Comment décrire cet inoubliable sourire, qui reste gravé dans la mémoire longtemps après s’être quitté ? La voix, aussi, demeure. Calme, posé, choisissant soigneusement ses mots, le jeune homme de 21 ans raconte avec une impressionnante maturité son parcours hors-norme.
Amaigri et physiquement marqué par la maladie, Vireak égrène lentement son histoire, divisant sa vie, comme le ferait l’écrivain qu’il rêve de devenir, en séquences, décrivant son passé, ses passions, ses projets et son difficile combat contre le cancer.
Chapitre I : de l’importance des études
C’est à Kralanh, à une cinquantaine de kilomètres de Siem Reap, que Vireak a grandi avec sa mère et sa sœur. « J’étais un enfant plutôt sage, j’espère ne pas avoir causé trop de soucis à ma mère, qui, après le départ de mon père, a dû s’occuper de notre éducation. Si nous manquions d’argent, nous ne manquions en tout cas pas d’amour, ce qui est de loin le plus important. Par contre, j’ai très vite compris que seules les études me permettraient d’aider ma famille et de nous hisser vers une meilleure condition. La perspective de passer du temps à l’école ne me dérangeait pas, bien au contraire : j’ai toujours eu soif d’apprendre et de comprendre le monde qui nous entoure. Dans mon village, l’unique lueur qui brillait dans la pénombre provenait de ma chambre, car j’ai toujours aimé dévorer les livres jusque tard dans la nuit. Se montrer curieux au quotidien, effectuer des recherches et discuter inlassablement avec les professeurs, tout cela m’a permis d’obtenir de bonnes notes et d’arriver jusqu’au grade 12 [l’équivalent de la Terminale en France].
« Après cela, je savais qu’il faudrait quitter Kralanh pour Siem Reap, ce qui était à la fois un peu angoissant, mais tellement excitant ! En gagnant la grande ville, une nouvelle vie s’offrait à moi, sans compter que je me rapprochais aussi des temples d’Angkor qui me fascinaient tant. »
Je n’oublierai jamais la première fois que j’ai découvert Angkor Vat, tôt le matin, enveloppé par une brume qui semblait irréelle. L’histoire de ce temple et de la civilisation qu’il représente constitue une source de réflexion sur la grandeur passée, mais aussi sur les capacités du peuple cambodgien à montrer le meilleur de lui-même. Ces temples, c’est aussi une partie de moi, de mon identité. Lorsque j’ai déménagé à Siem Reap, pas un week-end ne passait sans que j’aille visiter cet incroyable patrimoine. »
Chapitre II : Sala Bai
« À Kralanh, l’un de mes voisins a fait des études d’hôtellerie/restauration à Sala Baï, une institution qui offre une formation professionnelle gratuite et de grande qualité à destination des jeunes défavorisés. Depuis tout petit, je me suis toujours demandé comment fonctionnait un hôtel. En passant devant les immenses cinq étoiles qui parsèment Siem Reap, je m’interrogeais sur leurs coulisses et sur ce que pouvaient bien faire les employés qui s’activaient mystérieusement derrière les façades. Après avoir réussi les sélections, j’ai rejoint Sala Baï en tant qu’interne pour une formation de réceptionniste, dont le métier m’attirait. Rencontrer des gens venant de tous horizons, les renseigner sur la vie au Cambodge et les activités inhérentes à Siem Reap, échanger en anglais, tout cela me convenait parfaitement !
Chaque année, 150 élèves sont formés dans cet établissement, ce qui m’a permis de me faire 150 nouveaux amis. J’y ai aussi rencontré des professeurs admirables, qui allaient par la suite jouer un grand rôle dans ma vie. Et puis, travailler dans l’hôtellerie offre des perspectives de voyages, comme en témoignent les carrières des anciens élèves de Sala Baï, qui trouvent des emplois un peu partout dans le monde. Au final, cette formation m’a offert bien plus que la capacité d’exercer le métier de réceptionniste. Elle m’a aussi permis de sortir du cocon familial, de savoir comment gérer le quotidien, d’en apprendre sur la vie en communauté, sur la vie tout simplement. »
Chapitre III : ne jamais cesser de se perfectionner
« Après avoir obtenu mon diplôme à Sala Baï, j’ai voulu perfectionner certaines matières, notamment l’informatique. L’association PEPY, spécialement dédiée à la formation de la jeunesse rurale pauvre, m’a ouvert ses portes pour parfaire mes compétences. Que ce soit à Sala Baï ou à PEPY, ce genre d’encadrement et de formation permettent de trouver sa place dans la société tout en étant sensibilisé à de nombreuses problématiques. En parallèle, je trouvais du travail dans un hôtel de luxe, ce qui m’a comblé de bonheur. »
« Je me rendais compte que j’étais capable de relever le défi, et de gagner assez d’argent pour aider ma mère. Il est temps pour moi de parler d’elle, car elle est ma plus grande source d’inspiration. »
C’est elle qui m’a donné le goût de la curiosité. N’étant jamais allée à l’école, elle ne manquait pourtant aucune occasion de s’instruire, même en ramassant les journaux qui traînaient par terre. Elle les déchiffrait avec peine, mais avec une assiduité forçant le respect. Cuisinant et revendant dans la rue toutes sortes de gâteaux, ses faibles revenus nous ont néanmoins permis de grandir correctement. Depuis que je suis tombé malade, son accompagnement et sa présence à mes côtés sont d’une aide indescriptible. Beaucoup de mères sont des héroïnes et feraient tout pour leur enfant. C’est le cas de la mienne. Tout ce que je suis aujourd’hui, je le lui dois. »
Chapitre IV : le cancer
« J’apprenais des matières qui m’intéressaient, j’avais décroché un travail dans ma ville favorite et dans un domaine que j’aimais : tout se passait donc pour le mieux. Pourtant, je sentais que quelque chose n’allait pas. Mon bras droit me faisait de plus en plus mal et était enflé, et je me sentais de plus en plus fatigué, au point de ne plus pouvoir monter les escaliers. Je suis allé consulter, mais on ne m’a au début prescrit que des antidouleurs, qui se sont vite montrés inefficaces. Le jour de mon anniversaire, après plusieurs nuits sans sommeil dues à la douleur, on m’a emmené à Phnom Penh, où les médecins ont fini par m’annoncer que les choses se présentaient mal et qu’il s’agissait d’un cancer du système lymphatique. C’est à ce moment-là qu’a commencé une nouvelle étape dans ma vie, étape dans laquelle je me trouve actuellement. Si apprendre que l’on souffre d’une forme agressive de cancer est dur à encaisser, il faut pourtant tout le temps se montrer combatif, car cela représente la meilleure chance de survie. Si l’on baisse les bras, le combat est perdu. »
Chapitre V : le traitement
« S’en sont suivis des mois particulièrement difficiles. Les docteurs ont effectué un gros prélèvement sur mon bras, qui s’est mis à tripler de volume. » Une large balafre est encore bien visible sur le bras droit de Vireak, bras qui, suite à des complications, demeure affaibli, l’obligeant à devenir ambidextre. Le jeune homme illustre à merveille ses paroles de combativité, s’interrompant parfois pour plaisanter, pour gratifier son interlocuteur de son formidable sourire tout en prodiguant un « high-five » de la main gauche. Telle est l’une des facettes du jeune homme : même lorsqu’il décrit les pires moments de sa vie, l’humour et l’envie d’aller de l’avant ne semblent jamais le quitter tout à fait.
« Mais je vous assure que les mois qui ont suivi n’étaient vraiment pas drôles… Nous avons essayé un traitement de médecine traditionnelle, qui n’a pas fonctionné. La morphine que l’on me prescrivait était difficile à supporter. Quant aux premières chimiothérapies, elles m’ont complètement détruit. J’ai perdu 20 kilos, et ne pouvais ni manger ni dormir. Je me suis mis à délirer, à croire que les infirmières voulaient m’empoisonner. »
« J’étais terrorisé et échafaudais des plans d’évasion impossibles à réaliser, car je ne pouvais quitter mon lit. On a fini par m’attacher les poignets pour éviter tout accident. Puis je me suis retrouvé aux urgences, dans un semi-coma qui a duré 5 jours durant lesquels j’ai ressenti l’expérience de la mort. À mon réveil, la famille au grand complet se tenait à mon chevet, priant et pleurant. Je n’étais pas seul. Cela m’a donné une raison supplémentaire de me battre. Après cela, on ne voit plus la vie de la même manière. On apprend énormément de choses sur ses forces et ses faiblesses, sur les tours que peut nous jouer notre cerveau, sur ce que ressentent les gens gravement malades. »
Chapitre VI : la mobilisation
Après avoir réalisé 8 cycles de chimiothérapie, il faudrait désormais entamer une nouvelle procédure de radiothérapie. Mais l’argent vient à manquer, et les coûts du traitement s’avèrent très élevés. De son côté, la mère de Vireak a dû interrompre son activité afin de pouvoir s’occuper à plein temps de son fils. « C’est alors qu’une merveilleuse mobilisation a pris naissance, grâce à du personnel de Sala Baï et de PEPY, à des professeurs, à des proches qui se sont investis pour donner de la visibilité à mon combat. Sans cela, je ne peux espérer trouver les 14 000 dollars nécessaires au traitement. Grâce à eux, une soirée a été organisée au Baby Elephant, qui a permis de lever la somme de 5 000 dollars. Une page Facebook me permet de donner des nouvelles régulières sur mon état de santé. C’est pour moi un moyen d’extérioriser mes pensées et d’exorciser mes angoisses, un rôle que tient aussi le journal intime que je remplis chaque jour. »
Chapitre VII : le futur
Malgré les incertitudes, Vireak ne manque pas de projets pour les mois et les années à venir. « Le journal que je tiens pourra un jour être publié. Je pense que ce témoignage serait en mesure d’aider les personnes confrontées à la maladie. Récemment, la littérature a occupé de plus en plus de place dans ma vie. Où que j’aille, j’ai toujours un livre avec moi. J’ai déjà écrit des poèmes et des nouvelles, et rejoint une communauté de lecteurs sur Facebook. Cela me permet de donner des impressions sur les ouvrages lus et d’être en contact avec des éditeurs. Je veux écrire un roman, et j’ai des projets de magazine en ligne. Les livres et la lecture véhiculent le savoir et la mémoire, ils permettent de devenir meilleur. Une fois un ouvrage achevé, j’en fais don aux bibliothèques de villages, car l’avenir de la jeunesse passe par les livres. Je veux lutter contre la pauvreté, car c’est une situation que j’ai connue personnellement. Je veux aller à l’université. Je veux continuer à apprendre et à m’améliorer. Je veux parcourir le vaste monde. Je veux aider les autres. J’ai eu ma leçon de vie. Je sais ce que je veux. Je sais ce que je suis. »
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