et vient certains jours, certains soirs comme celui-là. Il y a mon frère, Von, et trois copains déjà bien éméchés. Ce soir, c’est ma première soirée karaoké ! Et après bien des cahots, des chahuts, des secousses comme si nous étions dans la cambrousse sur des pistes défoncées, nous arrivons à destination : « Pasteur KTV and Beer Garden! »

Dans le grand jardin, une multitude de tables ! Des dizaines de serveuses en robes moulantes sponsorisées par Angkor Beer versent averse dans les verres des litres et des litres de bière sous les néons bleus et rouges et les ventilateurs en pagaille qui tournent au-dessus, à droite et à gauche, rafraîchissant lentement mais sûrement la chaleur moite qui règne en maîtresse des lieux. Nous n’avons pas même le temps de nous asseoir qu’une kyrielle de demoiselles charmantes nous amènent des verres dans lesquelles elles déposent des glaçons de la taille d’icebergs et y versent le liquide chaud, blond et sacré, car ici c’est ainsi que l’on boit, et à la paille je vous prie, ça monte plus vite au cerveau ! L’ivresse est décuplée par le bouillonnement des tablées voisines et par les chants, parfois juste parfois faux, qui viennent du micro sur la scène ou les chansons s’enchaînent. Von, quand il ne rigole pas, rigole quand même, ou alors se marre, ou s’esclaffe, ou sourit. Je n’ai jamais vu Von ne pas rire ! Ses copains ne sont pas en reste et nous trinquons à chaque gorgée en riant à gorge déployée. Oui, ici il est impoli de boire sans trinquer, et c’est chacun à tour de rôle que nous levons nos pintes et dans le tintinnabulent des verres qui s’entrechoquent, nous recommandons des carafes, et non pas des carafons, non, de grandes carafes de l’ambre local que nous buvons à l’ombre des bougainvilliers, des cocotiers et des palmiers. Sopheak lui frétille sur sa chaise, se lève et s’assoit puis part d’un coup d’un seul, sans prévenir personne, s’empare du micro et, vacillant légèrement, dans le brouhaha environnant, le regard à la fois malicieux et romantique, lance à la cantonade :

« Et maintenant, Aline ! »

Fier de sa belle voix, et surtout de son accent français quasi impeccable, c’est à la cantonade qu’il pousse la chansonnette ! Suffisamment ivres, mon frère et moi nous levons, suivis de Von, et c’est le quatuor du siècle qui entonne la chanson française la plus populaire au Cambodge, celle de Christophe, dont je n’ai jamais pu savoir s’il était au courant que dans tout le royaume, il portait les couleurs bleu-blanc-rouge jusque dans les moindres troquets, dans les bouis-bouis les plus improbables, dans les KTV géants comme les plus cachés des « beer-garden », à Phnom Penh comme dans les villes plus reculées, de Battambang à Kep en passant par Kratié, et dans les villages des provinces les plus lointains, il ne se passait pas une soirée sans qu’un Cambodgien bien éméché ne chante… Aline ! RIP Christophe Emmanuel Pezard

Ecouter la version khmère


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