C'était il y a un an :
Premiers à s’être lancés sur le marché de la perruque, Sambath et Soda ont fait de leur entreprise le leader du secteur. Avec, en ligne de mire, un projet révolutionnaire.
De longs cheveux soyeux, d’un noir de jais, lui arrivent jusqu’à la taille. La quarantaine pétillante et pleine de charme, Khun a décidé d’opter pour une coupe beaucoup plus courte, dégainant son téléphone pour montrer le carré qu’elle souhaite désormais arborer. Ayant récemment appris l’existence d’une fabrique de perruques non loin de chez elle, les perspectives d’un nouveau look et d’un coup de pouce financier ont motivé sa visite. En l’espace d’une dizaine de minutes, la voilà satisfaite, repartant à la fois avec la coiffure désirée et une compensation financière. Les longues mèches entament quant à elles le début d’un processus complexe qui marquera le début de leur nouvelle vie.
800 perruques produites chaque mois
« Il faut entre trois jours et parfois plus de trois semaines avant d’obtenir un produit prêt à être porté », expliquent Soda et Sambath. Le couple, qui s’est lancé dans l’aventure entrepreneuriale en 2009, fait fièrement visiter le lieu de production. Situés à quelques centaines de mètres du temple angkorien de Wat Athvea, les locaux de Cambodian Hair Extension bruissent d’une activité qui contraste avec la campagne environnante. 95 employés se partagent les diverses tâches nécessaires à la confection des 800 perruques produites ici chaque mois. Le succès de l’entreprise surprend même ses fondateurs : « Aucune formation n’est dispensée pour ce métier qui était et qui demeure peu pratiqué, explique Soda. Nous avancions un peu à l’aveuglette au début, sur un marché totalement inconnu. Nous ne pensions sincèrement pas rencontrer un tel engouement ni parvenir à nous développer aussi vite. »
Un saut vers l’inconnu
« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous », écrivait Paul Eluard. Ce rendez-vous, Sambath y a pris part alors qu’il travaillait dans un hôtel. « En 2009, une conversation entamée avec une cliente américaine va s’avérer décisive. Porteuse d’une perruque, cette dernière s’étonne que le secteur ne soit pas développé au Cambodge, alors qu’il s’avère florissant dans de nombreux autres pays. C’était un sujet qui lui tenait à cœur, et qui m’a pour ma part tout de suite intéressé. Elle m’a sensibilisé à la qualité des perruques, à leur usage par les femmes touchées par la maladie et au rôle qu’elles pouvaient jouer dans l’estime de soi. Au point que j’ai vite décidé de quitter mon travail pour fonder la première entreprise de fabrication de perruques du Cambodge. »
Ancien élève de l’école Paul Dubrule, Sambath repart de zéro et tâche d’apprendre un métier très peu documenté, aidé en cela par son amie d’outre-Atlantique. Les débuts sont difficiles, tous les processus devant être acquis sur le tas, avec comme seule aide les tutoriaux sur internet et l’expertise de quelques couturières. Lis, une ouvrière du textile qui a participé au lancement de l’entreprise se souvient de l’ingéniosité qu’il aura fallu déployer afin de dompter une discipline entièrement nouvelle. Après deux années d’apprentissage et de tâtonnements, l’entreprise acquiert enfin les bases nécessaires et cible directement le créneau de la qualité. Un pari judicieux, qui a permis à la société de prospérer et de se hisser à la toute première place de son activité.
Vaincre les réticences
« L’inexpérience et le manque de savoir-faire des débuts sont maintenant bel et bien révolus ! », commente Sambath en détaillant les étapes présidant à l’élaboration d’une perruque. « Il y a tout d’abord l’un des processus les plus importants, à savoir la collecte de cheveux. Lorsque nous avons commencé, il était extrêmement compliqué de trouver des donneuses. Il a fallu communiquer dans les différents lieux de collecte que nous avons mis en place, expliquant que nous ne coupions jamais les cheveux à ras, conservant toujours leur longueur jusqu’à la nuque. Les cheveux repoussent vite, et, bien entendu, chaque coupe entraîne une rémunération conséquente en retour. En expliquant notre démarche, nous avons finalement pu vaincre les premières réticences. Maintenant, les donneuses viennent volontiers nous trouver et se faire couper les cheveux ne représente plus une épreuve. »
Une fois collectées, les mèches sont examinées et triées en fonction de multiples critères tels que leur couleur, leur texture ou encore leur longueur. Elles subissent ensuite un examen minutieux afin de détecter la présence éventuelle de lentes ou de poux qui seront éliminés à la main, le point d’honneur étant de ne jamais utiliser de produit chimique. Les cheveux en mauvais état sont éliminés, ceux étant jugés d’une qualité satisfaisante sont fixés sur les bonnets, une opération délicate qui requiert patience et méticulosité.
« Bien peu d’entre nous imaginions devenir perruquiers »
Pour accomplir ces tâches, Cambodian Hair Extension bénéficie du savoir-faire de son personnel. Formés dans les locaux, les ouvriers, issus d’horizons fort différents, parviennent à maîtriser les rudiments du métier au bout de deux ou trois mois d’apprentissage. Ce secteur ne bénéficiant pas d’une attractivité ni d’une visibilité propres aux autres professions, nombreuses sont les nouvelles recrues à avoir rejoint l’entreprise par le biais du bouche-à-oreille.
Cousins, tantes, nièces, frères et sœurs se retrouvent souvent dans les mêmes locaux, tandis que des couples s’y forment. Peang, 21 ans, travaillait sur les chantiers avant d’intégrer l’équipe, où il a rencontré sa femme. « Notre mariage s’est déroulé chez Soda et Sambath, qui ont pris en charge tous les frais de la cérémonie. Nous ne sommes pas les seuls à nous être rencontrés ici, et beaucoup ont trouvé une sécurité de l’emploi et des avantages que nous n’avions pas dans nos professions précédentes. Et pourtant, bien peu d’entre nous imaginions devenir perruquiers, moi en premier. Avant de coudre les cheveux sur les bonnets, j’étais ouvrier du BTP et combattant de Bokator ! » confesse en riant le jeune homme de 21 ans.
La grande peur du Covid
La bonne humeur ambiante a pourtant dû traverser la crise du Covid, qui a causé de grosses frayeurs au couple dirigeant l’entreprise. « Lorsque l’épidémie est apparue, j’étais complètement paniqué, raconte Sambath. Et si la maladie était transmissible par le biais des cheveux ? Cela aurait signé la fin pure et simple de notre activité… Heureusement ces doutes se sont révélés infondés et nous avons alors éprouvé un immense soulagement.
Et, d’une certaine manière, le Covid nous a favorisés : de nombreux perruquiers indiens et chinois, qui sont des géants du secteur, ont fermé leurs ateliers pendant l’épidémie. Nous avons donc bénéficié d’un regain de clientèle, qui depuis nous est restée fidèle. Et comme la plupart de nos employés vivent dans les villages environnants, tandis que certains sont hébergés sur place ou travaillent à domicile, nous n’avons pas trop souffert des restrictions sanitaires en vigueur. »
Un objet aux multiples usages
Travaillant essentiellement avec une clientèle américaine et européenne, Cambodian Hair Extension réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires par la vente en ligne. Dans le vaste stock, plus de 4 000 perruques sont disponibles, permettant de répondre immédiatement à toutes les exigences de la clientèle. « La perruque est un accessoire qui redevient tendance, permettant de changer de coiffure à sa guise. Les mèches sont aussi utilisées pour les rajouts capillaires. En dehors de ces usages esthétiques, de nombreuses femmes subissant une chimiothérapie ont recours aux cheveux postiches. Malheureusement, le port de la perruque est encore assez marginal au Cambodge, et j’ai vu trop souvent des femmes atteintes d’un cancer vivre recluses afin de masquer leur état. Nous essayons de changer cela, en offrant de fortes réductions en faveur des personnes malades et en nous engageant dans des campagnes de communication qui leur sont destinées » raconte Soda, qui travaillait auparavant chez Médecins Sans Frontières auprès des patients atteints de HIV.
Une fibre qui pourrait tout changer
La barrière tarifaire, qui constitue un frein pour l’acquisition d’une perruque composée de cheveux naturels, pourrait bientôt n’être qu’un lointain souvenir. Depuis quelques mois, Soda et Sambath se sont lancés dans une vaste expérimentation qui, à première vue, semblerait farfelue si le procédé n’était d’ores et déjà viable et appliqué : la fabrication de perruques à partir de fibre de bananier. « Cela se pratique déjà en Afrique, avec des résultats bluffants. Jusqu’à présent, nous avons toujours voulu privilégier les cheveux non synthétiques, mais la fibre de bananier nous ouvre de nouvelles possibilités bien plus intéressantes que l’usage de l’acrylique. Le potentiel est énorme et les résultats déjà très probants.
Le grand projet pour les prochaines années ? Créer une bananeraie dans laquelle pousserait une variété riche en fibres, adaptée à la création de perruques. Cette plantation serait respectueuse de l’environnement, sans oublier que quasiment tout, sur un bananier, peut être utilisé d’une manière ou d’une autre. Et ces perruques en fibre seraient nettement plus abordables que celles obtenues avec des cheveux naturels, pour une durabilité quasi identique. Nous plaçons énormément d’espoir dans ce projet. En parallèle, nous prévoyons aussi de diversifier notre production en nous lançant dans la perruque pour hommes, ainsi que dans l’élaboration de barbes et moustaches postiches qui nous ont déjà été commandées par Hollywood. »
Même si la plupart des ventes de Cambodian Hair Extension se font en ligne, rien n’empêche les clients présents à Siem Reap de venir effectuer un achat sur place, ou tout simplement de venir visiter les locaux, ouverts à tous et offrant même la possibilité de séjourner sur place l’espace de quelques nuits. Quant à Sambath, l’avenir lui inspire une indéfectible confiance : « Je pense que si nos clients sont satisfaits du produit, si nous prenons soin de lui tout en prenant soin de notre personnel, l’entreprise ne peut qu’être amenée à se développer favorablement ».
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