Anikachun est un terme khmer qui désigne les Cambodgiens de l’étranger. Cette rubrique est le fruit d’une collaboration avec l’association Anvaya et a pour but de mettre les projecteurs sur le capital économique et d’innovation de cette diaspora cambodgienne qui a fait le choix d’entreprendre dans son pays d’origine. Elle se veut aussi une fenêtre sur le Cambodge contemporain, à contre-pieds de l’image encore pesante liée aux décennies de guerre civile.
Pays sensible à l’art
Le Cambodge est un pays éminemment sensible à l’art. Ce sont après tout ses réalisations artistiques qui sont sans aucun doute les premières contributrices au rayonnement international du royaume. Mais, temples millénaires mis à part, qu’en est-il de place de l’art et du design dans la vie quotidienne de la société khmère ? Pour Serey Siv, fondateur de Mirage – galerie basée à Siem Reap et cabinet de conseil en (2016) – ces thématiques gagnent une place chaque jour plus importante au Cambodge, non seulement du fait d’influences et d’exigences extérieures provenant notamment des grands voisins d’Asie, mais aussi et avant tout via une jeunesse cambodgienne de plus en plus demandeuse.
Serey SIV, fondateur de Mirage. Photographie par Heng Darith
Un cheminement très organique
Serey Siv a développé sa compréhension de l’art, du continent asiatique et de ses influences au fur et à mesure de ses périples entre l’Amérique du Nord et l’Asie. Son installation dans le pays de ses origines ne s’est pas faite du jour au lendemain. Après l’enfance à Montréal, au Canada, Serey, jeune photographe de son état, se rend d’abord en Asie en quête de ses origines – et d’un portfolio à développer. Pendant les années qui suivent, il élargit ses horizons, devenant d’abord musicien professionnel au Japon où il est membre du duo C.Cédille et réalise des tournées dans tout le pays. Puis il revient au Canada pour étudier la musique à l’université de Concordia et devient barista, avant d’intégrer une communauté d’artistes et de skaters en Corée du Sud puis de retrouver le Cambodge – Phnom Penh pour un temps puis Siem Reap où vivent déjà plusieurs membres de sa famille. Il y est désormais installé depuis plus de 4 ans. Jamais il n’aurait imaginé se lancer dans un projet comme celui de Mirage. « Mon installation au Cambodge et le lancement de Mirage font partie d’un cheminement qui s’est fait de manière très organique » explique-t-il.
Skate café
Cette aventure-là démarre en 2016, d’abord sous la forme d’un container aménagé en « skate café » où la communauté locale de skaters peut se retrouver et se procurer de nouvelles planches. L’échange avec les communautés autour de passions communes, le skate, la photographie, la musique, sont au cœur de son projet. Ils commencent déjà à y organiser des ateliers, que ce soit pour partager la passion du skate avec la jeunesse de la ville, ou inviter des artistes locaux à se produire. Puis au fil des années, Mirage évolue pour devenir une galerie d’art et un espace studio où artistes et designers travaillent, exposent et échangent. Cette évolution se concrétise en grande partie grâce aux conseils bienveillants de Sasha Constable, figure dans le domaine de l’art contemporain local avec laquelle Serey échange souvent. « En matière d’art, elle compte parmi mes plus grandes influences. » Lorsque Sasha quitte le Cambodge, Serey et ses associés décident de reprendre le flambeau.
Mirage côté art
Mirage côté art, c’est l’incarnation d’un développement de Siem Reap au-delà du pur tourisme angkorien. Le public se diversifie : « les touristes ne viennent désormais plus uniquement pour les temples (…) ils s’intéressent également à la scène artistique locale, en particulier à l’art contemporain. » La galerie d’art Mirage – désormais installée au cœur de la ville – en est une excellente vitrine ; et le studio Mirage facilite les rencontres entre artistes locaux et internationaux, leur permettant d’inscrire leur travail dans la ville sur la durée.
Une demande de plus en plus forte pour un savoir-faire local
En matière de design, l’offre de Mirage répond aujourd’hui à une demande de plus en plus forte pour un savoir-faire local. Pour Serey, qui accompagne depuis ses balbutiements le développement de cette nouvelle scène cambodgienne, un nouveau moment arrive pour les jeunes designers cambodgiens. Le développement des activités de Mirage en témoigne : son conseil est aujourd’hui sollicité sur des projets immobiliers, de centres commerciaux, ou de branding. Si la plupart des talents travaillent depuis Phnom Penh, Siem Reap suit le développement de la capitale dans son sillon et attire de plus en plus ; le développement du secteur du tourisme y a en effet naturellement amené au développement de secteurs liés comme l’immobilier, la restauration, ou les services dans la ville, porte d’entrée des temples. Pour les jeunes designers cambodgiens, l’opportunité est excellente : « ceux qui en ont les moyens partent étudier le design à l’étranger avec l’idée de revenir car ils savent que la filière est désormais porteuse au Cambodge. » Le défi pour Serey est désormais d’attirer et de garder les talents à Siem Reap.
Les initiatives comme celles de Serey se multiplient et stimulent la créativité des jeunes. Leur succès témoigne au moins d’une chose: au Cambodge, l’art est à nouveau une force de développement économique.
Par Borin Pin et Hugo Roussel
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