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17 avril 1975 : Roland Neveu, le jeune photographe qui immortalisa la chute de Phnom Penh

Dans la capitale du Cambodge assiégée par les Khmers rouges, en avril 1975, rôde un jeune photographe français avide de faire ses preuves. Roland Neveu ne le sait pas encore, mais il est en passe de capter sur sa pellicule l’inauguration d’une des plus grandes tragédies du XXe siècle.

Roland Neveu. Photo Samuel Bartolin
Roland Neveu. Photo Samuel Bartolin

Le 12 avril 1975, un détachement de marines déclenchait l’opération Eagle Pull, visant à évacuer par hélicoptère plusieurs centaines de personnes de Phnom Penh. L’ambassadeur américain John Gunther Dean s’envolait, la bannière étoilée sous le bras, laissant derrière lui un allié exsangue, les derniers vestiges de la République khmère retranchés dans une capitale sur le point de tomber. Beaucoup de correspondants de presse étrangers furent du voyage, quittant le théâtre de la guerre civile cambodgienne avant son dernier acte. « Beaucoup voulaient tenter de rejoindre Saigon, les événements se précipitaient aussi au Vietnam depuis la chute de Da Nang (le 29 mars), explique Roland Neveu. De plus, il y avait un certain risque à rester ici : au Vietnam, deux armées se faisaient face, les choses étaient plus cadrées, alors que personne ne savait à quoi s’attendre de la part de la guérilla khmère rouge. » Mais le photographe français, âgé de 24 ans, a déjà arrêté son choix : lui restera. Il est arrivé début mars, pour son second séjour au Cambodge, avec la ferme intention d’assister à la prise de Phnom Penh.

La motivation chevillée au corps, Roland s’est lancé en photographiant les conflits sociaux en marge d’études de socio à la fac de Rennes. Son rêve d’alors : marcher dans les pas de DonMac Culleen et Philip Jones Griffiths, les grands photo-reporters qui ont couvert l’engagement américain au Vietnam. Alors, en 1973, il prend un job de nuit de pompiste pour réunir l’argent nécessaire à un billet pour la région. Ce ne sera pas la guerre du Vietnam, mais un ersatz, le conflit cadet, la guerre au Cambodge voisin.

« Un conflit moins couvert, et Phnom Penh offrait une base plus facile, plus simple pour s’organiser quand on n’avait peu de moyens », poursuit-il.

Au cours de ce premier séjour d’un mois, il fait ses preuves, rencontre les grands noms du métier, photographie les offensives des soldats républicains. Quand il revient au Cambodge en 1975, après en avoir fini avec ses obligations militaires, il réussit à se faire adouber par la prestigieuse agence Gamma.


Vrais faux Khmers rouges ?

Le 16 avril 1975, quatre jours après le départ américain, la situation militaire est pliée, les Khmers rouges tiennent déjà les faubourgs de la capitale. « Nous sommes allés dormir à l’ambassade de France, bien située au nord du boulevard Monivong pour assister à la suite des événements », se souvient le photographe. Le 17, quelques combats déchirent encore l’aube, quand soudain les armes se taisent, vers 7 heures. Roland Neveu va au-devant du convoi qui se forme, en tentant d’user judicieusement de ses dernières réserves de pellicule. Sur ses photos, on voit les soldats républicains qui se sont rendus, visiblement soulagés, aux côtés de Khmers rouges souriants et bien mis, qui agitent un étrange drapeau cubiste. Il s’agit en fait du groupe Monatio, une force apparue le matin même en ville, et dont le rôle n’a jamais pu être bien éclairci, selon Neveu.

« C’était une sorte de troisième force. On ne sait pas s’il s’agissait d’une manœuvre de républicains pour s’associer à la victoire, ou s’ils travaillaient pour les Khmers rouges, afin de faciliter le ralliement intérieur. »

Mais derrière ces protagonistes décontractés s’avancent des unités d’allure plus belliqueuse, visage éprouvé et fermé. « On sentait rien à qu’à l’odeur qu’ils dégageaient que ceux-là avaient campé des semaines dans les marais autour de Phnom Penh. »

Des photos pour la postérité

Roland Neveu occupe les heures qui suivent à déambuler sur les axes de la ville, photographiant les Khmers rouges qui confisquent les armes des citadins, et commencent à donner des directives au mégaphone. « En fin d’après-midi, je sentais la tension monter, on me dévisageait de façon de plus en plus insistante », se rappelle-t-il. Le photographe manque de se faire confisquer son matériel (ce sera le cas de beaucoup de ses collègues), il tourne les talons, et regagne l’ambassade à 17 h, peu avant le crépuscule. Depuis leur retranchement, les Français et les derniers étrangers vont voir passer le cortège des populations expulsées de Phnom Penh. Ils resteront ensuite plusieurs semaines bouclés dans cette enceinte, avant d’être expulsés vers la Thaïlande par les Khmers rouges, qui se sont également fait remettre douze hautes personnalités réfugiées dans l’ambassade, promises à la mort.

Roland Neveu ne le sait pas alors encore, mais il possède dans sa jaquette des images qui passeront à la postérité : non pas un simple changement de régime au terme d’une guerre, mais l’avènement terrifiant d’une des dictatures les plus sanglantes et énigmatiques du XXe siècle.

« Certes, c’était un événement, le pays basculait, mais on ne savait pas alors qu’on assistait à quelque chose de cette ampleur », constate-t-il.

La vérité sur ce qui se joue au Cambodge se dessinera seulement au fil des mois, voire au bout de plusieurs années. Et les photos de Roland vont constituer désormais un des rares témoignages visuels disponibles de ce qui a initié cette période tragique.

Le reporter a lui intégré à cette occasion le petit cénacle des professionnels reconnus, et passera les années suivantes à couvrir les conflits internationaux pour la presse internationale… Il ne délaissera cependant jamais le Cambodge, dont il viendra photographier à plusieurs reprises la convalescence difficile, les réfugiés, le départ des troupes vietnamiennes. « Ce pays revient vraiment de loin », observe-t-il en contemplant le trafic derrière la baie vitrée d’une cafétéria chic sur le quai Sisowath. Relocalisé en Thaïlande dans les années 1990, il publiera une nouvelle compilation de son travail, The Fall of Phnom Penh, avec l’intégralité de ses photos et un long texte inédit retraçant ces heures du 17 avril, cette date devenue synonyme du martyre d’une nation entière.

Par Samuel Bartholin

The Fall of Phnom Penh, Roland Neveu, Asia Books:


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