Selon les habitants du village flottant, le changement climatique crée de nombreuses difficultés pour la communauté depuis de nombreuses années.
Le développement économique demeure à l’origine de nombreux changements au Cambodge. Les habitants de la commune de Kampong Phluk, à Siem Reap, supportent les coûts du progrès, car les poissons manquent et, avec eux, leurs moyens de subsistance.
De nombreux habitants de la commune de Kampong Phluk, située à proximité du lac Tonlé Sap dans la province de Siem Reap, sont confrontés à une diminution des captures de poissons, mais les causes de ce déclin sont nombreuses.
Le changement climatique a créé de nombreux défis pour la communauté depuis de nombreuses années, font remarquer les habitants de la commune, dont beaucoup disent avoir aujourd’hui du mal à joindre les deux bouts.
Pendant la saison sèche, la surface du lac Tonlé Sap diminue tandis que le volume d’eau annuel est plus faible et fluctue de manière irrégulière, ce qui entraîne une diminution des stocks de poissons.
Le chef de la commune de Kampong Phluk, Sok Plang, explique que le Tonlé Sap met plus de temps à retrouver son niveau d’eau habituel en raison du changement climatique, et cela entraîne une forte baisse des prises de poissons. Cela signifie également que la fameuse inversion annuelle du cours du Mékong — Tonlé Sap est retardée, ce qui crée des problèmes pour les agriculteurs et les communautés de pêcheurs dans l’ensemble du Cambodge.
« Lorsque l’eau met du temps à monter, les poissons ne peuvent accéder à la forêt inondée pour frayer. Ils vont ailleurs dans la rivière, le long de la côte, ce qui affecte les populations de poissons reproducteurs », déclare Plang.
« De plus, le changement climatique peut provoquer des incendies de forêt et donc affecter les habitats naturels des poissons ».
Om Savath, président de la « Fisheries Action Coalition Taskforce », avance que les graves menaces qui pèsent sur les poissons ne sont pas uniquement dues au changement climatique, elles ont de multiples facettes : La criminalité liée à la pêche, le déclin des forêts inondées, l’utilisation de produits agrochimiques, l’augmentation des niveaux de pollution de l’eau et les projets de développement qui modifient l’utilisation des terres et des cours d’eau sont tous responsables du déclin massif des poissons dans les eaux cambodgiennes.
S’il est vrai que la pêche illégale est un sujet de préoccupation majeur, car de nombreux citoyens ne comprennent pas encore très bien l’impact de leurs actions, notamment en ce qui concerne les poissons femelles et les frayères, M. Savath souligne que l’hydroélectricité est le principal problème.
Selon lui, les barrages modifient le débit de l’eau dans toutes les rivières du Cambodge et, par conséquent, la migration des poissons risque de ne pas se rétablir.
« Certaines espèces de poissons migrent du lac Tonlé Sap vers d’autres parties du Mékong pour frayeret les jeunes poissons redescendent ensuite le cours d’eau jusqu’au lac. Par conséquent, le blocage de la migration affecte les captures », estime Savath.
Maisons à Kampong Phluk pendant la saison sèche. Photo : Isa Rohany
Outre les projets hydroélectriques, M. Savath ajoute que la déforestation autour du lac Tonlé Sap à des fins agricoles a également un impact négatif sur les frayères des poissons :
« Le lac Tonlé Sap est le cœur battant du Cambodge, tandis que les rivières qui y affluent sont des artères ; la protection de ces zones de pêche est donc cruciale. »
En outre, il faut mettre un terme aux activités de pêche illégale, dit-il, et des recherches approfondies doivent être effectuées et publiées avant de mettre en route tout projet de développement afin d’éviter les impacts environnementaux négatifs.
Mais ces impacts environnementaux ont déjà été ressentis de manière critique par la communauté de pêcheurs de Kampong Phluck et au-delà. Le village voisin de Kampong Tnot connait une baisse similaire des poissons et donc des revenus, selon une villageoise, Ros Saroeun.
Sa famille sort pêcher tous les jours et peut attraper entre quatre et cinq kilos de coquilles Saint-Jacques et de petits poissons, pour lesquels elle peut gagner entre 3 000 riels et 4 000 riels - 0,75 à 1 dollar par kilo.
« Nous partons pêcher le matin et revenons le soir », explique Saroeun.
« Je peux gagner jusqu’à 10 000 riels (2,50 $) par jour, mais parfois, l’argent que je gagne ne suffit pas à payer l’essence utilisée pour les bateaux, il faut quatre litres pour effectuer l’aller-retour. »
La famille de Saroeun avait l’habitude d’aller pêcher dans la région de Prek Toal, dans la province de Battambang. Cependant, les prises de poissons y sont encore plus réduites.
Malgré la baisse des prises, Saroeun dit qu’elle doit aller pêcher parce qu’elle craint de ne pas pouvoir faire face à ses paiements bancaires mensuels et qu’il n’y a pas de travail à sa portée. Saroeun doit payer 250 000 riels par mois pendant trois ans.
Durant cette période difficile, Saroeun déclare qu’elle n’abandonnera pas la pêche, qu’elle pratique depuis plus de 20 ans. Elle se prépare maintenant à chercher des petites crevettes lorsque la saison des crues arrivera.
Len Saven, un habitant de la commune de Kampong Phluk, possède huit bateaux qu’il utilisait auparavant pour transporter les touristes, avec un peu de pêche à côté. Aujourd’hui, alors que les touristes ne sont plus qu’un souvenir dans la province de Siem Reap, Saven se contente de pêcher, mais personne ne veut louer son bateau, car la baisse des prises a durement l’ensemble de la communauté.
Elle aussi a vu les eaux changer et avec elles, les prises de poissons :
« Certains jours, après avoir payé l’essence pour le bateau, il me reste 10 000 riels, peut-être 20 000 riels, c’est juste assez pour manger ».
Mais si ses revenus de la pêche ont diminué, le coût de l’entretien de ses bateaux hors service a augmenté. Les mois d’inactivité pendant la pandémie n’ont pas fait de bien aux embarcations et ont laissé à Saven une facture de réparation de deux millions de riels, soit près de 500 dollars, pour 2020.
Saven déclare : « Je n’ai pas d’autre travail que de pêcher et d’emmener des touristes sur un bateau. Ces emplois ont toujours existé, je ne sais faire que cela et je dois maintenir cette activité. »
Selon le Département de la gestion des terres de la province de Siem Reap, la zone qui comprend ce qui est aujourd’hui la commune de Kampong Phluk était constituée de 6 000 hectares de forêt inondée en 1999 et 65 % de la population était composée de pêcheurs, tandis que le reste travaillait dans le tourisme, la réparation et la vente de véhicules.
Mais si beaucoup de choses ont changé depuis 1999, la majorité des habitants de Kampong Phluk n’ont pas tous profité des avantages du développement économique rapide du Cambodge — au contraire, ils ont supporté l’essentiel du coût du progrès. Aujourd’hui, leurs moyens de subsistance sont au bord du gouffre et beaucoup s’inquiètent de ce qu’ils feront si les poissons disparaissent complètement.
Teng Yalirozy et Isa Rohany
Photographies par Alex Berger
Avec l'aimable autorisation de Cambodianess
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