Bien que la sécurité alimentaire du Cambodge n’ait pas été gravement touchée par la crise sanitaire du COVID-19, la pandémie devrait être un signal d’alarme pour renforcer la production agricole nationale et les capacités de transformation.
Secteur essentiel
Selon la Banque mondiale, le secteur agricole du Cambodge contribue à hauteur de 22 % au produit intérieur brut, la production de riz représentant plus de la moitié des produits agricoles du Cambodge. En 2019, le Cambodge a exporté 620 000 tonnes de riz, ce qui en fait l’un des 10 premiers exportateurs de riz au monde. Les exportations de riz de janvier à juillet 2020 ont augmenté de 38,3 % à 426 073 tonnes, évaluées à 285 millions de dollars, contre 308 108 tonnes au cours de la période correspondante en 2019.
Cependant, les fruits et légumes du pays ne peuvent répondre qu’à 70 % de la demande locale, et le reste doit être importé, notamment de Thaïlande et du Vietnam.
Les statistiques gouvernementales montrent que le Cambodge importe quotidiennement une grande quantité de légumes, entre 200 et 400 tonnes. Les experts estiment que la crise sanitaire actuelle est une chance pour les agriculteurs cambodgiens de combler cette lacune.
Au total, le secteur agricole est réparti sur quatre millions d’hectares dont trois millions sont destinés à la plantation de riz, 170 000 ha pour la production multicultures et 30 000 ha seulement pour les légumes.
Fermeture des frontières
Alors que le nombre de cas de COVID-19 commençait à augmenter au Cambodge et ses deux voisins, le Vietnam et la Thaïlande ont décidé de fermer leurs frontières avec le pays fin mars 2020 pour empêcher la propagation du coronavirus. À l’époque, les Cambodgiens étaient surtout préoccupés par la disponibilité alimentaire, car une grande quantité de produits alimentaires était importée des deux voisins, en particulier les fruits et légumes.
Kan Ponharith, un coordinateur de projet du Service volontaire outre-mer au Cambodge (SVO Cambodge) estime que la fermeture de la frontière avait provoqué une panique initiale parmi les citoyens cambodgiens, ainsi qu’une flambée des prix.
« En termes de production de légumes, c’était toujours la même chose, mais pendant le COVID-19, il y a eu une fermeture à la frontière, ce qui a créé une situation chaotique, conduisant à une flambée des prix », dit-il.
Alors qu’au départ, il y avait une fermeture complète de la frontière, le Cambodge a négocié avec le Vietnam et la Thaïlande pour permettre aux véhicules de transport de marchandises de traverser la frontière. Des précautions telles que l’échange de chauffeurs à la frontière, afin que personne ne passe dans l’autre pays, faisaient partie des mesures utilisées.
Pour la production nationale, Kan Ponharith annonce que les agriculteurs avaient déjà récolté le riz de la saison sèche en novembre 2019 et que lorsqu’il était temps de semer la récolte de la saison des pluies en mai 2020, le nombre de cas au Cambodge s’était stabilisé, causant alors peu de perturbations.
« Par conséquent, ils ont suffisamment de nourriture en réserve, donc cela ne les affecte pas beaucoup », dit-il.
Signes encourageants
L’industrie agricole serait en bonne voie pour représenter 32 % du produit intérieur brut (PIB) du Cambodge d’ici la fin de l’année, car une plus grande partie de la main-d’œuvre du royaume se déplace dans le secteur, a déclaré Ky Sereyvath, chercheur en économie à l’Académie Royale du Cambodge. Sans citer de chiffres officiels, Sereyvath estime que la main-d’œuvre agricole a augmenté de 30 à 40 % pendant la crise du Covid-19 :
« La croissance du secteur agricole est due au fait qu’une partie de la main-d’œuvre du secteur des services s’est tournée vers l’agriculture, l’intégration de la main-d’œuvre entraînant un volume de production plus important. » Sereyvath ajoute :
« L’industrie de la transformation des aliments, la transformation des fruits et légumes sont des sous-secteurs importants — les principaux segments après les vêtements. La transformation du poivre, de la mangue, du poisson et de la viande absorbera une plus grande part de marché. »
Ambitions
Le ministre de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche, S.E. Veng Sakhon, annonce que le gouvernement vise un taux de croissance annuel de 3 % de la valeur ajoutée agricole - la production nette du secteur agricole après avoir additionné toutes les productions et soustrait la valeur des intrants intermédiaires. Il ajoute que le gouvernement aspire également à accroître la productivité de la main-d’œuvre agricole — la production annuelle par travailleur agricole — de 1839 dollars américains en 2019 à 4625 dollars d’ici 2030.
« Le secteur agricole est un moteur important de la croissance économique et pourrait connaître une augmentation de 1 % cette année. L’agriculture reste cruciale compte tenu du ralentissement de l’industrie et des services. Aujourd’hui, seule l’agriculture peut relancer l’économie », estime le ministre. Il rappelle que les exportations de produits agricoles cambodgiens sont passées de près d’un milliard de dollars américains en 2013 à 1,5 milliard de dollars l’année dernière.
« Le potentiel agricole reste fort, la productivité est toujours élevée et les flux de migration de retour vers les zones rurales sont en augmentation. Cela renforcera la croissance du secteur agricole pendant l’ère Covid-19. »
Ngin Chhay, de la Direction générale de l’agriculture du ministère, a déclaré lors d’une conférence de presse la semaine dernière que le gouvernement souhaitait diversifier son secteur agricole avec l’ambition de devenir plus moderne, compétitif, inclusif, résilient au climat et durable.
Il a rappelé que les exportations de produits agricoles du Cambodge avaient augmenté chaque année, avec une dynamique significative au cours des six dernières années — de plus de 3,44 millions de tonnes en 2014 à plus de 4,8 millions de tonnes l’année dernière.
À ce jour, a-t-il déclaré, le Royaume exporte 61 produits agricoles dans 59 pays à travers le monde. M. Chhay indique également : « L’augmentation du volume des exportations est le reflet des changements positifs à la fois dans la quantité et la qualité de la production agricole au Cambodge, ainsi que du rôle indispensable que joue la qualité phytosanitaire dans l'accès des produits aux marchés étrangers. »
Miser sur la transformation
L’augmentation de la production alimentaire serait donc susceptible de renforcer également l’industrie naissante de la transformation des aliments au Cambodge, en particulier avec des cultures comme la noix de cajou et le manioc, déclare Yang Saing Koma, expert en agriculture et fondateur du Centre cambodgien d’étude et de développement de l’agriculture.
« C’est une leçon importante pour le Cambodge d’envisager le renforcement de la production locale pour répondre aux besoins de la population locale », déclare Yang Saing Koma. « Cela contribue également à l’économie et crée des emplois. C’est une opportunité. »
Tableau plus optimiste
Yang Saing Koma et Theng Savoeun, qui travaillent avec la coalition d’agriculteurs CCFC, expliquent que près des deux tiers des Cambodgiens du secteur agricole ne sont pas totalement dépendants de l’agriculture. Ils doivent souvent compter sur un revenu supplémentaire des membres de leur famille qui sont fréquemment des travailleurs migrants en dehors de leur province d’origine ou en Thaïlande. Cependant, ce groupe serait à haut risque, car certains d’entre eux sont en difficulté avec leurs emprunts bancaires ou avec leur dette de microfinance en raison de la baisse du secteur manufacturier et des travailleurs migrants qui ont cessé d’envoyer des fonds, car forcés de rentrer chez eux pendant la pandémie.
« Les agriculteurs risquent de vendre ou d’hypothéquer leur propriété pour rembourser les institutions de microfinance ou les banques privées », dit Theng Savoeun, président de la Coalition of Cambodian Farmers Community (CCFC). « Nous pouvons dire que ceux qui font face à des pénuries alimentaires sont plus vulnérables. »
« Aujourd’hui, le défi lié au COVID-19 est qu’un grand nombre de travailleurs migrants sont rentrés chez eux de Thaïlande », a déclaré le gouverneur de la province de Prey Veng, Chea Somethy, lors d’une conférence de presse en juillet dernier.
Cependant, les responsables politiques brossent un tableau plus optimiste du secteur agricole en déclarant que les travailleurs sans emploi peuvent retourner dans les champs et utiliser des machines pour augmenter les rendements. Le Premier ministre Hun Sen a également déclaré que l’agriculture était la meilleure solution pour éviter le ralentissement économique.
Selon une petite enquête menée par SVO Cambodge, qui a interrogé 382 agriculteurs, 296 agriculteurs ont déclaré que leurs entreprises n’étaient pas affectées et pourraient passer à la pleine production en trois mois, tandis que 40 agriculteurs pourraient redémarrer partiellement la production avec l’aide du gouvernement.
« Dans l’ensemble, nous aidons maintenant le secteur du riz en reliant les agriculteurs au marché », indique Kan Ponharith de SVO Cambodge. « Nous leur fournissons des informations claires sur leurs productions de riz et les mettons en relation avec les propriétaires de minoteries. »
Élément foncier
Bien que 80 % des Cambodgiens vivent dans les zones rurales, dont la majorité dépend de l’agriculture, une grande partie des petits agriculteurs sont pratiquement sans terre. Une grande proportion possède moins de 0,5 hectare. Cette proportion de propriétés foncières fournit moins de la moitié des besoins nutritionnels d’une famille rurale typique. Selon la Banque mondiale, 10 % des familles rurales cambodgiennes sont entièrement sans terre. Le programme du Cambodge sur les concessions foncières sociales a toutefois aidé les agriculteurs pauvres et vulnérables à s’attaquer au problème de l’absence de terre.
Le problème des sans-terre serait la conséquence des nombreuses concessions foncières économiques affectant les communautés autochtones et les agriculteurs, sur lesquelles le gouvernement s’est concentré dans les années 2000 avant la pandémie COVID-19. À ce jour, le gouvernement a accordé un total de 1 178 646 hectares de terres dans 19 provinces en tant que concession.
Défis
Bien que le gouvernement travaille avec la Chine, la Corée du Sud, l’Union européenne et le Japon pour l’exportation potentielle de ses produits de base, la petite agriculture au Cambodge dépend encore des pratiques traditionnelles. De nombreux petits agriculteurs manquent toujours de compétences, le riz est cultivé à plusieurs reprises sur la même terre et, dans 58 % des exploitations, seulement une fois par an. Les questions de l’irrigation rurale, de la stratégie et du travail des sols font partie des défis techniques pour les petits agriculteurs. Le manque de connaissances sur la résilience climatique dans l’agriculture et le coût des intrants font également partie des difficultés pour les cultures du Cambodge à rester compétitives sur la scène internationale.
Le pays a également du mal à consolider sa production agricole en grande partie à cause du manque d’infrastructures, telles que l’entreposage frigorifique, les usines de transformation et des coûts d’exploitation généralement élevés.
Selon Len Ang, analyste indépendant et associé de recherche au Cambodia Development Resource Institute l’accord de libre-échange entre le Cambodge et la Chine visant ses exportations de riz, de bananes et de mangues profitera surtout aux entreprises étrangères plutôt qu’aux petites exploitations. Selon lui, cet accord devrait attirer beaucoup plus d’investisseurs étrangers au Cambodge.
« Dans un sens, l’accord pourrait potentiellement augmenter la capacité des investisseurs existants à élargir leurs activités commerciales dans le royaume. L’accord est perçu comme une réponse aux pertes potentielles du régime privilégié « Tout sauf les Armes » et à la crise sanitaire. »
Les investisseurs chinois au Cambodge ont ajusté leurs stratégies lorsque le retrait du TSA a été prononcé sur le sucre. Cinq sociétés sœurs — Rui Feng, Lan Feng, Heng You, Heng Rui et Heng Nong — exploitant plus de 42 000 hectares pour la plantation de canne à sucre en 2011 dans la province de Preah Vihear ont récemment stoppé leurs opérations sucrières et se sont tournées vers la riziculture.
Selon l’analyste, ce changement est destiné à s’intégrer au soutien des marchés restants de l’UE et à l’accord de libre-échange Chine-Cambodge. En bref, pour Len Ang, les récents changements d’orientation du Royaume sur l’agriculture au milieu de la pandémie de COVID-19 présentent le risque de ne pas s’avérer suffisants pour tous les travailleurs licenciés des secteurs touchés. Cette tendance pourrait profiter en priorité aux entreprises ayant un accès privilégié aux terres pour la riziculture et les cultures agricoles.
Aides
L’Australie soutient le secteur agricole cambodgien dans le cadre de son programme phare actuel, le programme Cambodge-Australie sur la chaîne de valeur agricole (CAVAC), évaluée à 60 millions de dollars US, de 2016 à 2021. « En partenariat avec le gouvernement cambodgien et le secteur privé, le programme vise à soutenir la modernisation de l’agriculture cambodgienne - en aidant les agriculteurs cambodgiens à accéder à une eau fiable toute l’année, à des semences, des intrants et des équipements de haute qualité pour améliorer leur efficacité », a déclaré l’ambassadeur d’Australie, Pablo Kang, à la presse locale.
« Nous aidons à identifier et à introduire de nouvelles cultures de plus grande valeur pour le Cambodge et travaillons avec le Conseil pour le développement du Cambodge sur la façon d’attirer plus d’investissements dans l’agro-industrie et créer de meilleurs liens avec les marchés internationaux. Nous soutenons directement les PME engagées dans le développement de produits alimentaires », a-t-il ajouté.
La Chine a fourni au Cambodge le financement de vastes réseaux d’irrigation pour soutenir la production croissante de riz du pays, l’objectif étant de pouvoir effectuer des récoltes deux fois par an et atteindre des rendements de cinq tonnes par hectare.
Le Fonds international de développement agricole (FIDA), une organisation financière mondiale et une agence spécialisée des Nations Unies (ONU), travaillent aussi avec le gouvernement cambodgien pour prévenir les tensions liées à la sécurité alimentaire causée par la pandémie COVID-19. La collaboration se concentre sur la satisfaction des besoins économiques immédiats des communautés rurales en créant des opportunités pour les travailleurs agricoles migrants de retour et en élargissant les perspectives pour les petits agriculteurs grâce à un soutien accru à la production.
Meng Sakphouseth, chargé de programme de pays du FIDA au Cambodge, a déclaré à la presse locale qu’avant, les projets étaient exécutés individuellement, mais que la pandémie nécessite une approche plus communautaire.
« Pour réduire au minimum les perturbations et combler les déficits immédiats, à la fois en termes de demande locale et du marché, des semences, des engrais et un soutien amélioré à l’irrigation sont proposés », a-t-il déclaré.
Gouvernement
«La diversification des produits et des marchés est une priorité élevée du gouvernement royal du Cambodge », a déclaré cette semaine S.E. Phay Siphan, président de l’unité du porte-parole du gouvernement royal, sur sa page Facebook.
Le Cambodge diversifie ses produits et ses marchés pour promouvoir les exportations, a-t-il souligné après avoir assisté à une réunion hebdomadaire sous la présidence du Premier ministre Hun Sen. Selon le porte-parole, le royaume a établi un plan pour augmenter les exportations de produits manufacturés non textiles de 15 % du total des exportations d’ici 2025 tout en augmentant les exportations agricoles transformées de 12 %.
Il souligne que les exportations de produits agricoles transformés ont augmenté de 5,9 % du volume total des exportations en 2015 à 7,0 % en 2018. « Les données montrent que le Cambodge a continuellement diversifié ses produits exportés et encouragé l’exportation de ses produits agricoles transformés, au lieu de dépendre uniquement de l’exportation de vêtements et de chaussures. »
Le dernier rapport du ministère de l’Agriculture, des Forêts, de la Chasse et de la Pêche montre que le Cambodge a exporté 2 689 685 tonnes de produits agricoles vers les marchés étrangers au cours des sept premiers mois de 2020. Les produits agricoles exportés sont principalement du riz (426 000 tonnes), du manioc (1,5 million de tonnes), des noix de cajou (200 000 tonnes), du maïs (140 000 tonnes), des bananes (170 000 tonnes), des mangues (50 000 tonnes), du poivre (3,43 tonnes), et du piment (40 000 tonnes).
« Le COVID-19 nous a affectés dans une certaine mesure, mais il ne nous battra jamais », a déclaré le Premier ministre Hun Sen aux agriculteurs de la province de Takeo où il s’est rendu fin juillet 2020, ajoutant :
« Nous avons l’agriculture pour soutenir le développement du pays. L’État doit se pencher sur ces productions nationales par un financement subventionné. »
Le Premier ministre a appelé les donateurs cambodgiens à continuer de soutenir le secteur où une grande partie de la population est toujours associée à la plantation de produits de base. Le Cambodge dispose actuellement de 6 millions de tonnes de riz paddy (ou 4 millions de tonnes de riz usiné) par an en surplus de la consommation intérieure.
Le Premier ministre a appelé les travailleurs cambodgiens — qui ont perdu leur emploi et d’autres qui viennent de rentrer de leur travail en Thaïlande — à travailler également dans la pisciculture. Le gouvernement leur fournira gratuitement des larves et juvéniles ainsi que des fonds et un soutien technique.
« J’appelle maintenant la population à investir davantage dans l’agriculture afin que nous puissions subvenir aux besoins de la consommation intérieure, mais également pour développer nos exportations agricoles »
Plan quinquennal 2019-2023
Le gouvernement n’a pas attendu la pandémie de Covid-19 pour tenter de faire passer l’agriculture des pratiques traditionnelles à une agro-industrie avancée susceptible d’améliorer la productivité, diversifier les cultures potentielles, répondre aux besoins du marché, et prendre en compte la durabilité, la mondialisation et la technologie moderne.
Par le biais du plan stratégique lancé en 2019, le ministère annonçait déjà qu’il souhaitait vivement la création de coopératives agricoles et que les agriculteurs coopèrent avec le secteur privé dans le cadre d’un partenariat impliquant une agriculture contractuelle pour assurer des approvisionnements suffisants, des marchés abordables et des prix stables.
CG
Sources : Ministère de l’Agriculture, des Forêts, de la Chasse et de la Pêche, VOA Khmer, AKP, conférence de presse de S.E. Veng Sakhon, la Banque mondiale et le Cambodia Development Resource Institute.
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